Les propositions de loi

Agriculture et pêche
Jean-Jacques Lasserre 15/05/2013

«Proposition de résolution européenne tendant à la création d՚un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation, présentée par M. François Zocchetto et les membres du groupe de l՚UDI-UC à la demande du G»

M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur de la commission des affaires économiques

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est assez rare que le Sénat examine en séance publique une proposition de résolution : cela se produit en moyenne une fois par an, paraît-il. Notre présence dans cet hémicycle témoigne donc de la pertinence de cette initiative et de l’importance du sujet, à la fois pour les consommateurs et pour les filières agro-alimentaires. Comme l’a parfaitement rappelé notre collègue Sylvie Goy-Chavent, le présent texte vise un but essentiel : éclairer le consommateur sur la nature des produits d’alimentation qui lui sont proposés. Pour y parvenir, la présente proposition de résolution suggère, premièrement, d’accélérer la mise en œuvre de la nouvelle réglementation européenne sur l’étiquetage, deuxièmement, de ralentir le processus de réintroduction des protéines animales dans l’alimentation des poissons. Cette proposition de résolution a cheminé dans notre appareil institutionnel. Elle a tout d’abord été examinée par la commission des affaires européennes, sur l’excellent rapport de notre collègue Catherine Morin-Desailly. La principale conclusion de ces travaux est qu’il est souhaitable d’articuler la mise en œuvre des nouvelles règles d’étiquetage avec une généralisation des exigences de traçabilité, qui sont aujourd’hui limitées, pour l’essentiel, à la viande bovine. La commission des affaires économiques s’est unanimement ralliée à cette modification de bon sens. Je rappelle cependant que, pour ce qui concerne le volet relatif aux protéines animales, la commission des affaires européennes a maintenu le principe d’une réprobation de l’initiative européenne et la suggestion d’un moratoire. Ce travail d’expertise ayant été remarquablement conduit, la commission des affaires économiques a approuvé l’approche complémentaire que je lui ai soumise sur ce sujet. À l’heure où les incantations sur l’information des citoyens et les dénonciations médiatiques du retour aux farines animales se multiplient, il m’a paru salutaire d’apporter au débat des éléments objectifs quant à la nature des protéines animales, aux techniques d’alimentation animale et à la mondialisation des échanges de produits ou de matières premières agricoles. De quoi parlons-nous ? Notre point de départ est le suivant : la réglementation européenne lève l’interdiction de certaines protéines animales pour l’alimentation des seuls poissons. Toutefois, les autorités européennes indiquent sans équivoque qu’il s’agit là d’une première étape vers une réintroduction plus générale qui ne concernerait pas les ruminants, mais les porcs et les volailles, espèces naturellement omnivores ou carnivores, tout en excluant le recyclage intra-espèce. À cet égard, il faut rappeler quelques réalités incontestables. En effet, certains ont parfois l’impression que l’interdiction des farines animales serait devenue une sorte de règle intangible et universelle. Or, comme le souligne l’Académie d’agriculture de France, l’histoire agricole se résume à 180 années d’utilisation des farines animales pour toutes les espèces et à 10 ans de végétarisme imposé en Europe, y compris aux omnivores. Il en résulte une forte dépendance aux importations de soja, très souvent transgénique, et un renforcement de la spéculation sur les cours des matières premières alimentaires. C’est là un premier constat. Deuxième constat : sur le plan géographique, l’interdiction des farines animales se limite aux seuls pays de l’Union européenne. Or les échanges de produits agricoles se sont mondialisés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, 85 % du poisson que nous consommons est importé et presque la moitié de la production mondiale proviendra bientôt de l’aquaculture, laquelle, en dehors de l’Union européenne, utilise bien entendu les farines animales. Troisième constat : l’épisode de la maladie de la vache folle reste présent dans nos mémoires. C’est pourquoi la presse, quand elle titre sur « le retour des farines animales », a toutes les chances d’inquiéter les populations, surtout si les plus hautes autorités de l’État expriment simultanément et unanimement des réticences à l’égard des mesures de réintroduction des protéines animales. Dans un tel contexte, tout en rappelant que les experts ne sont pas infaillibles, le devoir d’objectivité nous impose de constater que l’assimilation des protéines animales transformées, les fameuses PAT d’aujourd’hui, aux farines animales du passé relève de la désinformation du consommateur. En effet – et ce sont des considérations techniques fondamentales –, les PAT proviennent exclusivement de certains animaux sains dédiés à la consommation humaine. Au surplus, il s’agit des seuls porcs, volailles et poissons, c’est-à-dire des espèces monogastriques – et non pas des ruminants – chez qui aucune contamination n’a été observée en conditions naturelles. Quatrième et dernier constat : du point de vue économique, de nombreuses études démontrent que le statu quo – c’est-à-dire le maintien de l’interdiction générale des PAT dans l’alimentation animale – présente de sérieux inconvénients pour l’Union européenne et pour la France. En effet, jusqu’au milieu du XXe siècle, l’agriculture produisait ses propres intrants. Aujourd’hui, la nutrition animale, externalisée de la sphère agricole stricto sensu, est soumise à des systèmes d’échanges mondialisés. Désormais, sur le terrain, la survie économique de l’éleveur dépend donc parfois tout autant de sa compétence technique que de sa capacité à gérer la volatilité des prix internationaux de l’alimentation animale. Je rappelle que la sélection génétique des animaux d’élevage implique, pour répondre à leurs besoins, une alimentation dense en protéines. Or les PAT ont une teneur élevée en protéines, qui oscille entre 50 % et 60 %, contre 45 % à 50 % pour le tourteau de soja, qui est le plus riche en matière azotée totale, ou MAT, et qui est également le plus largement importé. L’Union européenne est déficitaire à 70 % en tourteaux et le déficit de la France s’élève, en la matière, à 53 %. L’Amérique du Sud est notre premier fournisseur de tourteaux de soja, un soja souvent issu de variétés génétiquement modifiées, dont culture n’est pas autorisée en Europe, mais dont l’usage dans l’alimentation animale est admis. Ce rappel des données fondamentales étant fait, je formulerai trois remarques pour mieux situer l’état d’esprit du rapport adopté à l’unanimité par notre commission des affaires économiques. Tout d’abord, pour comprendre pourquoi l’acceptabilité sociétale des protéines animales soulève en France plus de difficultés que dans les pays du nord de l’Europe, il faut prendre en compte notre culture alimentaire et les identités alimentaires qui se manifestent chez nous. Ensuite, il faut souligner que l’acceptabilité sociale n’est pas seulement un concept sociologique : elle a également un impact décisif et parfois dévastateur sur la demande de produits alimentaires et sur la santé économique de nos filières agricoles. Enfin, combattre les mystifications alimentaires correspond également à une exigence sociale. En effet, ne nous voilons pas la face, la liberté de choix des ménages ayant peu de ressources est avant tout contrainte par un pouvoir d’achat en baisse. Dans ce contexte, gardons-nous de susciter l’anxiété des plus modestes à l’égard des produits qui leur sont proposés à un prix abordable. Pour contrebalancer un certain emballement médiatique, il faut rappeler que l’alimentation n’a jamais été aussi sûre sur le plan sanitaire. Les acteurs économiques sont aujourd’hui focalisés sur la sécurité alimentaire, car le moindre incident est destructeur en termes d’image.     Compte tenu de ces éléments, notre position initiale consistait à observer un certain rejet sociétal, médiatique et gouvernemental de l’utilisation des PAT, et à souligner les risques économiques qui en découlent pour notre fragile appareil de production agricole et agro-alimentaire. En effet, si, dans le contexte actuel, nos producteurs en viennent à utiliser les PAT, on peut craindre une fragilisation des ventes. C’est la raison pour laquelle la filière aquacole et les filières viande se sont, pour la plupart, démarquées de l’utilisation de ces protéines animales. L’autre scénario, plus probable, verrait la France renoncer à utiliser les PAT tandis que ses concurrents s’engouffreraient sur ce créneau rémunérateur : on accroîtrait ainsi le différentiel de compétitivité, alors que les travaux de la mission d’information commune sur la filière viande appellent à lancer un cri d’alarme sur la situation de nos élevages et à agir au plus vite pour les soutenir. Au total, il semblait opportun et conforme aux attentes de nos concitoyens de retarder la réintroduction des PAT en s’engageant dans la voie du moratoire, dont personne ne nie qu’elle soit semée d’embûches juridiques. Cependant, notre commission des affaires économiques a décidé de supprimer de la proposition de résolution la demande de moratoire de la décision européenne et de la remplacer par des demandes d’évaluation : au vu des résultats de ces études, le Gouvernement pourra être invité à solliciter, au niveau européen, un réexamen de l’autorisation des protéines animales transformées. Mes chers collègues, la position prise par notre commission des affaires économique est conforme aux données techniques et aux contraintes juridiques qui s’imposent à notre pays. Il nous faut désormais relever le défi majeur, qui est de nature économique, avec, d’un côté, la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs et, de l’autre, un appareil de production en grande difficulté. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP – Mme Odette Herviaux et M. le président de la commission des affaires économiques applaudissent également.)