Les interventions en séance

Affaires sociales
Gérard Roche 15/07/2014

«PLFRSS pour 2014»

M. Gérard Roche

Monsieur le président, madame le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, pourquoi présenter une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 alors qu’elle ne s’appliquera qu’en 2015 ? (M. le rapporteur pour avis s’exclame.) Nous attendions une réforme structurelle et nous avons un chèque en blanc. Oui, c’est bien à cela que peut s’apparenter le présent texte. Je dirais même un double chèque en blanc fait, d’une part, par le Parlement au Gouvernement et, d’autre part, par le Gouvernement aux entreprises. Premier volet de ce chèque en blanc, celui que l’on nous demande de signer aujourd’hui, nous, parlementaires. En effet, ce PLFRSS dépense sans compenser. Il met en œuvre l’essentiel des mesures de relance du pacte de responsabilité et de solidarité mais sans que nous ayons une quelconque idée de la manière dont les pertes de recettes engendrées pour la protection sociale seront financées. Seules les mesures relatives à l’impôt sur les sociétés et à l’impôt sur le revenu relèvent du champ des lois de finances. Autrement dit, 70 % des dépenses nouvelles du pacte relèvent du champ des lois de financement de la sécurité sociale, donc du présent projet de loi, d’où son importance politique mais aussi symbolique pour le Gouvernement. De notre point de vue de parlementaires, comment voter ce texte sans avoir une vision d’ensemble du dispositif envisagé ? Pour 2014 et 2015, le PLFRSS programme 9 milliards d’euros de recettes en moins pour seulement 1,3 milliard d’euros d’économies. Ce ne sont donc pas moins de 7,7 milliards d’euros de recettes en moins que nous sommes censés accepter sans savoir comment elles seront financées. J’ai bien entendu notre collègue Jean-Pierre Caffet nous détailler des mesures que nous connaissions déjà en partie…
Madame le ministre, pouvez-vous nous confirmer ce qui vient d’être dit, car vous vous étiez plutôt repliée, dans votre propos, sur la loi organique et la loi ordinaire de 2015.
Madame le ministre, nous ne doutons pas une seule seconde que les pertes de recettes pour la protection sociale seront compensées par le budget de l’État, y compris les pertes de recettes liées à l’extinction progressive de la C3S, mais c’est repousser le problème. C’est reculer pour mieux sauter ! (M. Jacky Le Menn s’exclame.) Ces dépenses vont donc peser sur le budget de l’État. Comment y seront-elles compensées ? Économies ou recettes nouvelles ? Quel mélange des deux ? Pour l’heure, nous ne le savons pas. D’où notre sentiment de passer à côté de la réforme majeure dont notre pays a tant besoin, et depuis si longtemps. Cette réforme consisterait à profiter de l’allégement des charges sur le travail pour les compenser de deux manières : d’une part, par des économies budgétaires structurelles ; d’autre part, par la fiscalisation du financement de la protection sociale. Nous ne pouvons donc qu’approuver les allégements, que nous appelons de nos vœux de longue date. En effet, ce n’est un secret pour personne, le financement de la protection sociale pèse aujourd’hui bien trop lourdement sur la production. Le dernier rapport annuel de la Commission sur l’évolution de la fiscalité dans l’Union européenne l’a encore rappelé. Il faut donc décharger le travail, ce que font les deux premiers articles du PLFRSS, qui, même s’ils le font encore, selon nous, de manière insuffisante, vont dans le bon sens. À terme, nous pensons que la totalité des cotisations famille a vocation à disparaître, et certains d’entre nous s’interrogent même sur le devenir des cotisations maladie dans les décennies à venir. Toutefois, cela suppose de réaliser des économies budgétaires structurelles. Où sont-elles ? Pour l’heure, la seule qui nous a été proposée est la réforme territoriale, avec la suppression de l’assemblée départementale. Or, quand on sait que ce qui coûte cher, ce ne sont pas les structures du conseil général, mais les missions dont il est investi, on s’interroge sur le gain budgétaire. Pendant ce temps, sur le terrain, on s’étonne d’apprendre qu’un sous-préfet est peut-être plus important qu’un président de conseil général ! (M. René-Paul Savary applaudit.) Je vous prie de m’excuser : je suis hors sujet, mais c’est obsessionnel chez moi ! (Sourires. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Pour financer structurellement la baisse des charges, il faut également fiscaliser le financement de la protection sociale, tout en évitant des impôts de production qui ne feraient que reproduire le problème posé par les charges sociales. C’est la raison pour laquelle nous soutenons aussi la suppression de la C3S. Cependant, sur la masse des besoins de financement, la suppression de cette contribution demeure anecdotique. Alors, madame le ministre, le Gouvernement va-t-il mener à bien cette réforme fiscale ? Sans doute au moins en partie, mais il faut nous le dire, parce que, pour l’heure, la seule mesure de financement figurant dans le présent texte est le gel des pensions de retraite de l’article 9. Heureusement, vous avez renoncé au gel des aides au logement ; cela aurait été très choquant. Heureusement encore, vous semblez avoir renoncé au gel des pensions d’invalidité et des rentes AT-MP. D’ailleurs, madame le ministre, y avez-vous vraiment renoncé ? Notre Haute Assemblée attend d’être éclairée et rassurée sur ce point très important. Mais, malheureusement, vous n’avez pas renoncé au gel des pensions de retraite, puis, en 2015, au gel des allocations familiales. Ces mesures sont en totale disproportion financière par rapport aux besoins, je n’y reviens pas ; elles sont également inacceptables sur le plan de l’équité et sur le plan humain. Vous nous dites qu’il est juste de ne pas revaloriser des pensions de 1 200 euros bruts et plus. Madame le ministre, je vous connais un peu. Vous ne pouvez dire qu’il est juste de ne pas revaloriser les pensions à partir de 1 200 euros bruts. Comme nous, vous savez bien que 1 200 euros bruts ne permettent pas de faire vivre décemment une famille ou des gens qui sont dans la peine. (Enfin ! sur les travées du groupe CRC.) Pourtant, le Gouvernement avait donné des exemples. On peut approuver la réduction dégressive des cotisations salariales pour des revenus inférieurs ou égaux à 1,3 SMIC dans le privé. Nous avions cependant été quelque peu choqués de constater une certaine disparité avec la fonction publique puisque ce dégrèvement touchait les revenus inférieurs ou égaux à 1,5 SMIC. Depuis, j’ai lu attentivement le rapport de la commission des finances et j’ai eu la réponse. Des mesures fiscales courageuses et de bon sens sont envisageables. Ainsi, 1,5 point de TVA ou trois quarts de point de CSG couvriraient les 9 milliards d’euros de dépenses du pacte de responsabilité et de solidarité pour 2014 et 2015. La CSG présente l’avantage d’être un impôt au taux bas et à l’assiette large. La TVA offre l’avantage de taxer les importations, qui représentent tout de même 30 % du PIB. Elle ferait donc participer l’étranger au financement de la protection sociale française. De plus, traditionnellement présentée comme un impôt injuste, elle l’est aujourd’hui beaucoup moins dans la mesure où les produits de première nécessité – dont on sait qu’ils représentent une part bien plus importante du panier de consommation des ménages pauvres que des ménages aisés – sont assujettis au taux réduit.
l’heure, le Gouvernement y semble pourtant toujours réfractaire.
Le second volet du chèque en blanc que j’évoquais, c’est celui que le Gouvernement signe au bénéfice des entreprises. En effet, les baisses de charges patronales, qui représentent l’essentiel du dispositif, ne sont conditionnées à rien, alors qu’au départ la parole présidentielle semblait indiquer le contraire. C’est pourquoi nous nous posons la question, qui est sans doute la plus importante : les baisses de charges auraient-elles dû être conditionnées à des embauches ? Historiquement, elles ne l’ont jamais été. Fallait-il le faire aujourd’hui ? Peut-être. À vrai dire, nous sommes assez réservés sur ce point, car l’aspect « chèque en blanc » est inévitable. Attention, il ne s’agit pas d’un problème technique. L’octroi des allégements serait conditionné à l’évolution de l’effectif des entreprises, ce qui est facile à déterminer. Sur le fond, il serait toutefois impossible, dans ces conditions, de distinguer les effets d’aubaine des véritables embauches liées au bénéfice des allégements, un effet d’autant plus probable que les entreprises françaises sont aujourd’hui en surcapacité d’emploi. Le système ne résoudrait donc rien puisque les entreprises renonceraient aux allégements de charge ou créeraient des emplois non productifs, ce qui n’améliorerait en rien leur compétitivité. (M. le rapporteur pour avis s’exclame.) Au contraire, le véritable objet des allégements de charges est de créer une dynamique vertueuse véritablement économique. Il s’agit de restaurer les marges des entreprises pour qu’elles développent leur activité et créent de l’emploi directement ou indirectement par leur consommation. Mais alors, ne mentons pas aux Français : il ne peut s’agir d’emplois immédiats, il s’agit d’emplois futurs ! Pour que cet effet l’emporte, il faut que les gains engendrés par les allégements aillent principalement à la rémunération du facteur travail, c’est-à-dire à la masse salariale, soit sous forme d’augmentations de salaire soit sous forme d’embauches, ou à l’investissement de l’entreprise pour améliorer son outil de production.
Ils ne doivent pas être destinés à la rémunération du capital, c’est-à-dire des actionnaires, sauf dans les cas spécifiques d’ouverture du capital. En effet, dans ces derniers cas, les perspectives d’amélioration de la rémunération du capital peuvent avoir un effet de levier vertueux pour faciliter les levées de fonds et permettre ainsi à l’entreprise d’investir. Dans ces conditions, plutôt qu’un mécanisme de sanction consistant à lier les baisses de charges à de l’embauche, ne pourrait-on imaginer et mettre en place un mécanisme consistant à supprimer les allégements de charges ou à créer des amendes correspondantes pour les entreprises qui n’auront pas joué le jeu, c’est-à-dire celles qui auront principalement employé le gain des allégements à rémunérer les actionnaires ? Madame le ministre, que pensez-vous d’une telle piste ? Est-elle à l’étude ? Par ailleurs, même dans l’hypothèse où le gain des allégements de charges serait correctement employé à la rémunération du facteur travail ou à de l’investissement, il ne produira le maximum de ses effets de relance que si cela se traduit par une baisse de l’importation. C’est là que je veux en venir pour terminer mon intervention, à savoir à la TVA sociale, qui seule peut limiter cet effet. La boucle est alors bouclée. Le binôme allégements de charges et TVA sociale est donc bien, à nos yeux, un tout indissociable. Sincèrement, je crois, madame le ministre, que c’est une erreur de persister à les dissocier. Je n’ai bien sûr pas la prétention de vous avoir convaincue et d’avoir changé vos orientations. Néanmoins notre vote en dépendra naturellement. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur plusieurs travées de l’UMP.)