Les interventions en séance

Economie et finances
15/12/2010

«Projet de loi de finances pour 2011 conclusions Commission mixte paritaire»

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire s’est réunie lundi dernier. Elle a examiné 137 articles en huit heures. C’est la première fois, me semble-t-il, que la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances initiale dure aussi longtemps. Les sujets étaient nombreux, mais nous avons travaillé dans un climat apaisé et constructif. À cet égard, la qualité de la relation entre nos deux excellents rapporteurs généraux nous est particulièrement précieuse.
Les observateurs avertis, en parcourant le relevé des décisions de la commission mixte paritaire, auront d’ailleurs noté que plusieurs propositions mises en avant par l’une ou l’autre assemblée, mais ensuite supprimées en deuxième délibération, ont finalement été validées par la commission mixte paritaire. En cette période où l’on commence à tirer les enseignements de dix ans d’application de la loi organique relative aux lois de finances, j’y vois un signe encourageant de ce que l’on pourrait appeler « l’émancipation du Parlement », et je sais gré au Gouvernement de ne pas remettre en cause les choix de notre commission mixte.
Depuis lundi après-midi, chacun cherche à savoir ce que la commission mixte paritaire a décidé sur tel ou tel point. C’est l’occasion de présenter le catalogue annuel des mesures de la loi de finances.
J’observerai d’abord que ce catalogue s’est enrichi de mesures proposées par le Sénat dans toutes ses composantes institutionnelles et politiques.
On y retrouve des dispositions préconisées par la commission de la culture, comme le crédit d’impôt sur les métiers d’art ou la disparition de la publicité sur France Télévisions à compter de 2016, par la commission des affaires sociales – je pense à l’article 66 septies sur les autoentrepreneurs –, par la commission des affaires étrangères, qui a enrichi le contenu du document de politique transversale relatif à l’aide au développement, ou encore par la commission de l’économie, qui a obtenu la revalorisation des crédits du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC.
De la même manière, nous avons adopté des amendements issus de l’ensemble des groupes, depuis le groupe CRC-SPG qui, formulant à cet égard une proposition identique à celle de notre collègue Charles Guené, a par exemple obtenu que les établissements publics de coopération intercommunale puissent mettre en place la taxe d’habitation sur les logements vacants depuis trop longtemps, jusqu’au groupe UMP, souvent récompensé, il est vrai. Je n’oublie pas le RDSE, monsieur le président Collin, grâce auquel les terrains arboricoles et viticoles pourront être exonérés de taxe foncière sur les propriétés non bâties, le groupe socialiste, grâce auquel, notamment, un tiers de la taxe générale sur les activités polluantes « granulats » bénéficiera aux communes et – last but not least ! – le groupe de l’Union centriste.
Le Sénat avait, en particulier, accepté de suivre les propositions de ce groupe sur deux amendements relatifs au crédit d’impôt recherche.
Le premier, qui vise à réduire les taux majorés, a été confirmé par la CMP. Le second, qui tendait à supprimer la tranche à 5 % pour les groupes qui réalisent plus de 100 millions d’euros de dépenses de recherche, n’a pas survécu formellement à la commission mixte paritaire. Celle-ci a décidé que, pour bénéficier de cette tranche, il faudrait désormais que l’entreprise accepte de fournir à l’administration fiscale certaines informations sur le contenu, les moyens et la localisation de ses dépenses de recherche. Les entreprises qui craindraient que cette communication ne porte atteinte à leurs secrets industriels auraient toujours la possibilité de ne pas solliciter le crédit d’impôt.
Sur les autres sujets, je me bornerai à me féliciter que la CMP ait suivi certaines des initiatives du Sénat dans des domaines que l’on pourrait qualifier de stratégiques ou de prospectifs.
La neutralité technologique du marché publicitaire est rétablie avec l’apparition d’une taxe sur la publicité en ligne, jusqu’ici le seul segment du marché publicitaire à n’être pas fiscalisé d’une manière ou d’une autre. La neutralité technologique du marché de l’édition est recherchée avec l’adoption « volontariste », à compter de 2012, d’un taux réduit de TVA sur le livre numérique, en espérant que cette idée puisse, dans l’intervalle, devenir eurocompatible. Enfin, notre solution pour abonder la réserve de quotas « carbone » destinés aux nouveaux entrants a été retenue.
Sur la question très sensible du prélèvement sur les HLM destiné à financer la rénovation urbaine, la CMP a retenu une solution médiane. Le montant du prélèvement, 245 millions d’euros, est à mi-chemin entre celui voulu par le Sénat et celui voulu par le Gouvernement. Surtout, il est limité aux trois années de la « bosse » de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU. La confusion des genres ne sera donc pas éternelle. Le bouclage financier de l’opération sera effectué grâce à un prélèvement sur les recettes de la Société du Grand Paris, qui sera de 95 millions d’euros par an pendant les trois mêmes années. Nous sortons ainsi par le haut d’un dossier particulièrement compliqué.
Comme souvent, les questions de finances locales nous ont abondamment occupés.
In extremis, avant sa première année de recouvrement au profit des collectivités territoriales, nous nous sommes efforcés de perfectionner le régime de ce nouveau monstre qu’est la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE. Le chiffre d’affaires pris en compte pour l’application du dégrèvement sera désormais celui du groupe fiscal, et non plus de l’entreprise. Le produit sera territorialisé, en donnant une prime aux communes industrielles. S’agissant de la territorialisation, monsieur le ministre, je ne suis pas sûr que nous ayons trouvé la meilleure formule : peut-être faudra-t-il revenir aux salaires et aux investissements.
Sous réserve de modifications à la marge, aussi bien la solution du Sénat en matière de péréquation des droits de mutation entre départements que ses orientations en matière de péréquation communale ont prévalu. En revanche, le système de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises entre départements et régions voulu par les députés a été retenu.
Pour en finir avec le catalogue, je rappellerai que nous avons ménagé notre prochain débat fiscal, annoncé avant l’été, en refusant toute mesure dans le domaine de la fiscalité du patrimoine autre que celles nécessaires au financement de la réforme des retraites.
J’en viens maintenant à des remarques plus globales.
Notre effort en matière de réduction des niches fiscales est, convenons-en, dérisoire. Certes, la loi de finances comporte des mesures ciblées à fort rendement, mais de tels gisements sont rares et ne font pas une politique de prélèvements obligatoires. Nous sommes plusieurs à penser que les esprits étaient prêts au large rabot annoncé au printemps par le Premier ministre, François Fillon, et même à y inclure certaines niches de TVA. Malheureusement, nos souhaits n’ont pas été pris en compte.
Au lieu de cela, nous devons nous contenter d’un coût de rabot limité à un périmètre encore plus restreint que celui des niches « sous plafond », plafond qui sera d’ailleurs – la CMP l’a confirmé – encore abaissé cette année.
Du côté des dépenses, la situation, monsieur le ministre, n’est pas meilleure. L’effort de réduction des dépenses de fonctionnement et d’intervention est très en deçà des attentes qu’avaient fait naître les déclarations solennelles, au lendemain de la conférence sur les déficits publics du printemps, et l’on voit fleurir, au détour des articles, des mesures de contournement de la norme de dépense. Tout cela a un rendement extrêmement modeste. Rien ne sert de se doter d’une règle contraignante si elle n’est pas sincèrement respectée. En cette matière, en l’absence de réforme constitutionnelle, c’est d’abord une affaire de volonté.
Au total, le projet de loi de finances prévoit un déficit en réduction de plus de 60 milliards d’euros par rapport à 2010, mais seule une partie résiduelle de ce montant résulte de la décision du Gouvernement : 1,7 milliard d’euros de mesures nouvelles en recettes et des dépenses en progression contenue à 4,5 milliards d’euros.
Pour le reste, l’amélioration du solde est surtout constatée : constat de la non-reconduction des investissements d’avenir – 35 milliards d’euros – ; constat de recettes supplémentaires liées à la meilleure croissance ; constat de la baisse annoncée du coût de la réforme de la taxe professionnelle.
Les décisions difficiles sont clairement repoussées à plus tard !
Je ne conclurai pas cette intervention sans faire part au ministre de mon sentiment de président de la commission des finances ayant participé à l’ensemble des discussions.
Nous avons examiné cette année de nombreux articles rattachés, qui ont provoqué, je le déplore, un dérapage du calendrier de la discussion. Je m’interroge sur le sens de ce phénomène, car, en multipliant les articles rattachés aux missions, et donc en reconstituant des discussions sectorielles, ne perd-on pas l’un des bénéfices de la décision du Premier ministre de réserver aux lois de finances les mesures ayant un impact sur le solde ?
Je sais bien qu’il est difficile, compte tenu des contraintes d’agenda, d’inscrire à l’ordre du jour des projets de loi portant diverses dispositions d’ordre économique, social, touristique, environnemental, culturel ou sportif. Les ministres rattachent donc au projet de loi de finances de telles dispositions. Or chacun de ces articles est un thème de débat. Nous avons ainsi eu un débat sur les parcs nationaux, sur la concurrence entre les îles de la mer d’Iroise et les parcs naturels de montagne...
Ces discussions nous ont certes beaucoup occupés et passionnés. Toutefois, si ces thèmes sont très importants, ils donnent lieu à une multiplication du nombre d’amendements et de sous-amendements.
À la veille de la célébration du dixième anniversaire de la loi organique relative aux lois de finances, peut-être faudrait-il, monsieur le ministre, rendre à la loi de finances sa véritable nature et éviter ces débats, qui sont à la limite de l’objet de la loi de finances ?
Ayant posé cette question, qui alimentera nos réflexions sur les améliorations à apporter à l’organisation de nos discussions budgétaires, il me revient maintenant, en remplacement du rapporteur général Philippe Marini, de vous proposer, chers collègues, d’adopter les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2011. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)