Les interventions en séance

Police, gendarmerie et sécurité
Nathalie Goulet 14/09/2010

«Projet de loi, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public»

Mme Nathalie Goulet

Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je vais mettre immédiatement un terme au suspense en vous disant que le groupe de l’Union centriste auquel je suis rattachée votera ce texte ! (Sourires.)
Passée la mention d’autres voies et moyens de dissimuler le visage dans l’espace public, la cagoule, par exemple, ce texte vise en tout premier lieu l’interdiction du voile intégral islamique, tout comme le texte sur les signes religieux à l’école concernait à titre principal le port du voile par les jeunes filles musulmanes.
Je vais donc pouvoir user d’une partie du temps de parole qui me reste pour m’exprimer à titre personnel et en ma qualité de vice-présidente du groupe d’amitié France-Pays du Golfe sur l’aspect culturel de la question ; les orateurs qui vont me succéder évoqueront sans doute d’autres aspects.
Vous savez bien, madame le ministre d’État, que l’héritage familial a placé la barre bien haut s’agissant des relations avec les pays du Golfe et les pays musulmans dans leur ensemble. J’y ai ajouté ma passion personnelle pour l’Iran.
On ne peut pas donc dire que la culture et la civilisation arabo-islamiques me soient étrangères.
Je profite donc de ma présence à cette tribune pour mettre un terme à des propos de comptoir rapportés d’ignorants en ignorants et alimentant un « je ne sais quoi » qui ressemble, à s’y méprendre, à de l’islamophobie.
Qui n’a pas entendu : « Oui, mais quand on est chez eux, il faut se voiler ! » Qui entend-on par « on » et de quel pays parle-t-on ?
De toute façon, c’est faux ! Aucune femme étrangère ne doit se voiler dans les pays arabes, sauf sur les lieux de culte ! Je ne parle pas ici de l’Iran, qui n’est pas un pays arabe ; notre collègue Josette Durrieu sait d’ailleurs très bien comment cela se passe dans ce pays.
En Arabie Saoudite, les femmes étrangères doivent se couvrir le corps, mais elles ne portent presque plus le voile, qui était obligatoire il y a encore quelques années. Il est d’ailleurs très fréquent de voir, dans la rue, des femmes étrangères qui ne sont pas voilées.
Grâce à une grande tolérance des pratiques religieuses étrangères, les Émirats Arabes Unis, le Qatar, Bahreïn et le Koweït accueillent sur leur territoire des lieux de culte chrétiens.
Et les femmes citoyennes de ces pays, me direz-vous ?
Les femmes émiraties, par exemple, ne portent plus systématiquement l’abaya, cette longue robe noire traditionnelle. Il suffit d’ailleurs de visiter l’université Zayed d’Abou Dhabi pour constater que les jeunes filles très éduquées sont libres de porter ou non cette robe noire dans l’espace public, et très peu nombreuses sont celles qui portent le voile intégral.
Quant aux femmes saoudiennes, je vous renvoie, mes chers collègues, aux actes du colloque que nous avons tenu ici même sur le rôle la femme dans la société saoudienne et qui aurait fait cesser ce genre de propos totalement erronés !
Dans la région, le niqab est de plus en plus mal vu sur les lieux de travail.
Aux Émirats Arabes Unis, par exemple, pour des raisons de sécurité, on demande aux femmes qui travaillent dans certaines administrations de ne pas se couvrir le visage. C’est notamment le cas du Centre de recherche stratégique d’Abou Dhabi, que vous avez visité, madame le ministre d’État, lorsque vous occupiez d’autres fonctions : le port du voile intégral y est purement et simplement interdit.
Au Yémen, des femmes m’ont confié que le fait de porter le niqab était un handicap sérieux pour obtenir un emploi dans une entreprise, alors que la pression de la société yéménite pousse pourtant les femmes à se voiler le visage.
Au Koweït, les femmes qui portent le niqab n’ont tout simplement pas le droit de conduire.
Dans tous les pays de la péninsule arabique, le port du voile a une signification plutôt culturelle. La tradition, les coutumes, sont responsables de ce phénomène, qui devient de plus en plus minoritaire dans cette région, centre historique du monde musulman.
Dans toute la péninsule, les femmes portent beaucoup plus le niqab dans les villes qu’à la campagne.
Phénomène intéressant, sur l’île yéménite de Socotra, au large de la Somalie, les femmes n’étaient jamais voilées, mais l’arrivée des travailleurs venus de la région de Sanaa ou du golfe d’Aden les ont contraintes à porter le niqab, alors que celui-ci ne faisait absolument pas partie de leurs traditions.
Enfin, en Iran, vaste sujet, un petit foulard suffit, doublé d’une tenue qui ne laisse pas apparaître la forme des hanches. À nos âges – enfin, au mien ! –, qui s’en plaindrait ? (Sourires.)
Rien, en conséquence, n’obligeait la journaliste de TF 1 qui a interviewé le président iranien à se déguiser avec ce hijab blanc, absolument ridicule, acquis je ne sais où, mais sans doute pas au bazar de Téhéran ! Aucune Iranienne ne porte ce genre de casque de scaphandrier – Josette Durrieu qui a rédigé un rapport sur la question pourra en témoigner. Aucune femme iranienne ne se voile le visage ; elles sont bien trop jolies pour cela ! Un petit carré noué comme un jour de pluie aurait suffi, ou une simple écharpe posée sur la tête, un pashmina ; je voulais vous en faire la démonstration, mais l’hémicycle ne s’y prête pas ! (Sourires.) Il était inutile de porter ce hijab totalement décalé, qui a d’ailleurs été plus remarqué que ne l’a été le fond de l’entretien !
Ce projet de loi répond-il à une impérieuse nécessité ?
Oui – là, je vous rejoins, madame le ministre d’État –, si nous considérons le problème sous l’angle de la sécurité et du pacte républicain.
Je voterai ce texte, bien que peu convaincue de son caractère opérationnel dans l’espace public. Imaginons, en effet, une princesse saoudienne venue faire ses courses dans une boutique de luxe de l’avenue Montaigne. Lorsqu’elle sortira de sa voiture diplomatique, qui lui demandera de retirer son hijab pour savoir qui elle est ? Elle fera ses courses et remontera dans la voiture, tout simplement !
Ce projet de loi est-il opportun ?
Madame le ministre d’État, avec le profond respect que je vous porte, je voudrais vous dire toute mon inquiétude face à une montée de xénophobie et d’islamophobie dans notre pays et dans le monde en général.
On fait le buzz en menaçant de brûler le coran, on tague des pierres tombales et on agresse des populations au faciès. Tous ces faits ne correspondent en rien au pacte républicain dont nous venons de parler.
On polémique à cause de l’ouverture de quelques fast-foods hallals, mais pourquoi tant de fureur ? Les consommateurs seraient d’ailleurs bien incapables de faire la différence entre la viande casher ou hallal et la viande que vous pouvez acheter chez votre boucher traditionnel. La viande est surveillée et une redevance est payée aux services religieux. La belle affaire !
Notre pacte républicain est-il à ce point menacé et fragile que six lettres apposées sur une vitrine suffisent pour enflammer les esprits ? Franchement, je ne le crois pas !
Madame le ministre d’État, je l’ai dit maintes fois à cette tribune, l’ennemi du pacte républicain, c’est l’ignorance. Il faudrait faire ce que le Gouvernement n’a pas fait lors de l’adoption du texte relatif à l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les établissements publics d’enseignement : expliquer ce texte.
Nos ambassadeurs dans les pays musulmans doivent organiser des conférences de presse pour bien expliquer la position de la France. Le Quai d’Orsay, qui, vous le reconnaîtrez avec moi, ressemble parfois au Quai des Brumes, doit envoyer des émissaires dans les grandes nations musulmanes qui composent le Maghreb, ainsi qu’en Égypte, en Arabie Saoudite, en Indonésie et au Pakistan.
On a reproché à la France de ne pas avoir suffisamment expliqué le texte relatif à l’interdiction du port du voile à l’école. Pour ma part, lorsque je rencontre, lors de mes déplacements dans les écoles ou les universités, des jeunes filles musulmanes, je leur explique la laïcité telle que nous la pratiquons, et le texte est mieux compris.
Madame le ministre d’État, je vous en prie, faites en sorte que ce texte-ci soit bien compris par nos partenaires et par nos amis.
Nous ne sommes pas le centre du monde : nos décisions peuvent heurter la sensibilité de représentants d’autres cultures ; elles doivent donc être accompagnées.
Notre réseau diplomatique dans le monde pourrait au moins s’occuper de cette question pour que nos partenaires ne soient pas vexés. Je le répète, l’éducation me semble absolument essentielle en la matière.
Je l’ai dit, l’ignorance est le pire ennemi du pacte républicain, et je crains que le rêve de voir réintroduite à l’école l’histoire des religions, ce qui permettrait à tous, singulièrement à nos enfants, d’être un peu moins ignorants, ne s’éloigne chaque jour un peu plus au vu des crédits accordés au ministère de l’éducation nationale.
Madame le ministre d’État, le numéro deux d’Al-Qaïda vient de jeter l’anathème sur la France. Certes, je vous l’accorde, ce n’est pas très important, mais j’y vois une raison supplémentaire d’insister pour que le texte soit expliqué, car il répond à un besoin de sécurité, et qu’il soit bien compris à l’intérieur de nos frontières, par les communautés auxquelles il s’adresse, mais aussi au-delà, par nos partenaires étrangers. Je compte vraiment sur vos services ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP.)

Explication de vote de Mme Nathalie Goulet, Lors du PJL, interdisant la dissimulation du visage Dans l’espace public

Il est bien difficile de s’exprimer après M. Badinter...
Madame le ministre d’État, je vous remercie d’avoir rappelé votre attachement à la pédagogie. Mais la pédagogie suppose un encadrement. J’espère que vos services trouveront les moyens humains et financiers nécessaires à l’application de cette loi.
Il faut savoir que des flux financiers importants circulent dans certains quartiers. Des pères de famille peuvent percevoir 5 000, voire 10 000 euros pour contraindre leur fille à porter un voile intégral, ou du moins à s’orienter vers une pratique plus stricte de la religion. Si l’on veut que cette loi soit efficace, il faudra l’expliquer, faire un effort de pédagogie.
Madame le ministre d’État, j’espère que vous aurez les moyens financiers et humains de faire cet effort. Il faudra déceler, partout où c’est possible, les failles de l’accompagnement social qui existent aujourd’hui dans notre société. Ces failles constituent en effet des brèches dans lesquelles l’islamisme et le radicalisme trouvent leur fondement. C’est lorsque notre maillage social fait défaut que des associations, qui ne sont pas toujours bien intentionnées, peuvent trouver une accroche dans des familles démunies, en difficulté sociale.
Madame le ministre d’État, j’espère que vous trouverez les moyens financiers et humains d’appliquer cette loi afin qu’elle soit à la hauteur des principes que nous avons tous rappelés et soutenus aujourd’hui.