Les interventions en séance

Budget
13/12/2011

«Projet de loi de finances rectificative pour 2011»

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la perspective des élections présidentielles pèse inévitablement sur nos débats. Efforçons-nous néanmoins, dans une période où nous sommes observés par les autres membres de l’Union européenne et par des agences de notation au verdict parfois suspect, de faire coïncider nos convictions et l’intérêt du pays. Il n’y a pas eu, cette année, de véritable débat budgétaire au Sénat. Nous nous sommes enfermés dans de vaines controverses, alimentées par des préoccupations purement politiciennes, qui, autrefois, étaient le plus souvent étrangères à cette assemblée. Malheureusement, le ton a changé, la nouvelle majorité sénatoriale ayant, semble-t-il, considéré que tout ce qui avait été voté précédemment était nul et non avenu. J’ai connu l’Assemblée nationale pendant deux mandats : il n’y régnait pas la même convivialité qu’au Sénat, mes chers collègues. Je souhaite que, quelle que soit la majorité, nous ne perdions pas cet état d’esprit. Ce collectif budgétaire est le quatrième de l’année 2011. Cela prouve la gravité de la situation. L’enjeu le plus pressant de ce texte est de garantir la sincérité d’un budget qui, espérons-le, prépare le terrain à de futurs équilibres budgétaires. Notre taux de prélèvements obligatoires étant de dix points inférieur à la part des dépenses publiques dans le PIB, la très délicate alternative devant laquelle nous nous trouvons est la suivante : soit nous augmentons fortement les impôts de manière à nous garantir les ressources nécessaires au désendettement, et les investisseurs se désintéresseront alors de notre pays tandis que la consommation baissera, soit nous diminuons sévèrement la dépense, et, dans ce cas, le risque de récession sera important. Le Gouvernement a choisi de préparer un assemblage de hausses d’impôts et de réductions de dépenses, en complément du travail déjà réalisé dans le PLF et le PLFSS. Ce choix suscite certaines réserves. La création d’un second taux intermédiaire de TVA à 7 % rejoint les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport de février dernier sur la compétitivité de la France et de l’Allemagne. Ce taux intermédiaire doit participer à l’harmonisation de nos fiscalités en vue d’instaurer un impôt commun sur les sociétés, et cela nous semble positif. Le Gouvernement a introduit dans notre droit le principe anglo-saxon bien connu des sunset laws, à savoir des dispositions législatives à durée de vie limitée. Je pense à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus instituée par le PLF pour 2012, mais aussi à l’augmentation de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros par an. J’exprimerai au moins deux réserves à ce sujet. Premièrement, une contribution exceptionnelle n’est-elle pas de nature à rendre notre système fiscal encore moins lisible qu’il ne l’est déjà ? Deuxièmement, pourquoi ne pas revoir l’assiette et le taux de nos impôts ? On peut tout à fait comprendre qu’il faudra beaucoup de temps pour cela, mais nous nous privons volontairement, là encore, du débat de fond que les circonstances exigent. Du point de vue des collectivités territoriales, le compte d’affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale », le FACÉ, remplace le fonds qui existait précédemment, ce qui soulève aussi plusieurs interrogations. Sans doute l’information et le contrôle du Parlement sur ce compte d’affectation spéciale seront-ils plus efficaces, mais je m’interroge sur la latitude des élus ruraux pour exercer leur maîtrise d’ouvrage du secteur électrique dans leurs collectivités. Je suis dubitatif sur la création d’un compte d’affectation spéciale dont les ressources attendues pourraient être affectées à d’autres finalités, comme ce fut le cas pour le compte d’affectation spéciale destiné à recueillir le produit des amendes. Pouvez-vous garantir, monsieur le ministre, la pérennité de ce dispositif et la sanctuarisation de ces ressources ? Je suis convaincu qu’accroître la charge fiscale pesant sur la production est une mesure très risquée, et même dangereuse, alors que nous craignons une croissance nulle, voire une récession en 2012. La compétitivité doit être l’aiguillon de notre politique économique et fiscale. À l’inverse, celle-ci ne doit pas être guidée par la recherche de recettes peu substantielles. Ce n’est pas en pénalisant nos champions nationaux que nous parviendrons à rassurer les marchés et à faire baisser le chômage ! Je rappelle que notre déficit commercial atteint 75 milliards d’euros… En ce qui concerne la réduction de la dépense, le compte n’y est pas. Le Premier ministre a annoncé, le 7 novembre dernier, un effort sans précédent en la matière, qui serait ventilé jusqu’en 2016. S’agit-il, là encore, de cacher la poussière sous le tapis et de remettre à l’été 2012 les véritables décisions ? La part de notre dépense publique dans le PIB est supérieure à 54 % ! Je me rappelle encore une époque ou l’on considérait que, passé 40%, on entrait dans un système soviétique... Le stoïcien Épictète nous enseigne que « notre salut et notre perte sont en nous-mêmes ». Soyons stoïques, mais soyons aussi entreprenants et optimistes : stimulons l’initiative privée en stimulant la compétitivité. La croissance économique durable viendra de tous ceux qui contribuent au PNB : les entreprises, les artisans, les agriculteurs, les salariés ou les professions indépendantes. Nous devons tout faire pour supprimer les entraves inutiles qui, trop souvent, freinent leur travail. Nous sommes en pleine guerre économique. Sur un champ de bataille mondialisé, les États-Unis, la Chine, l’Union européenne et les pays émergents se battent pour conquérir des parts de marché. L’une des armes dont nous pourrions disposer dans cette guerre, c’est la TVA « anti-délocalisations ». Quels sont nos atouts pour défendre notre industrie ? La haute technologie, la qualité industrielle, la spécificité de notre industrie agroalimentaire et le luxe, mais pour le reste... Le coût comparé de l’heure entre le Pakistan et la France est de un à cinquante. Les salaires et les charges sont la cause de cet écart. Il est évidemment exclu d’aligner nos salaires sur ceux du Pakistan. Nous reste alors la possibilité de baisser les charges et de faire porter celles-ci sur la consommation. Le Gouvernement et les entreprises peuvent et doivent absolument trouver un accord pour que ce transfert soit à somme nulle pour le consommateur. Soyons conscients qu’il n’y a pas plusieurs remèdes pour guérir de ce « haut mal » qu’est la dette. La règle d’or, si elle ne guérit pas, permet d’arrêter la propagation de la maladie. La règle d’or est une façon de contraindre tout gouvernement, de droite ou de gauche, à respecter une discipline budgétaire qu’aucun, jusqu’à aujourd’hui, n’a eu le courage de mettre en œuvre. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) Pourquoi refuser le dialogue entre les protagonistes ? Cette règle d’or proposée par le Gouvernement est, bien sûr, perfectible ; l’opposition peut présenter des amendements, l’améliorer. L’Allemagne et l’Espagne, dirigées par des gouvernements se réclamant de politiques différentes, ont réussi sur ce point à faire l’union nationale. Les forces politiques doivent savoir oublier les querelles picrocholines par rapport à l’ampleur des enjeux et faire primer l’intérêt du pays, objectif infiniment plus important qu’une carrière politique. L’œuvre passée de Gerhard Schröder plane sur tous les exécutifs politiques. Dix ans après une politique économique et sociale difficile, il apparaît comme l’homme qui a permis à son pays de tenir un rang envié pour la solidité de son économie et son consensus social. Les solutions proposées par le futur président ne pouvant différer beaucoup de celles qu’aurait mises en œuvre son rival malheureux, commençons dès maintenant ! Il faut avoir à l’esprit que les agences de notation nous surveillent. On peut s’interroger : sont-elles de connivence avec les banques, puisque les intérêts touchés par celles-ci dépendent de la notation des pays ? Il y a un mois, une agence plaçait la France sous surveillance négative, puis se ravisait, prétendant avoir commis une erreur. Des spéculateurs se sont-ils enrichis ? Y aura-t-il des sanctions ? Le risque est avéré, c’est pour nous tous une évidence. Nous savons tous qu’une dégradation de notre notation entraînera une hausse des intérêts de nos emprunts et donc de nos coûts de production. En cas de perte du triple A, le financement de notre dette deviendra très tendu, notre rapporteur générale l’a très justement rappelé, et la crise européenne est structurellement « auto-réalisatrice ». Un accord sur cette règle d’or ne serait-il pas un signal positif très fort ? Il serait facile de présenter cet accord comme ne faisant ni vainqueur ni vaincu, mais comme participant à la défense commune de l’intérêt national. Nous devons, toutes tendances confondues, marquer d’un geste sûr et fort notre volonté intangible de revenir dans le giron des critères de Maastricht en 2013, préalable au retour à l’équilibre budgétaire à moyen terme. (M. Claude Haut s’exclame.) Je conclurai avec la leçon d’optimisme d’un ressortissant d’un pays émergent, Han Seung-soo, ancien Premier ministre sud-coréen, qui souligne que le terme « crise » a deux sens en chinois : danger et chance à saisir. Monsieur le ministre, j’invite le Gouvernement à saisir cette chance en suivant l’exemple de Gerhard Schröder. Les électeurs ne croient plus aux promesses de Merlin l’enchanteur. Ils sont conscients de ce que les prochaines années seront ardues et que, pour les rendre plus acceptables pour tous, un effort immédiat est nécessaire. Les Français sont prêts à l’effort, ils le savent inéluctable. Ils attendent de vous courage et justice sociale. Le groupe UCR votera le projet de loi de finances rectificative. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)