Les interventions en séance

Justice
17/02/2010

«Projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale»

M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. 

La volonté de protéger la société contre ceux que l’on considère comme fous est ancienne. La loi des 16 et 24 août 1790 assignait déjà « à la vigilance des corps municipaux le soin d’obvier ou remédier aux événements fâcheux occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté ainsi que par les animaux malfaisants ou féroces ». L’hospitalisation d’office découle de ce pouvoir de police dans lequel le juge n’intervient pas. La faculté de proposer des soins comme alternative ou complément de peine a été prévue en 1954 pour les alcooliques et en 1958 pour tous les malades. En dix ans, ces dispositifs ont été complétés à quatre reprises par les lois des 17 juin 1998, 12 décembre 2005, 10 août 2007 et 25 février 2008. Celle du 12 décembre 2005 a permis au juge d’ordonner une hospitalisation d’office dans les cas où l’irresponsabilité pénale du malade fait qu’il ne serait pas condamné. L’intitulé des textes adoptés depuis 1998 reflète les inquiétudes liées aux infractions sexuelles et à la récidive. L’ampleur de la violence faite aux femmes et aux enfants a fait l’objet d’une prise de conscience récente. L’augmentation du nombre d’infractions sexuelles constatées résulte essentiellement de la rupture du silence des victimes. Cette libération de la parole n’est pas achevée : entre 2000 et 2006, le nombre de personnes ayant déclaré avoir été victimes de ce type de violence a doublé tandis que le nombre de plaintes est resté stable. Le renforcement progressif de la législation ne semble pas en avoir amélioré l’efficacité. La loi de juin 1998, qui a créé le suivi socio-judiciaire et la possibilité d’injonction de soins, est unanimement saluée par les soignants. Si l’expertise psychiatrique le justifie, le juge peut décider qu’à l’issue de la peine, le condamné devra accepter d’être traité ou retourner en prison. Ce dispositif permet de préserver le principe du consentement aux soins tout en imposant une contrainte suffisamment forte pour surmonter le refus, une des principales difficultés rencontrées par les médecins. Il ne s’agit pas simplement de protéger un droit mais d’une nécessité médicale pour obtenir des résultats durables. Ainsi, le médecin peut conduire le condamné à devenir un patient, engagé dans une démarche de soins. L’injonction de soins permet de commencer le traitement. Chacun est dans son rôle : le juge d’application des peines s’assure du respect de l’injonction, le médecin traitant prescrit la thérapeutique appropriée. Afin de respecter la séparation entre pouvoir judiciaire et médecine, l’interlocuteur du juge est un médecin coordonnateur qui veille au respect par le patient du suivi thérapeutique. Il n’interfère pas avec les prescriptions du médecin traitant et peut seulement refuser que le condamné n’ait recours qu’à un psychologue traitant. Cette séparation claire entre justice et soins est aujourd’hui remise en cause car on demande à la médecine d’assurer une mission qui n’est pas la sienne : protéger la société. La dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminelle ne se confondent pas. (Approbation à gauche) Un psychiatre peut déterminer le risque d’auto et même d’hétéro-agressivité d’un malade mais ne peut en déduire un risque de commettre un crime ou un délit. La criminologie est une science en devenir : elle a beaucoup de mal à évaluer la dangerosité d’un condamné, et donc le risque de récidive. Le meilleur outil pour cela serait un instrument presque totalement empirique, le tableau actuariel, sorte de barème confrontant des critères liés au condamné et aux faits qui lui sont imputés. C’est dire le degré de fiabilité qu’on peut lui accorder... Est-il légitime de faire compenser par la médecine les incertitudes de la criminologie ? La loi de février 2008 a instauré la rétention de sûreté, c’est-à-dire l’internement des personnes dangereuses dans des établissements de soins. Il y là un grave risque d’amalgame : toute personne dangereuse n’est pas soignable ; la dangerosité n’est pas une pathologie et on ne peut, par exemple, soigner un psychopathe. La commission des affaires sociales s’est donc saisie des deux articles de ce projet de loi ajoutés par l’Assemblée nationale qui pourraient renforcer la confusion entre justice et soins. Ainsi, le juge pourrait prescrire, voire imposer un traitement appelé par les urologues « castration chimique », inhibiteur de la testostérone et donc, dans une certaine mesure, de la libido. Le terme de castration me paraît impropre, d’autant que les effets du traitement sont réversibles : je préfère parler de traitement antihormonal. En outre, ce texte impose de demander aux experts d’apprécier l’utilité du traitement, dont l’interruption entraînerait un retour en prison ou en rétention de sûreté. Il crée là un cas unique où des conséquences judiciaires sont attachées à une thérapie. Le traitement antihormonal dispose d’un statut légal particulier : c’est le seul médicament qui figure explicitement dans le code de la santé publique comme pouvant être prescrit. Cette disposition a été introduite dans la loi de 2005 sur la récidive à l’initiative du rapporteur de notre commission des lois, François Zocchetto. A l’époque, les traitements antihormonaux étaient utilisés pour soigner le cancer de la prostate et n’avaient pas d’indication en matière de pathologie mentale. Il fallait donner une base légale à leur utilisation dans ce cadre. Cette exception n’est aujourd’hui plus justifiée. Il existe désormais trois médicaments pour traiter la « déviance sexuelle », selon les termes de l’annuaire Vidal. Le traitement, pris en charge par la sécurité sociale, a fait ses preuves mais il ne s’agit en aucun cas d’un remède miracle. Il ne peut soigner que 5 à 10 % des délinquants sexuels et, comme il crée une andropause, les effets secondaires sont importants. Un médecin peut donc commencer le traitement puis le modifier, l’interrompre ou l’abandonner tout en continuant les soins. Le malade doit-il pour autant retourner en prison ? Surtout, il ne s’agit pas d’un traitement pour condamnés dangereux. Les médecins peuvent le prescrire à des personnes qui souffrent de pulsions envahissantes, mais beaucoup d’entre elles ne passent jamais à l’acte. En faire une obligation légale, c’est laisser entendre que la médecine a les moyens d’empêcher les délinquants sexuels de récidiver. C’est dangereux : tout échec serait alors considéré comme un échec de la médecine. Le texte adopté par la commission des lois a, grâce à l’excellent travail du rapporteur, apporté de nombreuses clarifications pour réduire la confusion entre le rôle du juge et celui du médecin et pour préserver le secret médical. Toutefois, la commission des affaires sociales souhaite aller plus loin en supprimant toute référence au traitement antihormonal et en mettant fin à l’exception dont il fait l’objet dans le code de la santé publique. Le médecin doit pouvoir prescrire le meilleur traitement, sans autre contrainte que la volonté de suivre son patient. C’est à cette condition que justice et santé pourront oeuvrer sans ambiguïté pour le soin et la protection des personnes. (Applaudissements au centre, sur plusieurs bancs à droite et sur plusieurs bancs socialistes)