Les interventions en séance

Economie et finances
Vincent Capo-Canellas 16/05/2013

«Proposition de loi permettant l՚instauration effective d՚un pass navigo unique au tarif des zones 1 et 2»

M. Vincent Capo-Canellas

M. le rapporteur nous a dit, en commission, qu’il ne lui serait sans doute pas facile de convaincre sur ce sujet. Je tiens à saluer sa clairvoyance… Il est vrai qu’en inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat, nos collègues du groupe CRC ont pris le risque d’importer dans notre enceinte les débats qui se tiennent au sein du conseil régional d’Île-de-France et du Syndicat des transports d’Île-de-France. L’exercice n’est donc pas aisé en soi. Nous comprenons que l’augmentation du versement transport supposerait une évolution législative que, pour notre part, nous entendons repousser. Vous nous demandez, en conséquence, de solder un différend interne à une majorité régionale quelque peu désemparée. L’origine de cette proposition de loi remonte à la campagne pour les élections régionales de 2010. Les Verts défendaient alors la mise en place d’une tarification unique dans les transports collectifs franciliens, face à Jean-Paul Huchon et aux socialistes. Entre les deux tours, ils réussirent à imposer cette mesure à Jean-Paul Huchon, qui pour sa part n’en voulait guère, semble-t-il. Depuis, en application de cet accord électoral, la majorité rose, verte et rouge du conseil régional d’Île-de-France a voté le principe de la création du pass navigo unique en décembre 2011, sans pour autant le mettre en œuvre, faute de financement… Voilà pourquoi nous sommes amenés aujourd’hui à examiner la présente proposition de loi, d’ailleurs défendue par le groupe CRC et non par le groupe écologiste et son président, ancien vice-président du conseil régional d’Île-de-France chargé des transports, qui nous rejoindra sans doute sitôt terminée la conférence de presse du Président de la République. Cette mesure ne pouvant être financée par le budget du STIF, il nous est aujourd’hui proposé de la faire financer par les entreprises franciliennes. L’augmentation du versement transport prévue par le texte doit en effet permettre de compenser la perte de recettes résultant, pour le STIF, de l’alignement de l’ensemble des tarifs du pass navigo sur le moins cher d’entre eux, à savoir celui des zones 1-2. Sur le fond, la mise en place d’un tarif unique de 65 euros pour le pass navigo, même si elle relève d’une bonne intention, serait contre-productive pour les usagers des transports en commun d’Île-de-France eux-mêmes. Je vois au moins trois raisons de nous opposer à une telle mesure. Premièrement, l’instauration d’un tarif unique favoriserait l’étalement urbain, comme vient d’ailleurs de le rappeler Philippe Esnol. Cela irait à l’encontre de la tendance générale à la densification de l’habitat autour des gares et serait, au passage, contradictoire avec les objectifs fixés par le schéma directeur de la région Île-de-France, le SDRIF, qui vise à limiter l’installation des populations de plus en plus loin en grande couronne. En outre, vous raisonnez comme si ceux qui s’éloignent de Paris ne le faisaient que pour des raisons économiques. Le coût des loyers joue bien sûr un rôle, mais il s’agit également de choix de vie. M. le ministre a rappelé tout à l’heure très opportunément que s’installer en grande couronne n’a rien d’une punition et que les territoires concernés méritent toute notre considération. La tarification unique ne répond pas, ou très mal, à cette problématique. De même, comme l’a souligné mon collègue Hervé Maurey en commission, elle ne permet pas non plus de traiter le problème du « mur tarifaire » pour les usagers des régions limitrophes de l’Île-de-France. Elle ne ferait au contraire qu’accroître l’écart important qui existe entre les tarifs appliqués à ces usagers et ceux dont bénéficient les populations qui résident du « bon » côté de ce mur. Deuxièmement, la mise en œuvre de la proposition de loi, qui prévoit une harmonisation des taux du versement transport, conduirait à prélever entre 500 millions et 800 millions d’euros supplémentaires sur les entreprises franciliennes de plus de neuf salariés. M. le rapporteur proposera, par voie d’amendement, de limiter cette augmentation du versement transport à 500 millions d’euros. Cela est habile, eu égard à la grande circonspection que suscite cette mesure sur les différentes travées de notre hémicycle, mais est-ce suffisant ? Je pense que non. Compte tenu de la crise économique, de l’avalanche de taxes que les entreprises ont subie ces derniers mois, est-ce bien raisonnable ? Certes, le versement transport a été créé, en 1971, afin de faire contribuer les entreprises au financement des déplacements de leurs salariés entre le domicile et le lieu de travail, mais rappelons que la loi de finances de 2013 a déjà augmenté de 0,1 point les taux applicables aux trois zones du versement transport d’Île-de-France et que le taux du versement transport pour la zone 3, qui regroupe les communes de grande couronne, doit passer en trois ans de 1,4 % à 1,7 %. En outre, les entreprises remboursent déjà pour moitié l’abonnement au pass navigo de leurs salariés. Il en résulte qu’elles constituent la plus importante des trois sources de financement du fonctionnement des transports en commun en Île-de-France, leur part atteignant environ 45 %. Augmenter le versement transport reviendrait à encore alourdir les charges supportées par nos entreprises. À l’heure où tout le monde s’accorde à vouloir favoriser leur compétitivité, cette mesure serait un mauvais coup pour l’emploi en Île-de-France ! Dès lors, on comprendra que les pistes évoquées dans la proposition de loi concernant l’évolution du versement transport ne nous paraissent pas acceptables en l’état. Enfin et surtout, en matière de transports en Île-de-France, la priorité doit, me semble-t-il, être accordée aux investissements dans le réseau et non au financement d’une mesure certes généreuse, mais démagogique. L’Île-de-France a accumulé un retard considérable en matière d’investissements, que ce soit dans l’entretien des voies, dans le matériel roulant ou, plus globalement, dans le réseau. Que demandent les Franciliens ? Quelle est leur priorité ? Ils souhaitent avant tout un renforcement de l’offre de transports en commun et un service plus fiable et régulier pour leurs déplacements quotidiens, notamment pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail. Ce constat, tous les élus franciliens le font. Ce matin même, monsieur le ministre, je suis resté bloqué vingt-cinq minutes dans le RER B ! Le réseau est de plus en plus saturé, les usagers subissent quotidiennement retards et inconfort. Les retards, les défaillances dans la gestion, les avaries de matériel, le nombre insuffisant de rames, le manque d’information des voyageurs en gare, de propreté et de sécurité nuisent aux conditions de vie des Franciliens et à l’attractivité de la région d’Île-de-France. Il est urgent de décongestionner les réseaux de transport collectifs franciliens. Si l’on choisissait de mettre en place la tarification unique, les Franciliens verraient l’investissement dans les transports stagner. Ce serait faire un cadeau empoisonné aux voyageurs. En outre, cela coûterait cher sur une longue durée. Pour autant, il faut réfléchir – le STIF le fait – à la politique tarifaire, car il est vrai que le système actuel, organisé en zones concentriques, est obsolète, complexe et illisible pour les usagers. Il a été conçu en fonction de dessertes radiales. Un certain nombre de mesures ont été prises récemment en matière tarifaire, notamment le dézonage le week-end et les jours fériés. Par ailleurs, un système de tarification sociale existe. Il faut sans doute réfléchir à un nouveau système de tarification, plus moderne et plus efficace. À cet égard, nos collègues du groupe CRC posent une bonne question. Cela étant, la réforme du système tarifaire francilien doit accompagner, et non précéder, le développement d’infrastructures et l’amélioration de la qualité du service, d’autant que la demande de transports collectifs va encore s’accroître dans les prochaines années. Gardons enfin à l’esprit que, si l’on établit une comparaison entre les grandes métropoles, la part acquittée par l’usager des transports en commun franciliens est l’une des plus faibles qui soit. C’est une chance, mais c’est aussi un élément dont il faut tenir compte dans la réflexion. Si une hausse des taux du versement transport devait être envisagée, le STIF devrait s’en servir en priorité pour financer les investissements nécessaires à l’amélioration des transports existants et au développement de lignes nouvelles. Cette proposition avait été faite avant l’aggravation de la crise. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi a, selon nous, le défaut d’aborder le problème des transports collectifs en Île-de-France de façon isolée et de le traiter sous le seul angle de la tarification. Nous ne pourrons répondre aux demandes des Franciliens que si d’importants investissements sont réalisés. C’est tout l’enjeu du projet du Grand Paris Express. Loin de résoudre le problème, orienter les financements vers la tarification, et non vers les investissements, l’aggraverait plutôt. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cette proposition de loi.