Les interventions en séance

Education et enseignement supérieur
Jean-Léonce Dupont 15/11/2011

«Proposition de loi relative à l’organisation de soirées étudiantes»

M. Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, photos choquantes de jeunes filles nues prises lors d’un week-end d’intégration à Bordeaux puis diffusées sur les réseaux sociaux, renvoi de six élèves dans le Gers après un jeu dit « du string », scarification d’un étudiant à Paris-Dauphine : ces différents faits divers survenus au cours des seuls mois de septembre et de novembre de cette année montrent que la pratique du bizutage perdure dans certaines écoles, sous le couvert de week-ends d’intégration ou de soirées étudiantes. Ces actes médiatisés ne sont certainement que la partie émergée du phénomène, car la loi du silence chez les victimes, et parfois une certaine complaisance de l’administration des établissements, permettent la survivance d’un bizutage qui ne dit plus son nom. Juridiquement, le bizutage, tel qu’il est défini par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, est un délit, puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Contrairement à une idée répandue chez les étudiants, est punissable le fait, pour une personne, d’amener autrui à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants, même si la victime est consentante. Or bon nombre de bizuteurs avancent l’argument que personne n’oblige les bizutés à participer aux week-ends d’intégration et que ceux-ci peuvent dire « non ». En fait, les psychiatres estiment que, « en groupe, chacun perd le sentiment de sa responsabilité individuelle et de sa propre identité. […] L’effet de groupe inhibe le sens critique, surtout quand on est nouveau dans l’école et qu’on ne connaît pas les codes. » En refusant de « jouer le jeu », l’étudiant craint d’être mis à l’écart et d’apparaître comme un « dégonflé ». Alors, déguisés, entraînés par le mouvement, la mise en scène, l’alcool, certains étudiants se laissent aller à des comportements qu’ils n’auraient pas normalement. Malgré maints rappels du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche par voie de circulaires ou de courriers réclamant la plus grande fermeté à l’égard des actes de bizutage, il faut bien admettre que des débordements se produisent, la plupart du temps sous l’emprise de l’alcool ou de produits illicites. Un simple « clic » sur internet permet de recueillir de nombreux témoignages d’actes dégradants, souvent à caractère sexuel quand les victimes sont des filles. Ces actes plus ou moins bien vécus semblent quasiment toujours associés à l’usage excessif d’alcool. Certains comparent les week-ends d’intégration à des « marathons alcoolisés ». Le binge drinking, l’alcoolisation massive et rapide, est devenu un phénomène de mode, qui séduit des jeunes de plus en plus tôt, non seulement des étudiants, mais aussi des lycéens, voire des collégiens. « Aujourd’hui, on devient potes parce qu’on a vomi ensemble », peut-on lire sur internet. C’est pourquoi Mme Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, avait chargé, fin 2010, la rectrice de l’académie de Poitiers, Mme Daoust, de présider un groupe de travail sur les actions envisageables afin de protéger les jeunes de toutes les dérives auxquelles peuvent donner lieu les soirées étudiantes. Sur la base d’une des préconisations de ce rapport, et sur le modèle du dispositif déclaratif prévu par la loi du 15 novembre 2001 en vigueur pour les rave parties, la présente proposition de loi tend à instaurer un régime de déclaration préalable pour tous les rassemblements à caractère festif d’étudiants, en lien avec le déroulement de leurs études mais organisés en dehors des établissements d’enseignement. Un tel dispositif a plutôt fait ses preuves pour les rave parties, en permettant un encadrement sanitaire et sécuritaire approprié à ces grands rassemblements, mais il a également montré ses limites, par la scission entre festivals déclarés et contre-festivals. En ce qui concerne les soirées étudiantes, permettez-moi d’avoir des doutes quant à l’opportunité de prévoir une telle déclaration préalable, qui s’apparente en réalité à un régime d’autorisation, dans la mesure où le préfet pourra refuser de délivrer le récépissé permettant la tenue du rassemblement. Premièrement, sachant que le nombre de soirées étudiantes organisées chaque année est évalué entre 10 000 et 20 000, combien de fonctionnaires faudrait-il mobiliser pour assurer le service de déclaration et vérifier l’encadrement de 200 à 400 soirées par semaine ? Deuxièmement, l’interdiction a bien souvent un effet inverse de celui qui est recherché. C’est donc l’organisation d’événements festifs espaces de non-droit qui risque de se développer. Troisièmement, est-il besoin d’un texte supplémentaire, qui sera en outre perçu comme liberticide ? Tant le rapport de Mme Daoust que celui de M. Reichardt font état d’une législation abondante quant à la consommation d’alcool et au bizutage. Est-elle bien ou suffisamment appliquée ? La responsabilisation de tous les acteurs du monde étudiant – étudiants, chefs d’établissement, alcooliers, associations, mutuelles – et la prévention me semblent les deux angles d’attaque les plus pertinents pour lutter contre les dérives que peuvent connaître les soirées étudiantes. La signature depuis 2008 de chartes ou de conventions de prévention entre les associations étudiantes et les acteurs de la prévention – la Croix-Rouge ou la sécurité routière, par exemple – va dans ce sens. L’élaboration et la promotion d’une charte unique sont, à mon avis, à encourager fortement. La plupart des étudiants sont majeurs. C’est par conséquent à leur intelligence et à leur créativité qu’il faut faire appel. La loi condamne le bizutage, et non pas toutes les manifestations de rentrée. L’accueil convivial des nouveaux permet une multitude de jeux, d’épreuves ou autres opérations collectives. Pour toutes ces raisons, il me semble que la proposition de loi qui nous est soumise mérite de faire l’objet d’une réflexion approfondie. Je voterai par conséquent la motion tendant à son renvoi à la commission. (Applaudissements.)