Les interventions en séance

Affaires sociales
13/09/2010

«Projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale»

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis de la commission des finances.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, nous savions que nous devrions prendre cet automne des mesures concernant la gestion de la dette de la sécurité sociale. Ce que nous ignorions alors, c’est que nous devrions nous résoudre à repousser la date d’extinction de la fameuse CADES et à anticiper l’entrée en jeu du Fonds de réserve pour les retraites dès 2012.
L’année dernière, je dénonçais en séance publique l’attentisme du Gouvernement et notre manque de responsabilité collective envers les générations futures. Toutefois, je dois reconnaître que l’impact de la crise a profondément « pipé les dés », et que les mesures proposées aujourd’hui par le Gouvernement sont malheureusement, pour une partie d’entre elles, inévitables.
La reprise de la dette de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse se révèle cette année particulièrement complexe, compte tenu des montants de transfert envisagés en 2011, puis entre 2012 et 2018. Sur cette période, la CADES devrait reprendre 130 milliards d’euros, soit un montant de déficits quasi équivalent au montant des déficits transférés en quatorze ans, depuis la création de la CADES en 1996.
L’importance des déficits transférés soulève de nombreuses difficultés, au point de susciter un débat sur l’opportunité d’une reprise de la dette par l’État ou par une caisse spécifique, M. le ministre y a d’ailleurs fait allusion tout à l’heure. L’ampleur des déficits ne permet pas le refinancement de la dette par la seule augmentation des ressources de la CADES : il faudrait en effet 0,7 point supplémentaire de CRDS pour reprendre 80 milliards d’euros sans allonger la durée de vie de la Caisse, soit plus d’un doublement du taux actuel ! Je reconnais que, dans le contexte actuel, ce n’est soutenable. Ces questions compliquent le maintien du dogme présidentiel de non-augmentation des impôts, alors même qu’une vaste campagne de réduction des niches fiscales et sociales est envisagée.
Au total, la reprise de dette proposée cette année nécessite au moins l’adoption de trois textes législatifs, dont un de valeur organique, afin de permettre la prorogation exceptionnelle de la durée de vie de la CADES.
Le schéma financier du Gouvernement repose ainsi sur la mobilisation de trois leviers afin d’éviter une hausse trop brutale des prélèvements obligatoires. Comme l’a indiqué M. Alain Vasselle, ce schéma comprend, d’une part, l’allongement de la durée de vie de la Caisse et, d’autre part, l’augmentation de ses ressources grâce à la réduction de certaines niches fiscales et sociales et, à partir de 2012, par l’affectation du produit de la liquidation progressive des actifs du FRR et au transfert de la ressource de celui-ci à la Caisse.
Quelle appréciation porter sur cette proposition ? D’un point de vue technique, le présent projet de loi organique n’ouvre que des possibilités qui devront être confirmées lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2011.
Le principal sujet d’inquiétude concerne la nature des ressources affectées à la CADES, qui s’éloignent des fondamentaux ayant présidé à la création de celle-ci. En effet, comme l’année dernière, le Gouvernement n’a pas souhaité procéder à une augmentation de la CRDS. Je le regrette, car cette contribution a le mérite de matérialiser pour chacun d’entre nous le remboursement de ses dépenses passées de protection sociale.
Trois questions peuvent donc être posées : ces mesures sont-elles opportunes et pertinentes sur le fond ; sont-elles de nature à garantir le financement du remboursement de la dette sociale ; le produit de la réduction des niches ne devrait-il pas être affecté à la réduction des déficits de l’État ?
La commission des finances s’interroge sur les mesures constitutives du panier de recettes.
En ce qui concerne la suppression de l’exonération de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance dont bénéficient aujourd’hui les contrats complémentaires santé dits « solidaires et responsables » et la création d’une taxation à un taux intermédiaire de 3,5 %, pour un rendement attendu de 1,1 milliard d’euros, deux observations s’imposent.
Première observation : même si le dispositif demeure incitatif pour les complémentaires, grâce à un taux d’imposition encore attractif, il existe néanmoins un risque de répercussion de cette charge nouvelle sur les assurés ; cette répercussion a d’ailleurs été annoncée. J’ajoute que ce secteur a déjà vu son régime fiscal s’alourdir ces dernières années. En 2009, notamment, la contribution des complémentaires santé au Fonds de financement de la couverture maladie universelle complémentaire, ou Fonds CMU-c, a déjà plus que doublé, passant de 2,5 % à 5,9 %.
Par ailleurs, l’impact de cette mesure sur des dispositifs connexes – la couverture maladie universelle complémentaire et l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé – devra également être analysé avec attention.
L’assujettissement annuel aux prélèvements sociaux de la partie euros des contrats d’assurance vie multisupport soulève des difficultés techniques, la mesure tendant à nier le caractère global de ce type contrat et la nature incertaine des plus-values. Monsieur le ministre, peut-être aurons-nous l’occasion, lors de la discussion du projet de loi de finances par exemple, de démontrer la pérennité de cette disposition. Si tel devait ne pas être le cas, nous nous heurterions à des difficultés.
Cette mesure, dont le rendement attendu est d’environ 1,6 milliard d’euros, pourrait conduire au prélèvement de cotisations sur le rendement « euros » du contrat, y compris en l’absence in fine de produit, si la performance des unités de compte est mauvaise. En l’occurrence, nous sommes tributaires d’un marché boursier assez fluctuant, soumis à un mouvement de yo-yo !
En ce qui concerne, enfin, la création d’une taxe de sortie sur les sommes de la réserve de capitalisation des sociétés d’assurance, il convient de s’assurer que cette mesure, qui devrait rapporter 1,4 milliard d’euros, ne remet pas en cause l’engagement prudentiel de solvabilité envers les assurés. Si une telle taxe était mise en œuvre, les assureurs font valoir qu’il faudrait en tirer les conséquences en matière d’application des nouvelles règles issues de la transposition de la directive « Solvabilité II ». En effet, la réserve de capitalisation est comptabilisée dans la catégorie des quasi-fonds propres en l’état actuel des règles prudentielles issues de la directive « Solvabilité I ». En revanche, il est possible qu’elle ne soit pas entièrement intégrée dans la marge de solvabilité dans le cadre de la directive de « Solvabilité II ». Il appartiendra donc à la France de définir le rôle de cette réserve et sa qualification ou non de quasi-fonds propres.
Seconde observation : il faut s’interroger sur l’adéquation du niveau des nouvelles recettes aux besoins de la CADES pour assurer le refinancement de 130 milliards d’euros de déficit d’ici à 2025. Trois incertitudes doivent être mises en avant.
La première incertitude tient au fait que l’exposition au risque de taux de la CADES devrait s’intensifier à moyen terme pour deux raisons : d’une part, compte tenu du niveau actuel particulièrement bas des taux d’intérêt, une remontée de ces derniers paraît vraisemblable, sinon inéluctable, ce qui entraînera une augmentation du coût du portage de la dette ; d’autre part, cette augmentation risque d’être d’autant plus sensible que la reprise de dette actuellement envisagée induit un changement d’échelle pour la CADES. Je le répète : 130 milliards d’euros devraient lui être transférés, dont 68 milliards dès 2011. Or, il convient de noter que l’exposition au risque de taux s’intensifie juste après les reprises de dettes, compte tenu de l’importance des refinancements à court terme mis en place pour effectuer ces reprises.
L’augmentation sensible du coût de portage de la dette dans les années à venir pourrait ainsi contribuer à remettre en cause le niveau de ressources actuellement calculé par la CADES pour refinancer, d’ici à 2025, l’ensemble des déficits repris. Je rappelle à nos collègues de la commission des affaires sociales et à ceux de la commission des finances ici présents l’incertitude dont nous a fait part le M. Patrice Ract-Madoux sur la perspective d’une extinction de la dette en 2025, ou aux alentours de cette date, en fonction de la situation.
La seconde incertitude prend la forme d’une interrogation sur les conditions de liquidation des actifs du FRR. Le Gouvernement souhaite que la vente des actifs soit progressive, à raison de 2,1 milliards d’euros par an entre 2012 et 2024.
Si l’on peut considérer que cette somme n’est pas suffisamment conséquente pour modifier le comportement des marchés et leur anticipation, il convient toutefois de noter que l’objectif de résultat qui serait fixé – le versement de 2,1 milliards d’euros par an à la CADES – représente une contrainte plus ou moins forte en fonction de l’évolution des marchés, mais aussi du simple fait qu’il sera mécaniquement plus difficile d’atteindre ce « rendement » en fin de période.
Enfin, une troisième incertitude réside dans la structure du panier de recettes, qui ressemble en fait à un « panier percé ». Pour remplir de manière satisfaisante sa mission, la CADES doit pouvoir bénéficier, ainsi que l’a souligné M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, de recettes pérennes et dynamiques, à l’image de la CRDS et de la CSG, dont une fraction est depuis 2009 affectée à la Caisse. On en mesure aujourd’hui les conséquences.
L’augmentation de la CRDS étant, semble-t-il, exclue à court terme, le Gouvernement proposera dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou dans le projet de loi de finances – nous connaîtrons cette année une espèce de dualité entre les deux textes – les trois mesures de recettes alternatives, que j’ai évoquées, qui permettront d’attribuer à la Caisse une somme annuelle de 3,2 milliards d’euros en 2011 et en 2012.
Aucune des mesures présentées ne possédant les mêmes caractéristiques que la CRDS en termes de pérennité et de dynamisme, le Gouvernement admet, comme l’a dit M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, qu’il sera nécessaire de revoir le schéma financier dès 2013...
La lettre que M. le ministre du budget nous avait adressée a été reprise par la presse et a fait, si je puis dire, couler un peu d’encre...
Aucune des mesures présentées ne possédant les mêmes caractéristiques que la CRDS en termes de pérennité et de dynamisme, disais-je, le Gouvernement admet qu’il sera nécessaire de revoir le schéma financier dès 2013, si ce panier de recettes est adopté par le Parlement.
En effet, l’exit tax proposée sur la réserve de capitalisation n’aura pas d’impact au-delà de 2012 : c’est ce que l’on appelle « un fusil à un coup » ! Nous sommes pratiquement sûrs que l’assujettissement annuel aux prélèvements sociaux des compartiments en euros des contrats d’assurance vie multisupport devrait connaître un rendement décroissant à partir de 2012. Quant à la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, la TSCA, à taux réduit sur les contrats complémentaires santé, si cette recette est effectivement pérenne, comme l’a rappelé M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, son rendement sera au mieux constant.
Aujourd’hui, il y a déjà un pourcentage non négligeable de personnes assurées. Les contrats solidaires et responsables sont largement répandus et ne peuvent se développer davantage. Au pire, ils pourraient même être décroissants, si la mesure entraîne une perte d’assiette consécutive à un renoncement à une couverture complémentaire pour les personnes les plus modestes.
La « fragilité » des recettes qui sont proposées est-elle acceptable ?
Si, comme on peut le craindre, les mesures ne répondent pas aux exigences de pérennité et de dynamisme souhaitées, il faudrait alors recourir à l’ordonnance du 24 janvier 1996, qui prévoit un mécanisme de correction en cas d’insuffisance des ressources. La commission des affaires sociales a proposé de renforcer cette contrainte en l’élevant au rang organique. Nous soutenons, bien évidemment, cette proposition et nous sommes également favorables à l’instauration d’une clause de retour à bonne fortune, qui a été acceptée par le Gouvernement.
La nature des recettes proposées est-elle de nature à entamer la confiance des investisseurs dans la CADES ? Je ne le pense pas, le statut de la Caisse, qui est un établissement public administratif, constituant une bonne protection. Cela a été confirmé par les membres de l’agence de notation qui ont été reçus par nos collègues de la commission des affaires sociales.
J’en viens à l’opportunité d’affecter 3,2 milliards d’euros de recettes nouvelles au refinancement de la dette sociale. Permettez à un membre de la commission des finances de s’interroger sur ce point, sur lequel nous reviendrons lors de la discussion du projet de loi de finances.
Le Gouvernement a fait de la réduction des niches sociales et fiscales son objectif pour 2011. Le rendement des différentes mesures qui seront proposées au cours de l’automne devrait avoisiner 10 milliards d’euros en 2011. Sur ce total, 6,9 milliards ont d’ores et déjà été fléchés en faveur de la sécurité sociale : 3,7 milliards d’euros sont alloués au financement de la réforme des retraites et 3,2 milliards d’euros sont affectés au financement du remboursement d’une partie de la dette sociale. Seuls 3,1 milliards d’euros pourront donc être consacrés à la réduction du déficit de l’État, ce que d’aucuns ont pu critiquer, compte tenu de l’importance de l’effort que nous devons consentir pour réduire le déficit.
Toutefois, face à l’impossibilité pour l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale de continuer à garantir le financement d’une partie de la dette sociale, l’affectation des 3,2 milliards d’euros au budget de l’État ne pourrait être envisagée qu’à la seule condition de relever le taux de la CRDS pour financer la dette sociale transférée à la CADES.
Je laisse ce sujet à votre sagacité, monsieur Fischer !
Ce schéma n’est pas envisagé à l’heure actuelle, compte tenu de la volonté du Gouvernement de stabiliser plus ou moins la pression fiscale.
Au demeurant, les déficits de la sécurité sociale et la dette sociale étant respectivement une composante des déficits publics et de la dette publique, il y a peu d’intérêt à privilégier par principe telle ou telle composante.
De façon plus générale, je souhaite souligner que les mesures proposées, aussi nécessaires soient-elles, ne constituent pas des réponses structurelles à la question de la dette sociale.
Les déficits de la branche maladie à compter de 2012 ne sont pas traités. Or, les projections pluriannuelles présentées dans le dernier PLFSS soulignent l’importance des déficits de cette branche : ces derniers devraient s’élever à 12,5 milliards d’euros en 2012 et 11,6 milliards en 2013.
Le transfert des déficits à la CADES ne constitue pas une réponse optimale dans la mesure où il n’a aucun effet sur la dynamique de la dette et représente un risque de report de charges sur les générations futures, dont il est par ailleurs souvent fait état. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
L’enrayement de la dynamique de la dette appelle des changements de fond : la réforme des retraites devrait certes alléger la contrainte financière, mais il convient de souligner les charges futures annoncées au titre de la maladie et de la dépendance, compte tenu du vieillissement de la population.
À ce titre, je me demande si l’enjeu ne sera pas encore plus important à partir de 2013.
Compte tenu de l’ampleur du transfert de déficit proposé, l’enjeu principal ne réside, en effet, pas seulement dans le choix du schéma de financement tel qu’il pourra être arrêté à l’automne pour les années 2011 et 2012. À partir de 2013, trois nouvelles questions se poseront.
La première a trait à la révision du panier de recettes, si celui-ci est voté cette année, compte tenu de ses faiblesses intrinsèques.
La deuxième concerne le début de la liquidation progressive des actifs du Fonds de réserve pour les retraites.
La troisième a trait à l’éventuel impact d’une remontée des taux d’intérêt sur le calendrier d’amortissement de la dette sociale. Eu égard à l’ampleur des transferts envisagés, une augmentation des taux pourrait, à elle seule, requérir un réexamen du montant des ressources affectées à la CADES, si l’on ne souhaite pas déroger une nouvelle fois aux contraintes organiques de non-prorogation de la durée de vie de la Caisse.
En conclusion, la commission des finances a donné un avis favorable à l’adoption de l’article 1er du présent projet loi organique dans la rédaction proposée par la commission des affaires sociales. Ce texte ouvre des possibilités. Il nous appartiendra, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, d’apprécier pleinement la pertinence du compromis proposé par le Gouvernement, d’évaluer le degré de bricolage ou de provisoire qu’il est possible d’accepter compte tenu de la situation actuelle de nos finances publiques.
Cette dernière requiert, en effet, un délicat arbitrage entre le soutien à la reprise de la croissance économique et le nécessaire assainissement de nos déficits. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)