Les interventions en séance

Justice
Yves Détraigne 17/05/2011

«Projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale »

M. Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui contient des dispositions innovantes axées autour de deux thèmes principaux : l’introduction de citoyens assesseurs en correctionnelle, une réforme du droit pénal des mineurs. Si cette dernière était annoncée depuis plusieurs années, l’introduction des jurés populaires est bien plus inattendue. Pourquoi cette proposition ? Beaucoup de monde se pose la question. L’introduction des jurés populaires en correctionnelle était-elle demandée par les praticiens du droit pénal ? Était-elle réclamée par les observateurs du monde judiciaire, ou par l’opinion publique elle-même ? Il me semble que non ! Va-t-on, avec cette mesure, simplifier la justice et accélérer son cours ? Je crains, hélas, que la formation préalable des citoyens assesseurs et la technicité de certaines affaires ne ralentissent ce dernier, au lieu de l’accélérer. Je suis, depuis quelques années, rapporteur pour avis de certains programmes au sein de la mission « Justice », notamment concernant les services judiciaires. À ce titre, je m’interroge sur les moyens dont disposera la justice pour mettre en œuvre dans de bonnes conditions, c’est-à-dire sans que cela contribue à freiner son cours normal, les nouvelles dispositions prévues par ce texte. Je crois profondément que notre justice a besoin de sérénité. Cela passe, d’abord, par une pause dans les réformes législatives et par l’expression, par les plus hautes autorités de l’État, de leur confiance dans cette institution, dans les femmes et les hommes qui la font vivre au quotidien. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie, à cet égard, d’avoir su, depuis votre prise de fonctions, exprimer cette confiance quand il le fallait. François Zocchetto reviendra tout à l’heure sur le titre Ier de ce projet de loi. À défaut d’avoir réussi à en démontrer le caractère absolument indispensable, notre rapporteur, Jean-René Lecerf, a fait un excellent travail pour, au moins, le rendre applicable. La réforme du droit pénal des mineurs qui nous est proposée est, elle aussi, inattendue, sur la forme comme sur le fond. Sur la forme, d’abord, le projet de loi la lie de manière très artificielle à l’introduction de citoyens assesseurs en correctionnelle, alors que le seul point commun de ces deux mesures est de concerner le droit pénal. On aurait d’ailleurs pu intituler le texte « projet de loi portant diverses dispositions d’ordre pénal », comme il en existait autrefois. Force est de constater qu’il s’agit là d’une mauvaise manière de travailler. Elle est aggravée par l’urgence que le Gouvernement impose au Parlement en engageant la procédure accélérée. La réforme du droit pénal des mineurs est également inattendue sur le fond, car, contrairement à l’introduction des jurés populaires en correctionnelle, le travail sur la justice pénale des mineurs remonte à plusieurs années. Mais, monsieur le garde des sceaux, les mesures que comporte le projet de loi sont bien loin de la création du code pénal des mineurs qui devait constituer la réforme d’ensemble de cette matière annoncée en 2008. À l’époque, votre prédécesseur déclarait qu’une nouvelle réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 - en l’occurrence, la trente-deuxième ! - n’était plus envisageable. La complexité de ce texte fondateur était en effet devenue telle au fil des ans qu’elle nuisait à la clarté et à la compréhension de notre droit. Comme beaucoup, je partage ce constat. Aussi, je ne comprends pas très bien la démarche retenue dans le texte dont nous débattons aujourd’hui : pourquoi avoir, de facto, enterré un projet de code pénal des mineurs dont le processus de conception était presque arrivé à son terme ? Pourquoi avoir abandonné une vraie réforme d’ensemble sur un sujet de fond, au profit d’une énième « modification » de l’ordonnance de 1945 ? Surtout, pourquoi avoir repris des mesures, comme l’institution d’un tribunal correctionnel des mineurs, qui avaient été écartées par les différents groupes d’experts s’étant penchés sur cette problématique ? Sur le fond, je me limiterai à quelques observations sur deux mesures importantes du texte : la convocation par officier de police judiciaire pour les mineurs et le tribunal correctionnel des mineurs. La justice des mineurs trouve sa spécificité dans l’existence du juge des enfants qui, grâce à sa double casquette – civile, lorsque l’enfant est en danger, et pénale, lorsqu’il se met en conflit avec la loi – réussit à avoir une vision globale et presque en temps réel du mineur qui va être jugé. Ce magistrat spécialisé joue donc un rôle central dans la gestion d’un contentieux assez particulier. Le projet de loi prévoit de compléter les modes de poursuites susceptibles d’être engagées à l’encontre d’un mineur, en permettant au procureur de la République, de convoquer par OPJ, devant le tribunal pour enfants, un mineur qui n’aura pas été présenté préalablement à un juge des enfants pour une phase d’instruction préparatoire. Cette disposition est conforme à l’objectif de réduction des délais de jugement, qui est fixé depuis plusieurs années. Sur le principe, j’y souscris : pour être comprise par le mineur, la sanction doit être rapide. Toutefois, la rédaction prévue par le projet de loi permettrait également la mise en œuvre de cette procédure à l’encontre de mineurs primo-délinquants ou n’ayant pas fait l’objet d’investigations récentes. Or, dans ces dernières hypothèses, l’application d’une telle procédure ne me paraît pas pleinement appropriée. C’est pourquoi j’ai déposé plusieurs amendements visant à faire évoluer le texte sur ce point. Au-delà, et malgré les aménagements introduits en commission, je reste sceptique sur la constitutionnalité de cette disposition, qui nous avait déjà été présentée dans le cadre de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ». À l’époque, la commission des lois avait émis des doutes sur la constitutionnalité du dispositif, doutes justifiés puisque cette disposition avait finalement été censurée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 mars 2011. Or l’ensemble des personnes auditionnées par M. Jean-René Lecerf, et notamment le recteur André Varinard, qu’il a cité au début de la discussion générale, ont attiré son attention sur le fait que les dispositions de l’article 17 du projet de loi ne respectaient toujours pas entièrement les exigences formulées par le Conseil constitutionnel. Le texte crée un tribunal correctionnel pour les mineurs âgés de plus de seize ans et poursuivis pour un ou plusieurs délits commis en état de récidive légale, lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à trois ans. Dans l’exposé des motifs, le Gouvernement justifie la création de ce tribunal par le fait que « la réponse pénale sera plus solennelle », et « de nature à prévenir la répétition des infractions ». À cet égard, il me semble nécessaire de procéder à quelques rappels. Tout d’abord, le tribunal pour enfants est composé d’un juge des enfants, qui préside, et de deux assesseurs représentant la société civile, spécialement compétents et au fait des problèmes de la jeunesse, par exemple des enseignants. Ensuite, tous les auxiliaires de justice sont en robe, à l’exception des deux assesseurs. Enfin, la salle d’audience est la même que celle du tribunal correctionnel pour majeurs. Il est dès lors surprenant de considérer que la présence de deux nouveaux magistrats en robe suffirait à créer un tel surcroît de solennité qu’elle serait à elle seule de nature à limiter la récidive... Plus généralement, je tiens à rappeler une nouvelle fois que cette idée du tribunal correctionnel des mineurs avait été examinée dès le début de la réflexion sur le code pénal des mineurs, pour finalement être abandonnée dans l’avant-projet de loi. Je suis donc étonné de la voir réapparaître dans le texte que nous examinons aujourd’hui, alors que de nombreux experts et professionnels l’avaient repoussée. Monsieur le garde des sceaux, à travers ces quelques réflexions que m’inspire le projet de loi, vous l’aurez compris, je souhaite que le débat permette son amélioration.