Les interventions en séance

Economie et finances
17/02/2011

«Proposition de résolution relative à la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne»

M. Denis Badré

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sortons progressivement d’une crise économique mondiale de grande ampleur. Cette sortie de crise se fait dans un contexte marqué par le formidable dynamisme des économies de pays émergents ou de puissances qui, comme la Chine, connaissent des taux de croissance à deux chiffres. Dans cet environnement, on constate que les politiques des États de l’Union européenne ne sont pas toutes aussi efficaces et que leurs économies sont inégalement compétitives. Ainsi, l’Allemagne s’est rapidement relevée de la crise et dope ses exportations, quand d’autres pays peinent à redémarrer. Nous savons tous ici ce qu’apporte la compétitivité d’une politique économique en termes d’emplois, de croissance, de résorption de la dette. Nous savons aussi combien il est important que cette compétitivité soit recherchée et partagée par l’ensemble des pays qui ont fait le choix de vivre ensemble dans un marché unique où la monnaie, les capitaux, la main-d’œuvre, les produits et les services sont appelés à circuler librement. Pour des pays qui partagent la même monnaie, faire converger les politiques économiques n’a en tout cas rien d’absurde. Pour commencer, il est parfaitement raisonnable que l’Allemagne et la France, qui totalisent 70 % du PIB de la zone euro, se donnent pour priorité de rapprocher leurs économies et de le faire en visant la meilleure compétitivité. Il est même indispensable et assez naturel qu’il leur soit demandé d’imprimer un même mouvement à la zone euro, alors qu’elles entendent continuer à assumer ensemble une responsabilité politique générale exigeante au service de la construction européenne, ce dont, personnellement, je me félicite. Monsieur Collin, le groupe de l’Union centriste ne veut pas partager le scepticisme qui marque la proposition de résolution, au demeurant intéressante, que vous venez de présenter. Nous ne pouvons pas non plus reprendre à notre compte les arguments qui la sous-tendent.
Je vous remercie néanmoins de nous donner ainsi l’occasion de traiter ici de ce sujet passionnant. Nous devons analyser en particulier les efforts entrepris par l’Allemagne qui distance la France en termes de compétitivité. Nous devons développer notre réflexion à partir de ce constat. Évidemment, il nous faut le faire avec la lucidité voulue pour laisser vivre nos différences de culture, ce qui implique un regard critique sur les moyens à mettre en œuvre pour que notre économie, aux côtés de celle de l’Allemagne, contribue elle aussi à la relance de l’Union européenne. L’objectif est rappelé, mais l’atteindre n’est pas simple. Le rapport établi par l’institut Coe-rexecode sur le thème de la comparaison des situations économiques française et allemande fait apparaître entre 2000 et 2008 un effet ciseau croissant qui oppose une érosion régulière de notre compétitivité à une consolidation constante de celle que connaît l’Allemagne, notamment en matière industrielle. La perte relative de terrain de la France sur son partenaire préféré concerne même l’agriculture. Elle transparaît à tous les niveaux, qu’il s’agisse du coût du travail, des dépenses de recherche et développement ou encore du niveau des prélèvements obligatoires, qui font la une de l’actualité. En 2010, la politique économique allemande porte les fruits de réformes économiques et sociales courageuses. Je pense notamment à la loi Hartz IV, qui accroît la flexibilité du travail. L’Allemagne récolte aussi les fruits d’un climat social qui, au plus fort de la crise, est resté plus réaliste et plus constructif que celui qui régnait en France. Le résultat semble sans appel. En 2010, la balance commerciale affiche un excédent de 160 milliards d’euros en Allemagne, alors qu’elle accuse un déficit de 50 milliards d’euros de l’autre côté du Rhin. Le déficit public allemand, en pourcentage du PIB, est deux fois moins important que celui de la France et diminue beaucoup plus rapidement. Le taux de chômage au mois de décembre dernier était de 6,6 % en Allemagne contre 9,7 % en France. La croissance du PIB y est de 3,6 contre 1,6 chez nous. En résumé, après des années d’atonie, la santé de l’économie allemande pourrait paraître insolente si elle n’était pas parfaitement justifiée. Considérons-là simplement comme exemplaire (Mme Nicole Bricq proteste) et essayons d’analyser ce modèle. Avant de suivre cet exemple, prenons tout de même en compte certaines différences de structures. La recette miracle allemande n’est pas immédiatement transposable en France. L’économie française colbertiste repose beaucoup moins sur les exportations et bien davantage sur la consommation, elle-même favorisée par une importante redistribution de richesses par l’État ou sur son initiative. Je révère Colbert, dont la statue se trouve juste derrière moi, mais il faut le révérer avec lucidité et réalisme ! Malheureusement, monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, le développement de notre consommation enrichit aussi la Chine, et pas seulement à la marge. Cela présente certains avantages, mais aussi des inconvénients. En même temps, notre penchant keynésien a permis de lisser les effets de la crise, quand les économies purement libérales étaient à la dérive. Il faut le dire ! Exportatrice, l’économie allemande est également décentralisée, caractéristique si étrangère à notre culture que, lorsque nous nous « appliquons » à décentraliser, nous le faisons toujours de manière centralisée – il nous est impossible de faire autrement – et uniforme, depuis Paris ! Le principe de subsidiarité reste peu lisible, voire incompréhensible, en France. Selon ce principe, les interventions se font au plus près du « terrain », et l’on accepte de fédérer ses efforts, ses difficultés et ses ambitions, à partir du moment où l’on est sûr de ne pas pouvoir être plus efficace autrement. Cela appelle un effort constant de notre part. Il est dommage que ce principe soit peu lisible en France, car il constitue une belle école de responsabilité pour les citoyens comme pour les dirigeants d’entreprise. Avec ses atouts, l’Allemagne tire le parti maximum de la croissance des pays émergents, même si elle a subi plus fortement l’arrêt brutal de la demande internationale. On ne peut pas tout avoir ! En outre, les relations sociales en Allemagne sont consensuelles, d’autant plus naturellement qu’elles sont, elles aussi, décentralisées. Dans un État fédéral, la décentralisation est en effet la base de toute chose. Les négociations, enfin, sont globales, puisqu’elles portent à la fois sur le temps de travail, les salaires et l’emploi. Un point est plus encourageant, tout de même, s’agissant des comparaisons entre nos économies : les deux pays partagent une même approche socio-libérale de l’économie. Cette profonde communauté de sensibilités permet déjà de se comprendre, ce qui est précieux. Sans ignorer les différences, il nous faut rechercher puis valoriser toutes les possibilités de convergence ! Des marges de progrès existent vraiment. C’est dans ce domaine que les propositions du pacte de compétitivité franco-allemand sont évidemment les plus intéressantes. Elles peuvent paraître peu ambitieuses. Il nous reste à miser pragmatiquement, « à l’allemande », sur elles, et à avancer. Elles traduisent surtout une volonté politique commune dont l’affirmation même est déjà essentielle et déjà porteuse d’avenir. La Cour des comptes va rendre publiques ses conclusions sur les problèmes posés en matière de convergence des fiscalités française et allemande. Ces comparaisons vont nourrir le débat, lancé pour ce semestre, sur l’évolution de notre propre fiscalité. J’ai par ailleurs noté que le Président de la République portait une grande attention à la réalité allemande et à tout ce qui pouvait resserrer cette convergence. Tant mieux ! Nous connaissons donc une conjoncture plutôt favorable pour opérer, au moins à l’échelle franco-allemande, une coordination fiscale, premier pas vers une coordination de nos politiques économiques.
Peut-être une telle initiative entraînera-t-elle d’autres économies de la zone euro à appliquer les « bonnes pratiques », telles que le plafonnement de la dette ou le rapprochement des taux d’impôt sur les sociétés, pour ne citer que ces deux exemples. À terme – il faut l’espérer et y croire –, cette démarche intergouvernementale pourra être consacrée à l’échelon communautaire. C’est bien la méthode Schuman ! Elle se fait pas à pas, par des avancées concrètes. C’est ainsi que nous pourrons le plus solidement et irréversiblement réduire les tentations de dumping fiscal qui subsistent dans l’Union européenne. La solidarité y gagnera et, avec elle, la croissance et l’emploi de tous, au sein du grand marché européen. La France doit l’accepter, l’environnement mondial a évolué. Que l’on en pense du bien ou du mal, c’est une réalité incontournable. C’est dans ce contexte, d’abord à l’échelle de l’Eurogroupe, puis de l’Union européenne, que de nouvelles voies doivent être ouvertes. Parce qu’ils se situent dans cette perspective européenne, les membres du groupe de l’Union centriste ne partagent pas le scepticisme qui nourrit la proposition de résolution qui nous est soumise. Du scepticisme au pessimisme, il n’y a qu’un pas. Nous ne voudrions pas nous retrouver entraînés à le franchir, alors que, pour reprendre une formule connue, « le pessimiste se condamne à être spectateur ». Dans la compétition mondiale qui est engagée, nous entendons bien rester acteurs, avec la France et dans l’Union européenne !