Les interventions en séance

Affaires sociales
15/10/2012

«Proposition de loi relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires »

Mme Muguette Dini

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme beaucoup d’entre vous, je déplore – c’est un euphémisme – que cette proposition de loi soit examinée un lundi à vingt-deux heures quarante-cinq… (Applaudissements sur les travées de l’UCR et sur plusieurs travées de l’UMP. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Tous ceux qui étaient présents dans cet hémicycle en juillet 2011, lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, savent avec quelle gravité et avec quel sérieux la question de la recherche sur l’embryon avait été débattue.
Seulement, pour débattre gravement et sérieusement, il faut du temps. Nous n’en aurons pas assez ce soir.
Nos collègues du groupe RDSE le savent, mais ils ont préféré prendre ce risque plutôt que de ne rien faire, ce dont je les remercie malgré tout.
En effet, je considère que la confusion dans laquelle nous traitons ce sujet ne peut plus durer. Je commencerai par quelques brefs rappels historiques. En 1994, la première loi de bioéthique a interdit la recherche sur l’embryon. En 2004, la deuxième loi de bioéthique a maintenu cette interdiction tout en autorisant des dérogations accordées par l’Agence de la biomédecine. En 2011, cette interdiction a été maintenue et la dérogation, de plus, soumise à l’accord des parents donneurs. Autant dire qu’on a essayé de revenir à l’interdiction absolue et, par conséquent, d’empêcher toute recherche sur l’embryon en France.
Entre 2004 et 2012, pourtant, comme Mme la ministre l’a rappelé, soixante-quatre protocoles de recherche sur l’embryon ont été autorisés par l’Agence de la biomédecine et mis en œuvre.
Aujourd’hui, on nous propose d’autoriser la recherche sur l’embryon en l’encadrant très strictement. Quelle différence cela ferait-il par rapport au fait qu’actuellement, en France, des recherches sont menées sur l’embryon ? Aucune. Quelle différence cela ferait-il sur les protocoles de recherche ? Une grande différence. En effet, si les protocoles de recherche ne seraient pas automatiquement autorisés plus facilement par l’Agence de la biomédecine, les délais d’obtention de l’autorisation seraient considérablement raccourcis et les chercheurs français pourraient enfin travailler dans les mêmes conditions que les autres chercheurs, en particulier européens. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
Pourquoi ce sujet est-il aussi sensible ? Bien sûr, parce qu’il touche à l’humain et à la question toujours posée : un embryon est-il un être humain dès sa conception ?
La réponse à cette question est totalement personnelle ; elle dépend, pour chacun de nous, de ses conceptions éthiques, religieuses, philosophiques. Les embryons sur lesquels les recherches sont conduites se définissent comme des « amas de seize cellules indifférenciées ayant au maximum cinq jours d’existence ». Une autre question se pose : d’où viennent ces embryons ? La réponse, simple, mérite d’être une nouvelle fois rappelée : la recherche se pratique sur quelques embryons non réimplantés dans le cadre des procréations médicalement assistées. Actuellement, en France, 160 000 embryons surnuméraires ne font plus l’objet d’un projet parental et ne seront pas réimplantés. Au bout de cinq ans, on demande aux parents biologiques de décider du sort de leurs embryons. Ils ont le choix entre une nouvelle implantation, le don d’embryons à un ou des couples stériles, la destruction ou le don à la recherche. Cela a été dit, ce sont donc des embryons destinés de toute façon à la destruction qui seront utilisés pour la recherche. Il vaut mieux, d’ailleurs, ne pas savoir comment sont détruits les embryons abandonnés par les parents. L’une de nos collègues ayant eu recours à la procréation médicalement assistée pour la naissance de ses enfants a été horrifiée quand elle a constaté que ses embryons avaient été, au bout de cinq ans, sortis du cryocongélateur, posés sur un coin de paillasse en attendant la décongélation et jetés dans l’évacuation de l’évier du laboratoire. La recherche sur l’embryon est-elle nécessaire ? Oui, car les recherches sur les cellules pluripotentes ne permettent pas encore d’apporter toutes les réponses aux questions médicales concernant le développement de la vie et les modélisations des maladies génétiques. Je peux comprendre, et je respecte, nos collègues et concitoyens qui considèrent qu’on ne peut pas toucher à la vie humaine, même à son stade le plus élémentaire, celui de l’embryon. C’est d’ailleurs la position de nombreux membres de mon groupe. Mais si l’on suit leur logique, il faut interdire de nouveau totalement la recherche sur l’embryon. Cessons donc l’hypocrisie et la supercherie qui consistent à dire : oui, la recherche sur l’embryon est interdite en France, mais des chercheurs sont tout de même autorisés à la mener.
Pour ma part, je souhaite que les choses soient claires : autorisons la recherche en étant d’une extrême vigilance sur les conditions de sa mise en œuvre, comme le prévoit le texte qui nous est soumis ce soir.
Le résultat sera le même, mais le dispositif aura le bénéfice de la clarté et permettra à nos chercheurs de travailler enfin à armes égales avec leurs collègues étrangers sur des sujets aussi douloureux et urgents que les maladies génétiques et les maladies rares.
Comme je vous l’ai dit, certains collègues de mon groupe voteront cette proposition de loi. Ceux qui s’opposeront à ce texte s’exprimeront soit avant l’examen de son article unique, soit au moment des explications de vote sur l’ensemble. (Applaudissements sur certaines travées de l’UCR et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – Mme Catherine Deroche et MM. Alain Milon, René-Paul Savary et Guy Fischer applaudissent également.)