Les interventions en séance

Collectivités territoriales
François Zocchetto 15/01/2013

«Projet de loi relatif à l՚élection des conseillers départementaux et municipaux, et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral, ainsi que du projet de loi organique relatif aux élections»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il m’est difficile de commencer mon propos sans évoquer les conditions d’examen de ces textes par notre assemblée, que Mmes Troendle et Assassi ont déjà, à raison, dénoncées. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet lors de la conférence des présidents. J’ai cru comprendre que les remarques que j’avais faites avaient recueilli un certain assentiment : comment le Sénat peut-il examiner dans un laps de temps aussi réduit un texte aussi important et lourd de conséquences non seulement pour les élus départementaux ou municipaux que nous sommes, mais également pour tous nos concitoyens ? Je me bornerai à rappeler qu’aucun membre du Gouvernement n’a pu être auditionné préalablement à notre séance de ce soir. Je vous le dis franchement, monsieur le ministre de l’intérieur, il est absolument anormal que la commission des lois n’ait pu vous entendre. Il a fallu toute l’expérience et toute la dextérité de notre rapporteur pour pallier l’insuffisance d’informations. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Je tenais à le dire, car une telle situation n’est pas normale. Une nouvelle fois, nous constatons un fonctionnement totalement défectueux dans les relations entre le Gouvernement et le Parlement. Nous avions cru que cet état de fait tenait à une phase de rodage, limitée à l’année 2012. Hélas, nous avons l’impression qu’il nous faudrait nous y habituer – mais nous nous y refusons – puisque la situation reste la même en 2013, même avec vous, monsieur le ministre de l’intérieur. Certes, mais c’est vous qui avez choisi de nous imposer des délais aussi courts ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Définir un mode de scrutin est un acte éminemment politique. Notre mode de scrutin départemental n’est pas sans failles : la faible présence des femmes parmi les conseillers généraux, les grands déséquilibres démographiques et la difficulté à faire émerger des politiques départementales sont autant de raisons légitimes de le modifier. Encore faut-il le faire dans un esprit de concorde, de lisibilité et de sincérité vis-à-vis de nos territoires et de leurs populations. En tout cas, personne dans cet hémicycle ne pourra dénier à votre texte sa qualité principale : la créativité ! (Sourires sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) La solution proposée, celle du scrutin binominal, est pour le moins pittoresque – on pourrait utiliser bien d’autres qualificatifs ! – et constituera sans aucun doute une première mondiale. L’exception française ne sera plus seulement culturelle, elle sera désormais électorale ! (Applaudissements sur les mêmes travées.) Aussi, au moment où nous entamons ce débat, je tiens à affirmer de manière claire que les membres du groupe UDI-UC sont unanimement et fermement opposés au mode de scrutin que vous nous proposez pour les élections départementales. (Applaudissements sur les mêmes travées.) Permettez-moi de vous le dire, il est tout simplement absurde de ne prévoir qu’une solidarité de droit entre deux candidats, laquelle s’évanouirait une fois ceux-ci élus. Comment se sentir solidaire des moindres dépenses de campagne de son « ticket électoral » ou de son colistier s’il n’y a aucune autre forme de solidarité durant le mandat qu’une entente politique ? Je vous donne rendez-vous dans quelques mois ou quelques années : l’avenir risque de nous réserver bien des surprises, car nous n’avons certainement pas imaginé tous les cas de figure qui vont se présenter ! (Sourires et exclamations sur les mêmes travées.) Au-delà des conjectures que l’on peut d’ores et déjà faire sur ce nouveau mode de scrutin, force nous est de sonner l’alarme : conjuguée avec le redécoupage des cantons, cette innovation que constitue le scrutin binominal conduira à « écraser » la représentation des territoires ruraux au seul bénéfice de l’urbain, et encore n’en suis-je pas certain ! En divisant par deux le nombre de cantons dans les départements, sur des bases démographiques, le Gouvernement donne une prime sans précédent à la représentation des agglomérations au détriment des campagnes, de la ruralité, de la diversité et de la richesse de nos territoires. (Applaudissements sur les mêmes travées.) Vous aurez du mal à aboutir à une représentation politique cohérente et opérationnelle des départements dès lors que, en instaurant l’élection de deux représentants par canton, vous vous apprêtez à introduire la zizanie sur l’ensemble du territoire. Je le dis franchement, plutôt que d’empêcher les départements de fonctionner, car c’est bien ce qui va se passer, autant annoncer dès à présent leur suppression ! (MM. Daniel Dubois, Jackie Pierre et Ronan Dantec applaudissent.) Vous avez fait le choix de ne pas augmenter le nombre de conseillers généraux. Soit ! C’est raisonnable. Mais vous auriez probablement dû mieux répartir le nombre de conseillers existants. Dans le Rhône, par exemple, chacun des conseillers départementaux représenterait 80 000 habitants au minimum. Par comparaison, une commune de 80 000 habitants est aujourd’hui administrée par 53 conseillers municipaux. Un territoire aussi important ne disposerait donc que d’un seul représentant ! Autant supprimer d’un trait la représentation politique de la ruralité et le faire en toute franchise, en toute transparence ! Cela aurait le mérite de la clarté ! Monsieur le ministre, ne serait-ce que pour cette raison, nous sommes décidés à combattre cette réforme, qui remet fondamentalement en cause la politique d’aménagement et de solidarité territoriale menée dans les départements français. Il est vrai que, d’après l’étude d’impact du projet de loi, les disparités démographiques entre les cantons d’un même département sont importantes puisque le rapport peut aller de 1 à 47. Nous convenons donc – comme tout un chacun, me semble-t-il – qu’un remodelage de la carte cantonale est indispensable. Toutefois, le projet de loi prévoit que toute modification des délimitations territoriales des cantons devra respecter un certain nombre de critères, et notamment la fameuse règle des plus ou moins 20 %. Il prévoit également de diviser par deux le nombre de cantons, en raison de votre ingénieux mode de scrutin… Au vu de ces éléments, il n’est pas très compliqué de déduire que le pourcentage de 20 % est très nettement insuffisant, non seulement pour les zones de montagne, mais aussi pour toutes les zones à faible densité de population, pour lesquelles le respect de ce seuil conduira à la constitution de cantons gigantesques, sans aucune cohérence géographique ou historique, obéissant à la seule exigence arithmétique de la loi. Or, monsieur le ministre, une loi, aussi bien rédigée soit-elle – ce qui n’est pas le cas de celle-ci –, ne peut se substituer à l’identité d’un territoire, lequel, pour un très grand nombre de nos concitoyens, est une réalité vécue au quotidien, et non une simple circonscription électorale ou administrative. À cet égard, une des failles de votre projet de loi est de n’avoir pas intégré la notion de « bassin de vie » ni même les communautés de communes dans la représentation départementale. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Aussi proposerons-nous la suppression de ce seuil de plus ou moins 20 %, pour laisser plus de souplesse au redécoupage à venir. En effet, jusqu’à présent, la jurisprudence du Conseil d’État a été parfaitement compréhensible. Pour notre part, puisque vous souhaitez fixer des seuils dans la loi, nous proposerons au Sénat que la population d’un canton soit comprise entre plus et moins 50 % de la population moyenne cantonale du département, afin de conserver la proximité et l’ancrage des conseillers départementaux. (Applaudissements sur les mêmes travées.) En la matière, la souplesse est la seule option possible. Venons-en maintenant au calendrier électoral. (Ah ! sur de nombreuses travées de l’UMP.) La concomitance des élections régionales et départementales est une disposition à laquelle nous pourrions, a priori, faire bon accueil. Le Gouvernement motive l’article 21 du projet de loi par l’analyse des résultats de participation obtenus depuis vingt-cinq ans au second tour des élections cantonales. Si l’on y intégrait les élections partielles, les chiffres seraient, je le crains, assez affligeants. En revanche, monsieur le ministre, vous soulignez que, en 1992, l’organisation, le même jour, des élections régionales et cantonales a conduit à une chute significative du taux d’abstention et que, a contrario, en 2004, la participation s’est élevée à 66,5 % au second tour. La convocation du corps électoral pour deux scrutins simultanés est donc sans doute de nature à stimuler l’électeur et à donner davantage de contenu à sa démarche de citoyen. Toute initiative dans le sens de la lutte contre l’abstentionnisme aux élections locales doit être appuyée et accompagnée. Monsieur le ministre, en cela, nous vous soutenons. Pour autant, permettez-moi de formuler une interrogation majeure : en quoi l’institution de la concomitance des élections départementales et régionales impliquait-elle de modifier le calendrier électoral ? Cette modification n’était absolument pas nécessaire ! La raison en est simple : cette concomitance des deux élections a déjà été organisée par la précédente majorité, à travers la loi du 16 février 2010. Vous me répondrez que vous supprimez le conseiller territorial, qui, avant même d’exister, a d’ailleurs rejoint le cimetière de l’histoire des institutions… Cela étant, sauf erreur de ma part, la loi du 16 février 2010 me semble juridiquement autonome de la création du conseiller territorial. Et nous ne comprenons pas – ou, plus exactement, nous craignons de trop bien comprendre – pourquoi vous bouleversez le calendrier des prochaines élections locales. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Premièrement, les élections intermédiaires ont toujours été compliquées pour un mouvement politique qui détient les rênes des responsabilités nationales. C’est d’autant plus vrai que vous êtes également à la tête d’une majorité de conseils généraux. C’est pourquoi, dès l’examen du projet de loi en commission, les membres du groupe UDI-UC ont déposé des amendements visant à supprimer le report des élections locales en 2015. Nous défendrons ces mêmes amendements en séance. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.) Deuxièmement, pour modifier le calendrier électoral, il faut des motifs valables ! Or quels sont ceux qui justifient le report des élections régionales ? L’argument selon lequel personne ne se déplacerait pour les seules élections départementales est un peu mince… Enfin, n’oublions pas que le résultat des élections aura des conséquences sur le collège des grands électeurs. (Eh oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.) Permettez-moi d’évoquer ce sujet, que personne n’a encore abordé jusqu’à présent. Pour nous, le fait que des élections sénatoriales aient lieu en septembre 2014 constitue une raison supplémentaire d’être fermement opposés à la modification du calendrier. En effet, on voit très bien comment, par une succession de textes dans les semaines ou les mois à venir, vous pourriez modifier la composition du corps électoral pour les élections sénatoriales ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Daniel Dubois applaudit également.) Ces textes, vous avez le droit de les proposer. Pour notre part – surtout en notre qualité de sénateurs –, nous avons le droit de nous y opposer ! Pour terminer sur cette question du calendrier, je dirai que le Conseil constitutionnel ne manquera pas de nous donner sa vision des choses, et je crains, monsieur le ministre, que ce ne soit pas celle que vous avez retenue… Concernant le fléchage, nous partageons votre souci d’apporter plus de flexibilité au système existant. Monsieur le président de la commission des lois, je regrette quand même la complexité déconcertante du mécanisme issu des travaux de cette commission, à laquelle j’appartiens. Cela étant, je sais que l’on peut compter sur la science des sénateurs pour améliorer ce dispositif. J’en viens au mode de scrutin pour les élections municipales. Je ne serai pas très long. Vous avez souhaité fixer à 1 000 habitants le seuil de population au-delà duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste. C’est un vieux débat ; nous en avons parlé souvent. Pour notre part, nous proposerons – à la grande majorité des membres de notre groupe – de fixer ce seuil à 1 500 habitants. J’évoquerai maintenant la question du seuil pour se présenter au second tour de l’élection départementale. (Ah ! sur les travées de l’UMP.) Il est curieux que ledit seuil, fixé jusqu’à présent à 12,5 % des inscrits, soit, au détour de ce texte, abaissé à 10 %. (Exclamations sur les mêmes travées.) Sur ce sujet, permettez-nous de faire preuve de perspicacité et de nous demander quelle a pu être la motivation d’un tel abaissement. C’est un peu comme lorsqu’on se demande quel est l’objet d’un délit, même si je n’ose employer ce terme en l’occurrence : il s’agit d’un simple raisonnement par analogie. (MM. François Rebsamen et Alain Néri protestent.) Appliqué aux résultats des dernières élections cantonales, cet abaissement à 10 % du seuil aurait tout simplement provoqué plus de 200 triangulaires (M. Bruno Sido s’exclame.), configuration que, me semble-t-il, personne ne souhaite dans cette enceinte ! Vous savez très bien qui sont les tiers qui interviennent au deuxième tour de l’élection ! Si vous ne l’avez pas compris, je vous le dis sans détour : ce sont les candidats du Front national ! Les membres de l’UDI-UC ne souhaitent pas la survenue de telles triangulaires. Par conséquent, ils s’opposeront à l’abaissement du seuil à 10 % ! (Applaudissements travées de l’UDI-UC et sur plusieurs travées de l’UMP.) En fin de compte, l’erreur que vous avez commise – du reste, vous n’êtes pas les premiers à la commettre – est d’avoir voulu réformer le mode d’élection des élus sans avoir décidé au préalable comment allaient évoluer les missions des collectivités – en l’occurrence, des départements. Pour m’exprimer de manière triviale, je dirai que, comme d’habitude, vous avez mis la charrue avant les bœufs ! En effet, si l’on n’en connaît pas encore les détails, on nous a quand même bel et bien annoncé l’acte III de la décentralisation ! Dès lors, pourquoi ne pas avoir redéfini les missions de chaque niveau de collectivité avant de bouleverser en profondeur la désignation des élus des départements et, dans une moindre mesure, des élus intercommunaux ? Vous l’avez compris, le groupe UDI-UC est fermement opposé à ce texte. Non qu’il ne souhaite pas débattre des questions relatives à l’évolution des collectivités territoriales ! Nous avions certes critiqué les travers du conseiller territorial, mais reconnaissons que celui-ci participait d’une vision renouvelée et ambitieuse de nos collectivités. (MM. Roland Courteau et François Rebsamen s’exclament.) Dans le présent texte, la seule innovation réelle réside dans un mode de scrutin qui désorganisera l’action des élus départementaux et, surtout, portera une atteinte grave aux territoires, en particulier aux territoires ruraux. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)