Les interventions en séance

Agriculture et pêche
Jean-Jacques Lasserre 17/02/2014

«Proposition de loi relative à l՚interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810»

M. Jean-Jacques Lasserre

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un sujet qui, à mon sens, nécessite la plus grande attention et la plus grande mesure. Il a des conséquences locales, nationales et européennes. Il touche les domaines de la santé, de l’agriculture, de la recherche, de l’économie et de l’environnement Il suscite beaucoup d’interrogations, d’incertitudes et d’incompréhension. La proposition de loi déposée par notre collègue Alain Fauconnier est plus que jamais d’actualité, mais elle porte sur un sujet très délicat qu’il convient de traiter avec une grande prudence. De grâce, ne diabolisons pas la situation ! Avant d’aborder le fond, j’évoquerai plusieurs questions qui me viennent à l’esprit. Tout d’abord, pourquoi cette proposition de loi nous est-elle soumise maintenant ? Monsieur le ministre, pourquoi le Gouvernement a-t-il choisi d’engager la procédure accélérée ? L’argument avancé – il s’agirait de légiférer avant la période des semis – ne me semble que peu crédible. Ce tempo est absolument étonnant, d’autant que ce texte devrait être examiné par l’Assemblée nationale en avril, mois durant lequel le Sénat discutera en séance publique du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. J’ai lu aujourd’hui dans la presse que, avant même que le débat ait lieu à l’Assemblée nationale – ce devrait être le 10 avril, si j’ai bien compris –, de nombreux semis seront effectués. Peut-être le maïs que vous comptez interdire sera-t-il concerné ; c’est en tout cas ce qui ressort de l’article que j’ai lu. Il y aura donc des situations pour le moins préoccupantes et embarrassantes sur le terrain. J’en viens à mon incompréhension face à l’absence du thème des OGM dans le grand projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Pourquoi débattre selon la procédure accélérée d’une proposition de loi relative aux OGM plutôt que d’inclure cette thématique dans le projet de loi précité, que nous examinerons après-demain en commission, d’une manière beaucoup plus élargie ? Pourquoi avoir fait l’impasse sur ce sujet dans un projet de loi qui se veut un texte d’avenir ? Les OGM et les nouveaux modes de culture sont pleinement des sujets d’avenir, mais ils sont paradoxalement les grands absents du projet de loi, qui doit pourtant être l’occasion d’examiner des thématiques d’avenir. Pourquoi ne pas essayer de régler une fois pour toutes les deux grandes interrogations qui se présentent à nous ? La première d’entre elles porte sur la recherche et l’expérimentation en plein champ. La grande majorité des acteurs et des décideurs veulent préserver la recherche scientifique, d’autant que, dans différents domaines – médical, notamment, mais également agricole –, la France ne peut rester absente. La seconde grande interrogation concerne la mesure des conséquences, en particulier en matière de dissémination dans l’environnement. C’est un débat qui mobilise les experts et les responsables économiques et politiques ; vous l’avez dit, monsieur le ministre. Il faudrait jeter une fois pour toutes les bases objectives de ce débat, au-delà des démonstrations souvent partisanes qui compliquent les décisions ou les rendent impossibles. L’objet des recherches devrait également être beaucoup mieux cerné ; cela nous permettrait de débattre plus sereinement. Vers quels objectifs, vers quels projets, vers quels produits les scientifiques doivent-ils orienter leurs recherches ? Tous ces éléments devraient donner lieu à une grande discussion lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Pour le formuler différemment, on ne pourra tout de même pas réunir dans l’urgence nos assemblées à chaque demande d’autorisation de mise en culture d’une variété d’OGM. Un cadre général est donc absolument nécessaire. Par ailleurs, cette démarche est paradoxale sur le fond car, nous le savons, et cela vient d’être rappelé, il n’existe pas de consensus pour interdire la culture de maïs OGM dans l’Union européenne. L’actualité relative au maïs TC 1507 du semencier Pioneer le montre clairement : pas plus tard que mardi dernier, le Conseil des ministres des affaires européennes s’est prononcé en faveur de la demande d’autorisation de culture de ce maïs, la majorité qualifiée qui aurait permis de repousser cette culture n’ayant pas été atteinte. La Commission européenne devra donc se prononcer, et l’on peut imaginer, même si ce n’est pas sûr, qu’elle prendra position en faveur de la production ce maïs. Cet exemple montre que le contexte européen est propice à une censure de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, car il est à prévoir que la solidarité entre les États sera respectée. Je le répète, force est de le constater, il n’y a, à l’heure actuelle, aucun consensus pour interdire la culture de ce maïs OGM en Europe. Aussi, le présent texte est problématique, même si je reconnais, à l’instar de nombre de mes collègues, la difficulté à trouver, à l’échelon européen, une position acceptable par tous les États, dès l’instant qu’une grande partie des territoires européens n’est pas du tout concernée par le débat sur la production de maïs. Je reviens un instant sur un autre point qui me semble primordial : on ne peut pas se priver de la recherche et de l’expérimentation en la matière. Nous le répétons inlassablement, il convient d’être prudent eu égard aux incertitudes et aux risques potentiels, mais c’est justement grâce à ce travail de recherche et d’expérimentation que nous avancerons. Or, à mon sens, la présente proposition de loi n’est pas assez orientée vers l’avenir, puisque, alors que nous aurions dû profiter de ce véhicule législatif, elle n’autorise pas explicitement la recherche et l’expérimentation. Comme je ne peux l’accepter, je défendrai tout à l’heure un amendement allant dans ce sens. C’est d’autant plus regrettable que la France, à la pointe en matière d’évolutions technologiques, peut légitimement demander le renforcement des contrôles. Nous n’agissons donc pas sans sécurité ni garde-fou, puisque, rappelons-le, nous avons notamment le Haut Conseil des biotechnologies qui évalue, entre autres paramètres, l’incidence sur l’environnement et la santé des produits en cause. Enfin, mes chers collègues, pardonnez-moi de faire ce parallèle, mais le sujet qui nous occupe aujourd’hui n’est pas sans évoquer celui des gaz de schiste. Là aussi, on refuse de faire progresser la recherche, qui permettrait pourtant de connaître le potentiel de notre sous-sol et les technologies les plus adaptées pour l’exploiter. Il s’agit non pas de dire oui à tout sans contrôle ni mesure du danger, mais plutôt de ne pas s’interdire de pouvoir dire oui, ou non, à la lumière d’expérimentations effectuées de façon raisonnée, intelligente et prudente, associant chercheurs, notamment, organisations professionnelles.
Vous l’aurez compris, je suis, à l’instar de mes collègues du groupe UDI-UC, plutôt méfiant vis-à-vis de sujets comme celui des OGM, mais je ne peux en aucun cas me prononcer contre la recherche et l’expérimentation. Prudence, précaution et méfiance ne doivent pas être des freins au progrès. Or interdiction et destruction semblent être les maîtres mots de la présente proposition de loi. Toutes ces raisons, notamment l’utilisation de la procédure accélérée, m’amènent à penser que, en l’état, le vote de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui a été déposée serait un choix raisonnable nous permettant de nous laisser le temps de la réflexion pour étudier en profondeur ce vaste et délicat sujet. Les membres du groupe UDI-UC voteront donc en faveur de cette motion. Si toutefois elle devait être repoussée, ils détermineront leur vote final en fonction de l’évolution de nos débats. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)