Les interventions en séance

Institutions
Hervé Maurey 13/06/2013

«Projet de loi relatif à l՚élection des sénateurs-Motion tendant à opposer la Question préalable»

M. Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, le groupe UDI-UC se situe dans l’opposition, mais dans une opposition constructive. Nous n’étions pas des godillots dans la précédente majorité, et je crois l’avoir prouvé. Nous ne sommes pas davantage aujourd’hui dans une confrontation de principe avec l’actuelle majorité et le Gouvernement. Chaque fois que le Gouvernement s’est présenté devant la Haute Assemblée avec des projets répondant à l’intérêt général, nous les avons approuvés, sans dogmatisme, et nous l’assumons. C’est ainsi que nous avons majoritairement voté le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité et, vous devez vous en souvenir, monsieur le ministre, le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, quand vos partenaires vous faisaient cruellement défaut. Si certaines initiatives du Gouvernement peuvent être soutenues, d’autres, en revanche, doivent être combattues. C’est le sens de la présente motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi modifiant le mode de scrutin des sénateurs. Il constitue, en effet, une initiative que nous jugeons inopportune, inadaptée et dangereuse. Elle est inopportune, car, depuis désormais plus d’un an que vous êtes aux responsabilités, monsieur le ministre, votre bilan est lourd, très lourd même ! Il y a, tout d’abord, la récession économique, quand vous nous promettiez la croissance, et la hausse du chômage, qui a connu un record historique avec 40 000 nouveaux chômeurs en mai 2013 – c’est du jamais vu, alors que le Président de la République avait promis que, « lui président », l’emploi serait sa priorité ! Il y a, ensuite, la baisse du pouvoir d’achat. Elle aussi connaît des records, et elle s’explique notamment par une hausse de la fiscalité qui relève tout autant de l’exploit, puisqu’elle dépasse 33 milliards d’euros en plus d’un an ! Il y a, enfin, une insécurité qui progresse nettement depuis mai 2012, monsieur le ministre de l’intérieur. Le 24 avril dernier, à l’issue du vote du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Président de la République indiquait que « tout maintenant doit être consacré à ce qui est l’essentiel : la réussite économique de notre pays et la cohésion nationale ». Nous nous sommes réjouis de cette déclaration. Pensez donc, le Gouvernement allait enfin s’attaquer aux problèmes des Français ! Hélas, il n’en est rien ! Nous le constatons aujourd’hui, puisque, malgré cette déclaration, vous êtes ici pour un énième texte de tripatouillage électoral. Quelle différence entre les propos du Président de la République et la réalité qui vous conduit, une fois de plus, dans une démarche de politique politicienne, à vouloir sauver les meubles en changeant le mode de scrutin sénatorial pour tenter d’échapper à la sanction des élus. Vous qui ne vous cachez pas d’avoir de grandes ambitions, et c’est très bien, soyez heureux, monsieur le ministre, vous êtes déjà entré dans l’histoire comme celui qui aura modifié le plus de modes de scrutin en un temps record ! Vous avez modifié le mode de scrutin pour les élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants et le mode de scrutin désignant les conseillers communautaires. Vous avez créé un scrutin unique au monde, le scrutin binominal pour l’élection des conseillers départementaux. Naturellement, vous avez pris soin de figer une partie du collège électoral en décalant l’élection départementale et l’élection régionale, qui interviendront après les élections sénatoriales. Vous avez modifié le mode de scrutin des sénateurs représentant les Français établis hors de France. Et aujourd’hui, vous vous attaquez au mode de scrutin pour l’élection des sénateurs. Alors que vous nous aviez fait l’éloge du scrutin majoritaire lors de l’adoption du scrutin binominal, voilà que vous voulez renforcer le poids de la proportionnelle pour l’élection des sénateurs. C’est à n’y rien comprendre ! Il y a pourtant déjà plus de la moitié des sénateurs qui sont élus au scrutin proportionnel. Il y en aurait près des trois quarts – 73,7 % – si ce projet de loi était adopté. Il est tout de même curieux que, selon l’élection dont il s’agit, vous vous fassiez le défenseur de modes de scrutin tout à fait différents. Quelle est la logique, si ce n’est celle de vos calculs et de vos intérêts partisans ? Quand donc le Gouvernement consacrera-t-il enfin son temps, son énergie et celle des parlementaires aux réformes dont notre pays a vraiment besoin ? Quand donc s’attaquera-t-il vraiment aux problèmes des Français ? Cette réforme n’est pas seulement inopportune, elle est également inadaptée. Si j’en crois l’exposé des motifs de votre projet de loi et les propos que vous avez tenus ce matin, monsieur le ministre, ce texte vise deux objectifs. Le premier serait, d’après l’étude d’impact, de « permettre une meilleure représentation des communes urbaines », ce qui témoigne, une fois de plus, et j’y reviendrai, de votre volonté de réduire le rôle de la ruralité, y compris dans cette assemblée représentative des collectivités locales. Le second objectif, que nous partageons, serait de « renforcer la parité au sein du Sénat ». La parité me semble vraiment ici une noble cause qui sert de prétexte à de bien tristes manœuvres politiques ! L’étude d’impact que vous nous avez présentée, monsieur le ministre, me semble tirer des conclusions un peu hâtives. Vous nous y expliquez que, grâce à l’abaissement du seuil de la proportionnelle de quatre à trois sénateurs, « mécaniquement, un nombre plus important de femmes devrait accéder au mandat de sénateur ». Or rien ne le prouve ! En effet, plus la proportionnelle est appliquée à un nombre réduit de postes à pourvoir, moins elle est à même de répondre aux objectifs de pluralisme et de parité. Au vu du seul exemple dont nous disposons, les élections de 2001, où dix départements ont élu leurs trois sénateurs à la proportionnelle, on observe que, dans seulement trois départements sur dix, une liste a remporté deux sièges. Cela signifie que, dans les sept autres, la proportionnelle s’est révélée de fait un scrutin majoritaire à un tour. Dans ces dix départements, six sénatrices ont été élues sur les trente sièges à pourvoir, soit 20 % de femmes. En 2011, toutes nos collègues qui avaient été élues en 2001 et dont le département avait changé de mode de scrutin ont été réélues au scrutin majoritaire, ce qui prouve que nos collègues de sexe féminin n’ont pas besoin de scrutin ad hoc pour être élues ! J’ajoute que, en 2011, quelque 20,8 % des sièges à pourvoir ont été attribués à des sénatrices, c’est-à-dire plus qu’en 2001 à la proportionnelle. Où est donc l’effet mécanique ? À cette échelle, il n’y en a pas : comme je viens de le montrer, les effets à attendre sur la parité sont nuls, et je regrette que l’étude d’impact soit à ce sujet bien silencieuse, pour ne pas dire trompeuse. Dans son rapport établi au nom de la délégation aux droits des femmes, Laurence Cohen l’avoue à demi-mot : « Même s’il concerne un assez grand nombre de sièges, [l’abaissement du seuil] n’aura pas nécessairement un effet aussi prononcé sur la parité ». Pour renforcer la parité, il serait certainement plus adapté de rendre obligatoire le choix d’un suppléant de sexe différent, comme de nombreux collègues l’ont suggéré lors des débats en commission et comme le proposent les membres de la délégation aux droits des femmes. Je rappelle, car vous le savez déjà, monsieur le ministre, que c’est non pas au Sénat, mais à l’Assemblée nationale, où le scrutin est pourtant uniquement majoritaire, que l’on compte le plus grand nombre de femmes. Monsieur le ministre, vous avez précisé ce matin que ce projet de loi favoriserait le pluralisme en évitant la représentation politique uniforme d’un département. Je vous fais cependant remarquer que, sur vingt-cinq départements élisant aujourd’hui trois sénateurs, seuls sept ont une représentation monocolore. En outre, dans plus d’un département sur trois, les grands électeurs sont représentés par des sénateurs de la majorité et de l’opposition. C’est le cas dans l’Ain, dans l’Aisne, en Côte-d’Or, dont je salue l’un des représentants ici présent, dans le Doubs, dans le Gard, dans le Loiret, dans la Manche, dans les Pyrénées-Atlantiques et dans le Vaucluse. Cela montre bien que le scrutin majoritaire, tel qu’il est appliqué pour les élections sénatoriales et qui est le même que pour les élections municipales dans les petites communes, est un scrutin de liberté : liberté pour les candidats de se présenter seuls ou en liste, que celle-ci soit complète ou incomplète ; liberté pour les grands électeurs qui peuvent ainsi panacher et exprimer dans un même vote leur attachement à une famille politique et la reconnaissance du travail accompli par un élu. Je souligne d’ailleurs que les élus locaux sont très attachés à ce mode de scrutin et qu’ils n’apprécient pas votre volonté de le changer. Certains élus de l’Eure qui se trouvent dans les tribunes pourraient vous le confirmer. Plus grave encore, cette réforme est dangereuse, car elle est de nature à remettre en cause l’identité même de la Haute Assemblée. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement, puisque votre réforme s’inspire du rapport de M. Jospin, pour qui le Sénat est une « anomalie démocratique » ? Je rappelle que M. Jospin a déjà tenté, lorsqu’il était Premier ministre, de modifier les règles relatives à la désignation des sénateurs dans des conditions telles qu’elles entraînèrent – fort heureusement, d’ailleurs – la censure du Conseil constitutionnel. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous avez ce matin voulu être rassurants. Vous avez rappelé votre attachement au bicamérisme. Vous avez souligné que ce texte n’entraînerait pas de bouleversements. Vous nous avez assuré vouloir conforter notre légitimité. Je n’avais pourtant pas le sentiment que celle-ci était menacée... Vous avez déclaré qu’il n’était pas question de remettre en cause le Sénat. Pour ma part, je considère que ces modifications du mode de scrutin, même si elles sont limitées en apparence, sont de nature à avoir un impact sur la Haute Assemblée et sur son rôle. Monsieur le rapporteur, ce n’est pas parce que, comme vous l’écrivez, ce texte « ne prévoit aucune modification sur les dispositions organiques relatives au Sénat », que les logiques qui l’inspirent n’en sont pas moins source d’inquiétudes. En mettant en place la proportionnelle dans les départements élisant trois sénateurs, vous renforcez le rôle des partis politiques dans la sélection des candidats, au détriment de celui des élus. En voulant renforcer la prise en compte du poids démographique des collectivités, vous niez la spécificité du rôle du Sénat. Ce dernier représente les collectivités territoriales ; le peuple, lui, est représenté par l’Assemblée nationale. Les collectivités locales, ce sont essentiellement nos 36 681 communes. Or deux tiers des communes comptent moins de 500 habitants et sont donc de petites communes rurales. Dans ces conditions, il est normal que le rôle des élus ruraux soit prépondérant dans la désignation des membres de la Haute Assemblée. Monsieur le ministre, j’ai été très surpris de vous entendre ce matin déclarer : « En renforçant le critère démographique, on renforce les territoires. » Ma citation est approximative, car j’ai relevé vos propos au vol. C’est très exactement l’inverse ! Par définition, quand on renforce les territoires, on ne peut promouvoir un mode de scrutin qui prend davantage en compte le poids démographique. Encore une fois, c’est à l’Assemblée nationale de prendre en compte ce poids démographique. L’élargissement du collège qui nous est proposé se traduira, à l’échelon national, par une augmentation de 3 175 délégués issus du monde urbain. Certes, cela peut sembler minime, mais cela aura un réel effet dans certains départements, sans que l’étude d’impact le précise d’ailleurs, comme l’ont souligné Yves Détraigne et Michel Mercier. Ce dispositif vient en outre s’ajouter à la diminution de la représentation des élus ruraux dans les assemblées départementales, du fait à la fois du nouveau mode de scrutin que vous avez fait adopter pour l’élection des conseillers départementaux et du redécoupage auquel vous procédez. Là encore, cela aura un effet sur le collège électoral, puisque les conseillers départementaux sont de grands électeurs. L’étude d’impact n’en parle pas non plus. Monsieur le ministre, je m’interroge. Pourquoi vouloir toujours renforcer le poids du monde urbain ? Pourquoi le Gouvernement s’attaque-t-il ainsi, texte après texte, à la ruralité ? Il y a là, d’ailleurs, un paradoxe sur lequel j’attire votre attention, mes chers collègues, entre, d’une part, la volonté de nos concitoyens, qui, de plus en plus, souhaitent vivre en zone rurale, et, d’autre part, l’attitude du Gouvernement, qui, au lieu de soutenir la ruralité, veut encore et toujours renforcer le fait urbain au détriment du monde rural. Depuis une dizaine d’années, la Haute Assemblée a connu d’importants changements : la durée du mandat, la fréquence des renouvellements, les modes de scrutin. Plutôt que de procéder par modifications successives d’apparence anodine, ne vaudrait-il pas mieux s’interroger sur le rôle du Sénat, aujourd’hui et demain ? Il est vrai que, pour cela, il faudrait un Gouvernement capable de fixer un cap... Or nous le voyons tous les jours : ce n’est pas le cas. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.) Jouer aux apprentis sorciers avec des curseurs tantôt sur le collège, tantôt sur le mode de scrutin, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, n’aura qu’un seul effet : affaiblir notre institution et semer le trouble parmi celles et ceux dont nous sommes les représentants. Monsieur le ministre, vous tentez par ce texte une petite opération politicienne, destinée à permettre au Sénat de rester un peu plus longtemps à gauche. Ce n’est pas digne de quelqu’un qui aspire aux plus hautes fonctions de l’État. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ce n’est pas non plus une marque de confiance dans la capacité de la gauche sénatoriale à rester majoritaire. Il est vrai que, ce matin, elle a encore prouvé combien elle était désunie ! Monsieur le ministre, vous le savez, ce ne sera pas efficace : les lois électorales se sont toujours retournées contre leurs auteurs. En outre, et je comprends que cela dérange certains de mes collègues, car ils en seront victimes, la colère des élus est grande et s’accroît de jour en jour. Vous leur avez laissé espérer qu’avec vous les dotations, gelées par le précédent gouvernement – et Dieu sait que vous aviez critiqué cette mesure à l’époque, mes chers collègues socialistes –, allaient augmenter. Or elles vont diminuer pour la première fois de notre histoire. Vous leur aviez promis qu’ils seraient respectés, considérés et consultés. Vous avez mis en place une réforme des rythmes scolaires qui témoigne d’un grand mépris et d’une méconnaissance totale du monde rural. Justement ! Vous avez heurté une très grande majorité de maires en leur imposant le mariage pour tous, dont la plupart ne voulaient pas. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je comprends que cela vous dérange, chers collègues ! Vous ne cessez de vous attaquer à la ruralité et, aujourd’hui, vous voulez supprimer un mode de scrutin auquel les élus ruraux sont profondément attachés. Monsieur le ministre, chers collègues de gauche, ne vous étonnez pas si les maires et les élus locaux s’en souviennent en septembre 2014. Mes chers collègues, par respect pour eux, par respect pour la ruralité et par respect pour la Haute Assemblée, je vous demande de voter cette motion. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)