Les interventions en séance

Affaires sociales
13/10/2010

«Projet de loi, portant réforme des retraites»

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.

Monsieur le président, mes chers collègues, je vais m’efforcer de dissiper le malentendu qu’a pu susciter l’intervention de notre collègue Christiane Demontès lors d’un rappel au règlement relatif à l’application de l’article 40 de notre Constitution.
Si vous le permettez, mes chers collègues, je reprendrai les termes de son intervention : « L’article 45-1 [de notre règlement] est clair : la commission des finances contrôle la recevabilité financière des amendements au regard de l’article 40 de la Constitution. Les amendements déclarés irrecevables ne sont même pas examinés en commission. Or, l’amendement n° 864 du groupe CRC-SPG, sur lequel nous venons de voter, est identique à notre amendement n° 58, qui, lui, a été déclaré irrecevable !
« Deuxième incident – il y en a peut-être d’autres : sur l’article 3, notre amendement n° 85 a été retoqué, accompagné d’une lettre aimable » – j’ai apprécié cette qualification (Sourires.) – « du président Arthuis ; mais l’amendement n° 253 identique, des Verts » – je pense qu’il s’agit des membres rattachés au groupe socialiste – « sera examiné. L’article 40 est fréquemment employé, sans autre forme de procès, dans des conditions qui s’apparentent à une censure, pour écarter nos propositions. Je demande que le président de la commission des finances rencontre la présidente de la commission des affaires sociales » – j’y suis naturellement tout à fait disposé ; nous avons d’ailleurs réuni ce matin les deux commissions pour traiter de l’allocation aux adultes handicapés –, « en présence de représentants des groupes. Il faut absolument clarifier les choses. Ces procédés sont inacceptables ! » Ces propos ont bien entendu été suivis d’applaudissements nourris sur les travées du groupe socialiste. (Sourires.)
M. Roland du Luart, qui présidait la séance, a répondu à notre collègue : « Le sujet mériterait d’être abordé demain en conférence des présidents. Il n’y a pas lieu, en effet » – il a raison – « de faire deux poids, deux mesures ».
À la suite de cet incident, j’ai pensé qu’il fallait non pas réserver mes observations à la conférence des présidents, mais les soumettre à notre assemblée, ce que je m’emploie maintenant à faire.
Sur le fond, je ferai remarquer que les amendements nos 864 du groupe CRC-SPG et 58 du groupe socialiste ne sont pas identiques.
L’amendement du groupe CRC-SPG dispose en effet que le Comité de pilotage des organismes de retraite « veille à » ce que soit garanti à tous les retraités un revenu de remplacement égal à 85 % du SMIC. Il vise donc à confier au comité une mission de veille, ce qui ne préjuge en rien du niveau réel des retraites. En conséquence, il a été déclaré recevable.
En revanche, l’amendement n° 58 du groupe socialiste non seulement ne se réfère pas au même article, mais aussi prévoit que les pensions « ne doivent pas » être inférieures à un revenu de remplacement au moins égal à 85 % du SMIC. Il s’agit donc d’une obligation de portée générale visant directement le niveau minimal des retraites. Cet amendement a donc été déclaré irrecevable.
Quant aux amendements nos 85 du groupe socialiste et 253 des Verts, ils ont bien fait l’objet d’un traitement différent, alors qu’ils étaient identiques et tous deux irrecevables. Cette situation est largement imputable – je vous y rends attentif, mes chers collègues, en sollicitant toute votre compréhension – aux conditions dans lesquelles la commission a dû statuer, c’est-à-dire expertiser au fond près de 1 200 amendements, souvent techniques, dans le cadre d’un délai limite fixé à la veille de l’examen des amendements par la commission.
Cette divergence a toutefois été corrigée, et l’amendement n° 253 a été déclaré irrecevable ce matin même. Par conséquent, il n’y aura pas de différence de traitement entre les amendements nos 85 et 253. Je remercie Mme Christiane Demontès de m’avoir permis de procéder, dans un souci d’équité, à cette rectification, afin qu’il n’y ait pas « deux poids, deux mesures ». (Sourires.)
Enfin, selon Mme Demontès, « l’article 40 est fréquemment employé, sans autre forme de procès, dans des conditions qui s’apparentent à une censure, pour écarter nos propositions. »
Les statistiques du service de la séance, que je tiens à votre disposition, mes chers collègues, démentent l’existence d’un traitement défavorable des amendements émanant du groupe socialiste ou, plus largement, de l’opposition sénatoriale.
Sur le projet de loi portant réforme des retraites, 11 % des amendements socialistes ont été déclarés irrecevables, soit guère plus que pour les groupes CRC-SPG et RDSE, dont, respectivement, 9 % et 8 % des amendements ont été retoqués, et beaucoup moins que pour les groupes Union centriste et UMP, (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) dont, respectivement, 22 % et 14 % des amendements sont tombés sous le coup de l’article 40 de la Constitution. Comme vous pouvez le constater, il n’existe pas de traitement discriminatoire.
Depuis le 1er juillet 2007, c’est-à-dire l’entrée en vigueur de l’examen a priori de la recevabilité, le taux d’irrecevabilité des amendements socialistes et du groupe CRC-SPG a été de 4 %, contre 3 % pour les amendements du groupe RDSE, 5 % pour les amendements du groupe UMP et 6 % pour les amendements du groupe Union centriste. (Protestations sur les mêmes travées.)
Si vous le permettez, monsieur le président, je souhaite enfin rappeler que, en tant que président de la commission des finances, j’ai proposé à l’ensemble des groupes politiques, dès l’instauration de la procédure d’examen a priori de la recevabilité des amendements, de leur expliquer la portée de l’article 40 de la Constitution et les principes de sa mise en œuvre. En effet, je constate par moments une certaine incompréhension à cet égard. Cet engagement m’a encore conduit à intervenir récemment devant la commission de la culture du Sénat, à la demande de son président. Je suis, je le répète, à la disposition des présidents de chacun de nos groupes.
Enfin, la commission des finances est à la disposition des sénateurs, qui, avant le dépôt de leurs amendements, souhaiteraient soumettre à examen leur recevabilité financière. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.) (...) Je voudrais dire à Jean-Pierre Bel que la commission des finances est faillible. Elle travaille dans des conditions difficiles et c’est pourquoi je veux rendre hommage à l’ensemble de mes collaborateurs. Je revendique le droit à l’erreur, en vertu duquel j’ai pu déclarer par inadvertance irrecevable un amendement déposé par nos collègues Verts. Mes chers collègues, j’appelle chacun d’entre vous à la vigilance, car c’est ainsi que nous pourrons veiller à une bonne application de l’article 40 de la Constitution et éviter qu’une telle erreur ne se reproduise.
Je comprends que Mme Nicole Borvo Cohen-Seat regrette que certains débats ne puissent avoir lieu dans l’hémicycle. Néanmoins, il me paraît difficile d’envisager que la recevabilité d’un amendement au regard de l’article 40 puisse être examinée en séance publique. Celle-ci doit être consacrée, pour l’essentiel, au débat politique.
M. Le Cam a raison de dire que le financement des retraites est un vrai sujet. À cet égard, il a parlé de « politique comptable » et j’avoue avoir toujours quelques soupçons quant à cette volonté de se mettre à distance de ce qui serait « comptable ». Je me permettrai de lui répondre que ce ne sont pas les comptables qui font la politique, mais il est plutôt rassurant, pour une communauté qui veut maintenir la solidarité entre ses membres, de connaître exactement la situation dans laquelle elle évolue. C’est dans ces conditions que peut s’exercer ce que l’on appelle le « pilotage » de la politique.
Il est urgent d’abandonner toute forme d’illusionnisme, faute de quoi nous risquons de perdre notre indépendance. Vient un moment où la soumission aux créanciers devient insupportable.
Enfin, monsieur Domeizel, je vous confirme que je ne vois aucun inconvénient à ce que le règlement soit modifié de manière qu’il soit possible, à l’avenir, de mettre en ligne les amendements déclarés irrecevables. J’appuierai toute initiative en ce sens. Il me paraît en effet important de dissiper tout mystère sur l’application de l’article 40 et d’être en la matière totalement transparent.
Je me tiens à la disposition de l’ensemble des présidents de groupe et de commission pour débattre avec eux des modalités d’application de l’article 40. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)