Les interventions en séance

Droit et réglementations
Hervé Maurey 13/12/2010

«Proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit»

M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons enfin, aujourd’hui, en séance publique cette proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, qui, je vous le rappelle, a été adoptée par les députés voilà plus d’un an, le 2 décembre 2009.
Le texte de la commission des lois est issu, quant à lui, de sa réunion du 6 octobre dernier, puisque nous devions initialement l’examiner en séance en octobre. La durée des débats sur le projet de loi portant réforme des retraites a conduit à son report à cette date.
S’agissant des différentes dispositions de cette proposition de loi, force est de constater leur caractère « fourre-tout » et l’absence d’unité de ce texte.
Celui-ci comprend ainsi, pêle-mêle, des articles portant sur les gérants d’auto-écoles, le personnel navigant de l’aviation civile, les sanctions applicables en matière de pollutions aquatiques et marines, pour ne prendre que quelques exemples des articles qui ont été délégués à notre commission.
Sur les 206 articles du texte adopté par les députés, la commission des lois en a délégué au fond vingt-cinq à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui m’a fait l’honneur de me nommer rapporteur pour avis le 17 février.
La commission de l’économie a proposé à la commission des lois une trentaine de modifications, que cette dernière a toutes retenues. Celles-ci ont plusieurs objectifs : supprimer des dispositions intégrées depuis décembre 2009 dans d’autres textes, notamment dans la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche ou dans la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, clarifier ou préciser certains articles, introduire de nouvelles dispositions de simplification, à l’exemple des règles relatives aux avances entre organismes d’HLM, enfin, supprimer certaines dispositions à nos yeux inopportunes, à l’exemple de la réforme du droit de préemption urbain, la commission de l’économie s’étant saisie pour avis des articles concernés.
Notre commission, tout comme la commission des lois, a en effet jugé, sur ce point, que la réforme adoptée par l’Assemblée nationale était inadaptée et présentait des inconvénients réels pour des avantages incertains.
Au-delà des différentes dispositions de cette proposition de loi, il me semble essentiel que le débat qui nous réunit aujourd’hui soit le dernier de ce type.
Notre discussion doit marquer le point final des lois générales de simplification. Je crois que M. le président et M. le rapporteur de la commission des lois partagent cet avis.
Quelques chiffres illustreront mon propos.
Huit heures vingt : c’est la durée des débats sur la présente proposition de loi à l’Assemblée nationale, discussion générale comprise. Cela correspond à un rythme de deux minutes trente par article.
Deux cent quarante-quatre : c’est le nombre d’amendements à la proposition de loi qui ont été adoptés par la commission des lois lors de sa réunion du 6 octobre dernier. Parmi ces amendements, quarante-trois avaient été déposés par le Gouvernement.
Quarante-cinq : c’est le nombre d’articles ajoutés lors de la réunion de la commission des lois, qui correspond à peu près au nombre d’articles supprimés lors de cette même réunion.
Quarante-huit : c’est le nombre d’amendements déposés par le Gouvernement sur le texte de la commission.
Monsieur le garde des sceaux, est-il vraiment sérieux et raisonnable que le Gouvernement ait déposé plus de quarante amendements pour la réunion destinée à l’élaboration du texte de la commission, puis un nombre à peu près identique lors de la séance de la commission précédant l’examen en séance publique ?
Est-il également sérieux, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des lois, que le Gouvernement dépose ces amendements quelques heures seulement avant la réunion de commission, alors que certains ne comprennent pas moins de vingt-trois paragraphes ?...
Mes chers collègues, ces quelques chiffres démontrent que l’exercice auquel nous allons nous livrer aujourd’hui et demain n’est pas satisfaisant.
Au cours de mes auditions, j’ai souhaité m’intéresser à la démarche de simplification et, notamment, aux lois générales de simplification. Depuis le début des années 2000, quatre lois de simplification se sont en effet succédé : en 2003, en 2004, en 2007 et en 2009.
Les deux premiers textes ont été votés sur l’initiative du Gouvernement et le Parlement a d’ailleurs été en grande partie tenu à l’écart du processus de simplification puisque, par exemple, pas moins d’une soixantaine d’ordonnances ont été prises sur la base du texte de 2004.
Depuis 2004, l’initiative a changé de camp : la simplification est en effet devenue un des « chantiers prioritaires » de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Son président a été à l’initiative des textes de 2007 et de 2009, ainsi que de la présente proposition de loi.
Mais ces textes sont-ils des vecteurs permettant réellement la simplification et l’amélioration de la qualité du droit ? Ou sont-ils, comme l’a dit le professeur Pierre Delvolvé, que j’ai auditionné, des textes « indignes du Parlement » ?
Quelques éléments de réponse.
Tout d’abord, bon nombre de leurs dispositions ont un intérêt plus que limité : il s’agit souvent d’actualiser des terminologies, de procéder à des coordinations, de corriger des erreurs de référence et, parfois, de supprimer des dispositions obsolètes ou des références devenues inutiles à des mesures réglementaires.
Si je comprends l’utilité de ces dispositions du point de vue de la qualité du droit, je ne crois pas que cela constitue la priorité du travail parlementaire.
Par ailleurs, l’examen de ce type de textes par le Parlement n’est pas satisfaisant. Plusieurs commissions les instruisant, cela conduit à un numéro d’équilibriste entre rapporteurs. Par ailleurs, ces textes étant « fourre-tout », il est très difficile d’organiser les débats et d’intéresser nos collègues en passant sans transition d’une disposition ayant trait au logement à une autre relative à la santé.
Enfin, ces textes sont eux-mêmes extrêmement complexes, et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, lors de chaque examen, les différents ministères exhument de leurs tiroirs des dispositions de coordination, de correction rédactionnelle et de simplification. D’autre part, nous les parlementaires, nous déposons aussi à cette occasion des amendements sur l’ensemble des sujets imaginables.
D’où le « gonflement » de ces textes : la précédente proposition de loi est ainsi passée de 50 à 140 articles au cours de l’examen parlementaire.
Cela explique d’ailleurs que ces textes peuvent conduire à des erreurs, à l’exemple justement de la précédente loi.
La présente proposition de loi illustre tout à fait cette tendance. Je note ainsi que pas moins de vingt amendements ont été déposés sur le logement, dont certains ne constituent pas, à l’évidence, des mesures de simplification : c’est le cas, par exemple, de la possibilité de fixer par décret en Conseil d’État le niveau des loyers des logements neufs en Île-de-France ou du champ d’application des règles en matière d’accessibilité aux handicapés.
Cette proposition de loi ne constitue pas le vecteur adéquat pour débattre de ces sujets de fond.
Certains de nos collègues profitent même de ce texte pour « rejouer le match », c’est-à-dire pour proposer des dispositions rejetées dans un autre cadre : il en est ainsi des amendements que nous aurons à examiner qui correspondent aux dispositions d’une proposition de loi portant sur la lutte contre le logement vacant, examinée et rejetée en novembre 2009 par notre assemblée !
Ces textes constituent donc une mauvaise réponse à un vrai problème, à savoir les dysfonctionnements de notre démocratie parlementaire.
C’est pour cela qu’il faut avant tout changer certaines pratiques. Je pense notamment à l’inflation législative, qui conduit à légiférer trop, trop vite, et par là même de manière peu satisfaisante. Entre 2000 et 2006, le rythme de production normative a ainsi été de 70 lois, 50 ordonnances et 1 500 décrets par an !
Un seul exemple de la frénésie législative : l’ordonnance de 1945 sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France a été réformée 70 fois entre 1945 et 2006 !
Alors quelle alternative aux lois générales de simplification ?
Personne, parmi nous, n’est naturellement hostile à la démarche de simplification, bien au contraire : l’excessive complexité du droit est en effet une réalité et le souvenir de la réforme de la taxe professionnelle – un article de 135 pages et de 1 200 alinéas – est là pour nous la rappeler.
Face à l’imperfection de la démarche législative française, je me suis intéressé aux démarches équivalentes engagées par les autres pays développés.
Les exemples étrangers attestent que notre démarche constitue une exception : aucun des autres pays ne recourt à des lois « fourre-tout » ; ils recourent tous à des lois de simplification sectorielles, qui constituent une bien meilleure solution.
Prévoir l’adoption chaque année d’une loi de simplification dans un secteur précis permettrait d’adopter une démarche tout autre, avec notamment de larges consultations en amont.
S’agissant précisément des consultations, je vous livrerai une simple anecdote relative à mes travaux en tant que rapporteur : au cours de mes auditions, il est apparu que certaines professions concernées au premier chef par la proposition de loi n’étaient même pas informées de l’existence de certaines dispositions les intéressant très directement, près de neuf mois après leur adoption par l’Assemblée nationale !
Pour conclure, et puisque nous approchons de la période des vœux, je formule celui que ce texte – dont l’intitulé « simplification et amélioration de la qualité du droit » ne semble pas vraiment correspondre à la réalité – soit le dernier de ce type.
Comme l’a rappelé le président du Sénat lors de la clôture de la dernière session ordinaire, « il nous faut des textes allégés, moins touffus, plus compacts et constitutionnellement législatifs [...], des lois compréhensibles et cohérentes, éclairées par un débat parlementaire plus attractif et plus lisible ».
Vous conviendrez, mes chers collègues, que nous en sommes bien loin avec ce texte.
Toutefois, je vous rassure, la commission de l’économie a donné un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi, dont une partie des dispositions lui a été déléguée. (M. Jacques Mézard applaudit.)