Les interventions en séance

Economie et finances
Jean-Léonce Dupont 15/02/2010

«Projet de loi de finances rectificative pour 2010»

M. Jean-Léonce Dupont

(Applaudissements à droite) Le 22 juin 2009, le Président de la République annonçait devant le Congrès qu’un grand emprunt serait levé pour préparer l’avenir et citait parmi les domaines à financer l’aménagement du territoire, l’avenir de la ruralité, l’éducation, la formation professionnelle, la recherche, la santé. Les financements nécessaires, disait-il, ne pouvaient être obtenus dans le strict cadre budgétaire annuel. Des chiffres pharamineux circulèrent alors, avant même que les besoins aient été définis.
Cette proposition avait suscité la plus grande réserve au sein de notre groupe. Alors que nos comptes publics affichaient déjà un déficit abyssal, alors que la dette publique se creusait de façon inédite, il était question d’engager massivement de nouvelles dépenses publiques, des dépenses publiques financées exclusivement par l’endettement, autrement dit, par les générations futures.
Il a été question un temps de lever l’emprunt auprès des particuliers : les contribuables de demain auraient financé les intérêts des créanciers d’aujourd’hui. Notre attachement à une gestion responsable de la dépense publique, à l’équité sociale et intergénérationnelle, notre lutte contre l’endettement qui limite chaque année un peu plus nos marges de manoeuvre : tout militait contre cette proposition.
Puis, en août dernier, la commission chargée de réfléchir aux priorités stratégiques a identifié les domaines stratégiques et les besoins avant de fixer le montant de l’emprunt. Elle a veillé à éviter le saupoudrage, à proposer des investissements rentables pour la collectivité, susceptibles de stimuler l’emploi et la croissance.
Le montant de l’emprunt a finalement été fixé à 35 milliards, soit un peu plus du tiers des 100 milliards un temps envisagés. Et, fort heureusement, l’hypothèse de l’emprunt populaire a rapidement été écartée compte tenu de son coût exorbitant.
Le travail de la commission présidée par MM. Juppé et Rocard a donc permis de lever une partie de nos réticences. Finalement le « grand emprunt national » consiste en fait, d’une part, à effectuer un transfert tout à fait opportun de la dette de court terme vers la dette de moyen et long terme, et, d’autre part, à investir massivement dans quatre domaines stratégiques. Il eût été préférable de le dire tout de suite...
Car il s’agit bien d’investir 19 milliards dans l’enseignement supérieur, la formation et la recherche, 6,5 dans l’industrie et les PME, 5 dans le développement durable et 4,5 dans le numérique. Le dépôt obligatoire auprès du Trésor par les opérateurs gestionnaires des fonds d’un montant d’environ 30 milliards réduira d’autant le besoin d’endettement à court terme de l’État sur les marchés, ce qui optimisera l’action de l’Agence France Trésor et diminuera les charges d’intérêt.
Les investissements d’avenir augmentent bien le déficit budgétaire de 35 milliards en 2010 mais leur incidence sur le déficit des administrations publiques au sens du traité de Maastricht sera plus réduite. Au total, l’incidence sur les déficits publics maastrichtiens devrait être comprise entre 2,5 et 3 milliards en 2010 et les années suivantes, loin des montants pharaoniques dont il fut un temps question. Le montant de l’emprunt, la gestion des fonds, le calendrier de décaissement semblent donc bien conçus.
Les priorités, également, ont été bien ciblées. Il est capital d’investir dans des domaines stratégiques à moyen ou long terme et de se concentrer dans des secteurs où la France dispose d’avantages comparatifs. Le rapport d’information sur la recherche et l’innovation dont notre collègue Joseph Kergueris était rapporteur avait souligné l’importance d’intervenir là où nos retards sont rattrapables, et de ne pas nous perdre dans des courses d’ores et déjà perdues. Il faudra y veiller. Nous approuvons particulièrement l’effort en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous le martelons depuis des années : dans l’économie mondiale de la connaissance, l’innovation est le levier qui redressera notre croissance potentielle.
Un effort considérable est nécessaire et urgent pour mieux contenir les dépenses de fonctionnement, mais aussi pour réduire les dépenses fiscales. Et nous sommes convaincus qu’investir de façon à la fois massive et intelligente dans la formation, la recherche et l’innovation est indispensable pour préparer l’avenir. Cette conviction n’est ni idéologique, ni béate. Nous ne pensons pas que l’emprunt suffira à nous sortir de l’impasse dans laquelle nous avançons chaque année un peu plus.
Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle les dépenses publiques ne pèsent pas sur la croissance : c’est faux, passé certains seuils, des dépenses excessives imposent une taxation excessive, laquelle pèse sur la mobilisation du travail et du capital, et donc sur la croissance.
Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle la hausse de la croissance permettra de financer notre système social à moyen terme : c’est une condition nécessaire et non suffisante ; nous ne pourrons pas faire l’économie de nouvelles réformes, notamment de notre système de retraites. Si nous n’avons pas le courage d’engager ces réformes, le rythme d’évolution de nos dépenses sociales accompagnera celui du PIB, et les gains de croissance seront annulés.
Il faut tordre le cou, enfin, à l’idée qu’investir pour l’avenir serait une opération sans risque, assurément gagnante : l’opération présente un risque considérable, et il nous faut prendre toutes les mesures pour que les retombées économiques soient supérieures aux dépenses engagées. Par exemple, il faut investir dans nos universités mais il faut aussi asseoir leur autonomie, promouvoir des financements flexibles et diversifiés, développer la sélection par projets, s’attaquer au cloisonnement des structures. Une autonomie sans concurrence et sans mobilité des enseignants chercheurs, une autonomie qui passe par la présidentialisation et la marginalisation des personnalités extérieures, une autonomie sans moyens suffisants ferait le terreau du localisme. Là où on espérait avancer, nous régresserons. Pour la distribution des budgets additionnels, la création d’agences de moyens visant l’excellence scientifique ou l’excellence pédagogique est essentielle, et nous saluons les dispositions du texte qui vont dans ce sens. Le saupoudrage et l’uniformité n’aboutiraient à rien. Ce sont les incitations, la contractualisation et l’évaluation qui feront de nos universités des générateurs de croissance. C’est la conjonction de ces efforts qui a porté ses fruits chez nos voisins.
Financer ne suffira pas. Partout où l’État investira, il faudra mettre en oeuvre un train de mesures concrètes sans lesquelles l’argent que nous allons dépenser pourrait bien être gaspillé. Avec prudence donc, le groupe Union Centriste dans sa grande majorité soutiendra cette initiative tournée vers l’avenir.
Indiscutablement, elle nous contraint à un effort supplémentaire pour réduire nos dépenses publiques. A ce sujet, nous avons constaté que le débat sur l’opportunité d’inscrire la fameuse règle d’or dans la Constitution était à nouveau ouvert. Cette réflexion va dans le bon sens, tout comme les conclusions de la première Conférence nationale sur les déficits publics. Mais ce débat bienvenu ne doit pas nous faire oublier que nous disposons déjà d’un arsenal normatif conséquent : il y a peu de temps, nous avons élevé au niveau constitutionnel les orientations pluriannuelles et la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Les lois de programmation doivent s’inscrire dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques. Un autre arsenal, européen celui-là, est bafoué, année après année. Respectons les règles que nous nous sommes librement imposées avant d’envisager d’en créer de nouvelles.
Nous appelons à cette discipline mais aussi à plus de transparence : monsieur le ministre, il eût été plus simple d’expliquer, dès l’annonce de ce projet, de quoi il était question. Les parlementaires ne s’y trompent pas, les citoyens non plus. Nous comprenons la nécessité d’afficher le volontarisme du Gouvernement mais cela peut aller de pair avec un effort de sincérité. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)