Les interventions en séance

Aménagement du territoire
Daniel Dubois 14/02/2012

«Proposition de loi visant à assurer l՚aménagement numérique du territoire co-présentée par M. Hervé Maurey»

M. Daniel Dubois

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, peut-on imaginer aujourd’hui un village, même reculé, dépourvu d’électricité ? Eh bien, ce qui nous semble évident pour l’électricité ou le téléphone fixe l’est aussi pour l’accès à Internet très haut débit et la couverture de téléphonie mobile. L’enjeu est immense ! Internet est un outil de recherches et de connaissances, ainsi évidemment qu’un outil social et économique. Cela représente plus du quart de la croissance et 40 % des gains de productivité de l’économie. Je ne m’attarderai donc pas sur l’opportunité d’une bonne couverture numérique de notre territoire pour répondre à ces enjeux fondamentaux, dans l’intérêt tant des citoyens que des entreprises. Aujourd’hui, nous nous rejoignons tous sur ce point. Demandons-nous plutôt comment déployer avec équité, efficacité et au meilleur coût les kilomètres de fibre optique et les antennes-relais pour la téléphonie mobile sur tout le territoire. Un an avant l’annonce par le Gouvernement du plan d’aménagement numérique du territoire, au Sénat, la loi dite « Pintat » relative à la lutte contre la fracture numérique posait déjà les fondations. Elle favorisera – nous en sommes tous persuadés – la construction de la France du très haut débit à horizon 2025. Le dispositif repose sur trois piliers, que le présent texte tend à renforcer pour en corriger les faiblesses. Premier pilier, la répartition de l’investissement entre les opérateurs privés, dans les zones denses, et les financements publics, dans les zones moins denses. Deuxième pilier, la constitution d’un fonds d’aménagement numérique du territoire qui permettra de cofinancer les réseaux d’initiative publique, auquel le fonds national pour la société numérique s’est substitué. Ce dernier fonds finance majoritairement les contenus, comme l’e-éducation ou l’e-santé, mais réserve 900 millions d’euros au profit du déploiement des réseaux. L’État, qui a confié la gestion de ce fonds à la Caisse des dépôts et consignations, s’occupe de l’abondement, du fonctionnement et détermine les projets éligibles. Troisième pilier de la loi Pintat, la mise en œuvre de documents de planification d’infrastructures numériques des collectivités territoriales. Aujourd’hui, 79 départements et régions ont déjà adopté les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, les SDTAN. En outre, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie dispose que les promoteurs et constructeurs devront équiper les logements neufs en fibre optique. Une telle obligation ancre désormais le très haut débit en tant que commodité essentielle. Comme pour tout chantier de cette envergure, les bonnes intentions n’ont pas réussi à se traduire pleinement dans les actes. Notre collègue Hervé Maurey a d’ailleurs identifié à juste titre les points faibles du déploiement du plan national pour le très haut débit dans son excellent rapport, qui a été adopté à l’unanimité de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire le 6 juillet dernier. La présente proposition de loi s’appuie évidemment sur les recommandations du travail constructif mené en amont et est fondée sur des analyses partagées par tous les membres de la commission. Pour les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine, la question qui est au cœur de cette proposition de loi porte sur la conciliation entre l’objectif de rentabilité pour les opérateurs privés et celui d’aménagement équilibré du territoire. Le texte initial y apportait trois éléments fondamentaux de réponse : le caractère obligatoire des schémas directeurs d’aménagement numérique du territoire, un financement pérenne pour le FANT et des sanctions en cas de manquement des engagements d’investissement des opérateurs privés, afin de rééquilibrer la relation avec les collectivités territoriales. L’accès au très haut débit constitue, je le répète, une commodité essentielle, donc un élément fondamental de l’aménagement du territoire. À ce titre, il me semble indispensable que le SDTAN, outil stratégique d’aménagement du territoire, revête un caractère obligatoire, comme cela figure dans la proposition de loi. Il me paraît aussi déterminant qu’il constitue la base d’une contractualisation, sous l’autorité de l’État, entre les collectivités territoriales et les opérateurs, afin que ces derniers soient réellement liés par leur contenu et leurs propres engagements concernant la couverture en très haut débit. La question de la répartition de l’investissement est également centrale, puisque le manque d’investissements aujourd’hui se traduira par un décrochage demain. Il faut donc que les conditions de cet investissement à long terme soient acceptables et soutenables financièrement. Dans le département de la Somme, où le SDTAN a été approuvé, sans les opérateurs privés, nous, c’est-à-dire le conseil général et les établissements publics de coopération intercommunale, devrons mobiliser 12 millions d’euros par an sur vingt ans. En effet, pour l’instant, la région Picardie ne s’est pas encore engagée. (M. Yves Rome s’exclame.) J’espère qu’elle le fera, mon cher collègue, et je compte sur votre soutien pour qu’il en soit ainsi. Car 12 millions d’euros par an, c’est loin d’être neutre. Les opérateurs privés n’auront pas de mal à avoir de retour sur investissement dans les zones denses. En revanche, les capacités d’investissement des collectivités ont réduit comme peau de chagrin. La question est donc la suivante : pourront-elles demain financer les boucles dans les zones rurales et semi-rurales, qui ne sont pas rentables, si on ne leur donne pas sur la durée la capacité financière d’assurer de tels investissements ? Par conséquent, il faut évidemment assurer la pérennité des soutiens financiers de l’État, qui doit donc s’engager sur la durée à participer très largement aux investissements non rentables. Mais, pour cela, il faut que le FANT soit abondé de manière pérenne par le produit de taxes dédiées, ou par des dotations. À cet égard, mes chers collègues, je regrette que la commission ait décidé de supprimer le dispositif qui figurait dans le texte initial ; il était prévu d’abonder le Fonds avec une contribution de solidarité numérique de 75 centimes d’euro par mois et par abonnement triple play. Il y avait aussi une petite dotation pour les achats. Ces dispositions étaient utiles au FANT. La pérennité de l’abondement du Fonds par des contributions est la condition sine qua non – souvenons-nous de ce que le Fonds d’amortissement des charges d’électrification, le FACE, a représenté pour l’alimentation électrique – d’un déploiement assuré dans la durée et dans les moindres recoins de France. De même, il me semble normal que la collectivité puisse se substituer en cas de carence de l’opérateur privé engagé sur une zone rentable dans le cadre de la contractualisation précédemment définie. Enfin, pour s’assurer de la bonne exécution des engagements des opérateurs privés et respecter l’équilibre entre opérateurs privés et collectivités territoriales, il faut impérativement un arbitre, avec un pouvoir de sanction. Aujourd’hui, personne n’exerce cette mission, pourtant nécessaire à la bonne exécution du programme national. Pour reprendre ce qui figure dans le rapport : « ce n’est qu’en disposant de mécanismes de contrainte clairs, complets et connus à l’avance que les “règles du jeu” seront claires et que l’on minimisera les risques de carence des opérateurs ». La proposition de loi confie donc à juste titre ce rôle à l’ARCEP, à qui le statut d’autorité administrative indépendante permet d’exercer une telle mission. Mes chers collègues, ce texte, qui est issu de l’excellent travail de notre rapporteur – je salue l’esprit constructif ayant présidé à nos débats en commission –, permettra certainement de concilier l’enjeu de rentabilité pour les opérateurs avec un objectif d’aménagement équilibré du territoire. Il y va de l’avenir de nos territoires ruraux, de leurs entreprises, et de leurs habitants. C’est pourquoi le groupe de l’Union centriste et républicaine soutiendra cette proposition de loi, tout en regrettant la suppression du financement pérenne au profit du FANT. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et sur quelques travées de l’UMP.)