Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 17/02/2011

«Proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d’intérêt à agir des membres de l՚Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir»

M. François Zocchetto, président du groupe Union Centriste

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par Yvon Collin et certains de ses collègues du groupe RDSE soulève de vraies questions et suscite un réel débat, comme l’attestent les propos des différents orateurs qui se sont succédé à la tribune. Même si, il faut bien le reconnaître, ce débat peut paraître très technique à la plupart de nos concitoyens, ses termes sont très concrets.
Le Conseil d’État ne s’est jamais prononcé en faveur de l’intérêt à agir d’un parlementaire invoquant une atteinte aux prérogatives du Parlement. C’est pourquoi les auteurs de la proposition de loi proposent d’apporter une réponse législative aux incertitudes jurisprudentielles. Cela mérite débat, j’en conviens. Si j’ai bien compris, nos collègues du RDSE nous proposent de doter les parlementaires d’une présomption d’intérêt à agir dans trois hypothèses : celle où le pouvoir réglementaire empiéterait sur une matière constitutionnellement réservée au pouvoir législatif ; celle où une mesure réglementaire méconnaîtrait la loi ; celle, enfin, où le pouvoir réglementaire ne prendrait pas dans un délai raisonnable les mesures d’application d’une loi.
J’ai beaucoup apprécié le travail mené par M. le rapporteur et les débats qui ont eu lieu au sein de la commission des lois. Trois options ont été mises en évidence : soit, comme le proposent les auteurs de la proposition de loi, les parlementaires se voient reconnaître un très large intérêt à agir ; soit, par principe, il leur est dénié tout intérêt à agir du seul fait de leur qualité ; soit cette qualité leur est reconnue dans un nombre limité de cas. C’est cette dernière voie qu’a choisie M. le rapporteur en retenant deux hypothèses où un intérêt à agir pourrait être reconnu aux parlementaires. La première hypothèse est celle où le Premier ministre refuserait de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une loi. Si cette disposition devait être adoptée, elle aurait des conséquences particulièrement importantes. À cet égard, les exemples qu’a cités notre collègue Jean-Pierre Sueur sont éloquents. Chacun d’entre nous a été au moins une fois rapporteur d’un texte et a pu faire l’expérience de la frustration qu’on peut éprouver quand, six mois, un an, deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans après son adoption, les décrets d’application ne sont toujours pas pris, si tant est qu’ils le soient jamais. Me vient à l’esprit le cas d’une loi de procédure pénale, promulguée voilà maintenant sept ans, dont tous les décrets d’application n’ont pas encore été pris... Certes, ces mesures réglementaires restant en souffrance sont peu nombreuses, mais le Parlement s’étant prononcé clairement et souverainement, cette situation est problématique. C’est pourquoi l’approche de M. le rapporteur me paraît très intéressante. La seconde hypothèse dans laquelle l’intérêt à agir pourrait être reconnu aux parlementaires, qui prête sans doute moins à discussion, est celle où un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité aurait été pris alors que cette autorisation devait être accordée par une loi. L’approche retenue par la commission peut paraître séduisante. Néanmoins, comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission, je ne suis pas totalement convaincu par la nécessité d’adopter ce dispositif. À mon sens, trois interrogations subsistent, lesquelles, n’en doutons pas, ne seront pas tranchées par le débat d’aujourd’hui. Premièrement, je m’interroge sur la constitutionnalité du dispositif proposé. En effet, la proposition de loi évoque une forme de nouvelle régulation juridictionnelle de la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Certes, je ne suis pas constitutionnaliste, mais, intuitivement, au regard du principe de séparation des pouvoirs, qu’on nous enseigne dès l’école primaire en cours d’instruction civique, j’ai tendance à penser que cette évolution peut difficilement se passer d’une base constitutionnelle. Deuxièmement, je m’interroge sur les conséquences qu’aurait cette évolution sur le bon fonctionnement de nos institutions. À mon sens, on ne peut être que réservé sur le sens et l’utilité d’une forme de juridictionnalisation du contrôle exercé par les assemblées sur l’action du Gouvernement. Les parlementaires, fussent-ils juristes, pourraient éprouver un certain dépit à devoir privilégier l’action devant les tribunaux, en lieu et place du débat parlementaire et politique. J’ai le sentiment que, si nous nous engagions dans cette voie, nous nous dessaisirions, nous, parlementaires, de nos prérogatives constitutionnelles en matière de contrôle de l’action gouvernementale. Les actions que nous pourrions engager devant le Conseil d’État, en tant que parlementaires, concernant l’application des lois, ne pourraient que troubler nos concitoyens : pourquoi, se demanderaient-ils, des députés ou des sénateurs emprunteraient la même voie que nous en saisissant la juridiction administrative alors qu’ils ont théoriquement des prérogatives que nous n’avons pas ? Cela provoquerait également des interrogations au regard du fonctionnement de la justice. En effet, le texte proposé reviendrait indirectement à créer une forme d’action populaire, et Jean-René Lecerf a évoqué ce risque dans son rapport. Or le Conseil d’État a toujours pris soin d’éviter toute forme d’action populaire.
Je rappelle que, en matière pénale, en France, on refuse qu’il y ait des procureurs privés : nous sommes attachés à ce que l’action publique soit exercée par des magistrats, les magistrats du parquet. En outre, je ne suis pas convaincu que le recours aux juges serait plus efficace que le dialogue politique sur l’adoption des décrets.
Je remercie M. Yvon Collin et ses collègues de nous entraîner dans une réflexion qui, de prime abord, ne m’apparaissait pas essentielle. Mais, plus on y songe, plus on s’aperçoit qu’il y a quelque chose à faire. Toutefois, je me demande si le travail à accomplir n’est pas de plus grande envergure. Dans une République modernisée, où les pouvoirs seraient rééquilibrés en faveur du Parlement – même le Président de la République s’est exprimé en ce sens –, ne faut-il pas envisager des adaptations et des innovations institutionnelles ? Monsieur Collin, vous ouvrez la voie à une réflexion bien plus approfondie, qui devrait se nourrir de propositions de juristes que nous ne sommes pas forcément, du moins que je ne suis pas. Vous aurez compris, cher collègue, mes réticences importantes à l’égard de votre proposition de loi, quel que soit l’intérêt que j’y porte. Mes collègues de l’Union centriste et moi-même sommes prêts à vous accompagner dans la réflexion d’innovation constitutionnelle qui pourrait être proposée dans les mois ou les années à venir. Cela apparaît, en effet, comme une nécessité, au moins en ce qui concerne les retards pris par le pouvoir exécutif dans la publication des textes d’application des lois. (Applaudissements sur le banc de la commission.)