Les interventions en séance

Affaires sociales
Chantal Jouanno 16/09/2013

«Projet de loi pour l՚égalité entre femmes et hommes»

 

Mme Chantal Jouanno

Madame la ministre, mes chers collègues, tout le monde l’a rappelé, l’histoire est longue, même très longue, et les quelques chiffres qui sont parfois exhibés pour nous démontrer que la situation s’améliore ressemblent, en réalité, à une bien pauvre aumône. La réalité est malheureusement très simple, et elle a été rappelée à plusieurs reprises : dans le monde économique et politique, dans l’univers des médias, de la culture et du sport, au sein des syndicats aussi, le pouvoir est à plus de 80 % masculin – donc, à moins de 20 % féminin. En revanche, pour ce qui est de la paupérisation des familles monoparentales, des violences sexuelles, de la prostitution, le rapport s’inverse. Plus grave encore, le recul nous menace ; nous défendons la parité et l’égalité, mais les nouvelles générations baignent dans un contexte culturel qui pourrait, dès le plus jeune âge, leur faire intégrer que l’inégalité est quasi naturelle. Nous n’avons donc qu’un message à délivrer en priorité : ne nous résignons pas, la France n’est pas condamnée à conjuguer les droits de l’homme au masculin ! Madame la ministre, cette loi va dans le bon sens parce qu’elle est globale. Elle est pratique, concrète et, dans l’ensemble, nous la soutenons. Naturellement, cette introduction positive n’est pas un blanc-seing. Quelques sujets fâchent notre groupe – je pense tout particulièrement au congé parental, sur lequel Mme Muguette Dini reviendra sans doute –, et il en est d’autres sur lesquels nous aimerions aller plus loin. Ainsi, s’agissant des violences sexuelles, nous souhaiterions revenir sur cette éternelle question des délais de prescription. Muguette Dini y reviendra certainement aussi – vous connaissez sa constance sur ce point ! Toutefois, globalement, nous sommes ouverts. Nous sommes extrêmement favorables aux dispositions relatives aux familles monoparentales. À ce propos, il serait, à mon sens, utile qu’une loi entière soit consacrée à ces familles. Les règles qui nous régissent ont, en effet, été définies sur un modèle familial dit « classique », qui n’est plus adapté à la réalité actuelle. La contradiction existant entre cette réalité sociétale et les règles qui nous régissent poussent aujourd’hui de nombreuses familles dans la désespérance et la paupérisation. Ce serait donc faire œuvre utile que de parvenir à un accord sur ce sujet de société. Je ne reviendrai pas sur les dispositions concernant l’objectif de parité, car je veux en venir tout de suite à trois sujets qui me tiennent à cœur, dont les deux premiers seront peut-être les plus délicats dans cet hémicycle. Le premier concerne la reconnaissance des droits des personnes transgenres ou transsexuelles, et c’est bien d’égalité que je veux vous parler. Parce que nos connaissances ont évolué, la transsexualité est une réalité. Être transsexuel n’est pas une maladie, pas plus que ce n’est un caprice. On ne choisit pas d’être femme, on est femme au-delà de son apparence. Cela vient d’être rappelé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les procédures actuelles de changement d’état civil plongent ces personnes dans un tel état de désespoir que, aujourd’hui, leur taux de suicide est considérable. Cela tient à notre procédure qui, vous le savez, est à 100 % médicalisée. Il suffirait de la modifier et de confier cette décision à la justice. Je ne pense pas qu’il faille ouvrir un débat sur la théorie du genre ici, car je doute que nous parvenions à un consensus… Je défends simplement la cause de ces personnes oubliées parce que j’ai eu la chance de les rencontrer et parce que je suis libérale et place toujours l’individu au-dessus des conventions sociales. Je ne pense que l’égalité entre les hommes et les femmes – pardon, entre les femmes et les hommes ! – ne s’arrête pas à la porte des personnes transsexuelles ou transgenres : la loi, rien que la loi… mais pour tous ! Deuxième sujet délicat : la prostitution. Je précise que mes positions sont parfaitement distinctes de celles qui sont exprimées dans le rapport que Jean-Pierre Godefroy et moi-même rédigeons. Je suis abolitionniste, je le revendique, et ce que je découvre sur la prostitution au fil de l’élaboration de ce rapport ne fait que renforcer mes convictions. Les personnes prostituées, il faut le dire dès l’abord, méritent notre respect. Il faut en parler autrement. Certaines ont fait le choix d’être prostituées, mais elles sont rares, et de plus en plus. La grande majorité est, en réalité, victime de réseaux de criminalité organisée, qui se jouent des règles européennes et font preuve d’une violence inouïe. Nous parlons d’un crime organisé qui est, à l’heure actuelle, le troisième business le plus rentable, après les armes et la drogue, et qui se développe à grande vitesse. Les amendements que je défendrai visent simplement à inverser notre regard. Ces personnes, majoritairement des femmes, sont non pas des coupables, mais bien des victimes. Comme toutes victimes, elles doivent être protégées pour pouvoir dénoncer ces réseaux. Les clients ne sont pas des hommes bienveillants ou ignorants, ils sont indirectement complices de ces crimes. Certains voudraient faire une distinction entre traite des êtres humains et prostitution. La réalité est que cette distinction fait le jeu des réseaux, et le grand pays des droits de l’homme qu’est le nôtre, qui va donner des leçons à travers le monde, ferait bien d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe sur son territoire, à quelques kilomètres à peine de cet hémicycle ! Troisième sujet prioritaire à mes yeux, sans doute le plus simple à évoquer : la lutte contre l’hyper-sexualisation. Ce sujet a souvent été repris au cours des discours. Notre constat est que l’égalité est menacée par la banalisation de l’hyper-sexualisation et des codes de la pornographie. Peut-être que nous, en tant qu’adultes, ne le voyons pas, mais nos enfants baignent dans ce contexte. Que vous preniez les dessins animés, les jouets, les sites internet, les journaux pour jeunes filles, partout, vous retrouvez ces codes de l’hyper-sexualisation. Et quand je dis « partout », la liste est longue ! Je sais que le législateur n’est pas un moralisateur : nous n’avons pas à définir ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. En revanche, nous avons le devoir de traduire dans notre droit un principe international qui est celui de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il serait bon d’avoir, comme nous avons une Charte de l’environnement, une Charte de l’enfant. Les concours de beauté d’enfants, les concours de « mini Miss », par exemple, ne me semblent en rien répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant. Aussi vous proposerai-je de les interdire purement et simplement, même si je sais que les modalités juridiques de cette mesure doivent être définies. Madame la ministre, je tiens d’ailleurs à cet égard à remercier votre cabinet, qui est toujours très disponible. Mes chers collègues, ce débat sera très intéressant. Le pire serait la résignation face à ce que je définis bien comme un combat, monsieur Sueur. Il ne s’agit pas d’un combat personnel, même si nous avons pu parfois subir quelques quolibets. Nous n’avons pas ici, dans notre combat, à panser de blessures individuelles. Nous ne demandons pas l’aumône. C’est la République qui est un combat, et c’est pour cela que j’utilise ce terme, car il s’agit d’un combat pour l’égalité, d’un combat pour la méritocratie. Dans un pays qui, aujourd’hui, ne cesse de chercher les moyens de renforcer ses richesses, notamment humaines, il est véritablement dommage de laisser sur le bord de la route autant de talents. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)