Les interventions en séance

Droit et réglementations
Catherine Morin-Desailly 16/02/2012

«Proposition de loi relative à l՚égalité salariale entre les hommes et les femmes»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’évidence, dans cet hémicycle, nous partageons tous le même constat sur la situation d’inégalité salariale entre les femmes et les hommes et nous souhaitons tous, à l’instar des auteurs de la présente proposition de loi, voir enfin l’écart de rémunération se réduire, mieux, disparaître. En effet, force est de constater que, si les textes sur l’égalité salariale se succèdent, les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, eux, restent stables depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Alors que le taux d’activité des femmes entre quinze et soixante-quatre ans est de 84 %, un homme touchait, en 2010, un salaire brut supérieur en moyenne de 26 % à celui de son homologue féminine, à poste équivalent. Surtout, plus inquiétant, les derniers chiffres de l’INSEE montrent un creusement de l’écart de revenu pour les vingt-cinq à cinquante-cinq ans, tranche d’âge sensible où les femmes doivent gérer l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle. Cette tendance est alarmante. Certes, la crise économique que nous traversons est d’une extrême gravité. Certes, les entreprises souffrent et doivent s’adapter. Mais nous devons faire preuve d’une très grande vigilance afin que les ajustements, quand ils touchent à la gestion des ressources humaines, ne se fassent pas au détriment des catégories les plus fragiles, dont les femmes font malheureusement encore trop souvent partie. Comme le disait Édouard Herriot, « il est plus facile de proclamer l’égalité que de la réaliser ». (M. Alain Gournac approuve.) En la matière, il faut bien, hélas ! s’y résoudre, les déclarations de bonnes intentions et les incitations ne peuvent à elles seules produire un résultat probant : l’exemple de la loi tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, dite « loi sur la parité », nous le rappelle. Lorsque les mesures incitatives peinent à produire leurs effets, vient le temps où la coercition s’impose. Les auteurs de la proposition de loi dont nous débattons s’inscrivent dans cette démarche. Cette coercition, nous en avions envisagé la nécessité dès 2006. Lors de l’examen au Sénat de la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, j’avais déposé, avec les membres de mon groupe, un amendement visant à ce qu’une contribution assise sur les salaires soit applicable aux entreprises qui n’auraient pas satisfait, à l’issue d’un délai de cinq ans, à l’engagement de négociations sérieuses et loyales prévues à l’article L. 132-27-2 du code du travail. En effet, une nouvelle intervention du législateur, visant à mettre en place un mécanisme coercitif en cas d’échec des négociations, me paraissait alors inutilement lourde, puisque nous pouvions, dès 2006, inscrire, en quelque sorte par précaution, une possibilité de sanction dans la loi. Hélas ! les faits nous ont donné raison. Nous avons dressé un bilan plutôt pessimiste, à l’occasion de la question orale avec débat sur le sujet dont notre groupe avait obtenu l’inscription à l’ordre du jour du 20 décembre 2010 de la Haute Assemblée. D’ailleurs, je regrette que les précédents orateurs n’aient pas mentionné cette étape utile dans la réflexion, notamment pour notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. À l’époque, j’avais déjà pointé l’absence de progrès en matière d’égalité salariale et fait des propositions pour relancer une dynamique en la matière. Ces propositions rejoignent au demeurant celles que formule aujourd’hui notre délégation. Les chiffres du rapport d’information que vient de publier cette dernière confirment ce constat. Si un rapport de situation comparée est bien établi par 45 % des entreprises de plus de 400 salariés, son contenu n’est vraiment intéressant et force de propositions que dans, au mieux, 15 % des cas ; 37 accords de branche traitent spécifiquement de l’égalité professionnelle et seulement 2 000 entreprises déclarant un délégué syndical ont signé un accord collectif abordant la question de l’égalité professionnelle. Du reste, le Gouvernement a pris acte de cet échec puisqu’il a jugé bon, lors de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, de proposer un mécanisme de sanction. C’est l’objet de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, lequel prévoit d’instituer une sanction financière à l’encontre de toutes les entreprises d’au moins 50 salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle (Mme Michèle André marque son scepticisme.) ou, à défaut d’accord, défini un plan d’action pour obtenir l’égalité professionnelle. Nous attendions beaucoup de ce dispositif. Toutefois, force est de constater que l’économie en a été fortement compromise par son décret d’application. Ainsi, en vertu du décret du 7 juillet 2011 et de la circulaire du 28 octobre 2011, les entreprises pourront encore disposer d’un délai de six mois après la constatation de la carence pour se mettre en conformité avec la loi. La sanction sera modulable en fonction des « efforts constatés », l’entreprise pouvant même en être totalement dispensée par l’autorité administrative si celle-ci le juge opportun. De plus, le nombre d’indicateurs sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise est abaissé à trois, ce qui, bien sûr, réduit considérablement la portée du texte. J’y suis d’autant plus sensible que j’ai fait adopter dans la loi portant réforme des retraites un amendement réécrivant la description du plan d’action et mettant en exergue le fait qu’il soit « fondé sur des critères clairs, précis et opérationnels » et qu’il détermine « la définition qualitative et quantitative des actions permettant de les atteindre et l’évaluation de leur coût ». Cet amoindrissement de la portée de la loi est regrettable et préoccupante. Il nous amène, à l’instar des auteurs de la présente proposition de loi, à considérer qu’il faut corriger cette dérive. Toutefois, la solution qui nous est proposée offre elle aussi matière à interrogation. En effet, le présent texte nous semble à la fois incohérent sur le plan juridique et inadapté. Comme l’a rappelé Mme la ministre, cette proposition de loi se présente sous la forme d’un article unique comprenant deux parties, correspondant à deux dispositifs. Notons d’ailleurs que le premier d’entre eux reprend un amendement d’origine communiste, adopté- je m’en souviens car j’étais présente -, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 ; c’est Mme Pécresse qui, ce jour-là, représentait le Gouvernement dans l’hémicycle. Les décrets d’application étaient alors en cours d’élaboration. Or, dans la rédaction actuelle du texte, l’articulation de ces deux dispositifs semble quelque peu problématique. Les deux premiers alinéas proposent ni plus ni moins que la suppression des allégements de charges pour les entreprises non couvertes par un accord relatif à l’égalité salariale. Vous en conviendrez, il s’agit là d’une véritable bombe atomique pour les entreprises. Les deux alinéas suivants sanctionnent d’une pénalité équivalente à 1 % du montant de la masse salariale les employeurs qui ne transmettraient pas le rapport de situation comparée à l’inspecteur du travail. Dans la mesure où la négociation d’un accord prévu par le premier dispositif repose nécessairement sur le constat et les propositions contenus dans le second, est-il nécessaire de cumuler ces deux sanctions ? Il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité de la première de ces deux sanctions, telle qu’elle est formulée. En effet, les femmes elles-mêmes pourraient en être les premières victimes. Leurs salaires étant souvent faibles, elles bénéficient grandement des dispositifs d’allégements de charges. N’y aurait-il pas un paradoxe à pénaliser très fortement les entreprises qui les emploient ? Enfin, dans le texte que vous proposez, chers collègues, les entreprises ne pourront conserver leurs allégements de charges que si elles sont couvertes par un accord d’égalité salariale. Dans la pratique, ce type de négociations peut se dérouler de manière moins simple. Que se passerait-t-il si aucune des organisations syndicales ayant pris part à une négociation n’acceptait au final de signer l’accord ? Il ne s’agit pas d’un simple cas d’école : une telle situation pourrait concerner des accords de très bonne qualité. Autrement dit, il nous semble qu’il faut être plus pragmatique. Avec ma collègue Valérie Létard, nous vous proposerons un amendement en ce sens, tendant à ce que les allégements de charges ne soient supprimés que pour les entreprises qui n’auront pas mis au point un projet d’accord, que ce dernier ait ou non été signé. Au-delà, il me semble important d’insister sur la nécessité de réécrire le décret d’application du 7 juillet 2011, dans le sens d’une plus grande fermeté, conformément à la volonté exprimée par le législateur lors des débats parlementaires. En effet, il importe que, du fait de la latitude d’appréciation laissée à l’autorité administrative, les entreprises ne soient pas amenées à penser que le montant de la sanction serait toujours négociable ou évitable. De même, un large panel de leviers d’action doit être pris en compte pour évaluer la situation de l’entreprise, le nombre de ces leviers devant être proportionnel à sa taille. Madame la ministre, j’aimerais que vous puissiez nous apporter des assurances quant à la réécriture de ce décret, dont, le 20 décembre dernier, vous aviez ici même souligné l’importance, en déclarant qu’ « un peu de contrainte ne nuit pas à la conviction ». Nous ne doutons pas de votre mobilisation sur le sujet ; vous nous l’avez encore prouvée tout à l’heure. Cela me laisse d’ailleurs penser que vous n’avez sans doute pas été assez entendue au moment de l’arbitrage interministériel… Il est désormais impératif que le Gouvernement s’engage à publier un décret « offensif », qui corresponde véritablement à ce que les parlementaires ont voulu et voté. Mes chers collègues, il me semble que nous disposons aujourd’hui de l’arsenal législatif nécessaire et qu’il nous faut privilégier l’efficacité des mesures déjà votées – très récemment, d’ailleurs – par rapport l’inapplicabilité d’un texte dont Mme la ministre vient de souligner l’inconstitutionnalité.