Les interventions en séance

Droit et réglementations
Vincent Delahaye 13/05/2014

«Projet de loi relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public »

 

M. Vincent Delahaye

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ceux qui parmi nous sont des élus locaux – ils sont nombreux – se rappellent sans doute la grande période d’euphorie financière que nos collectivités territoriales ont connue avant 2008. Après un renforcement continu des compétences locales, suivi, en 2003, de la conquête par les collectivités territoriales de leur autonomie financière, le financement des projets des collectivités est rapidement devenu un marché en plein essor pour de nombreuses institutions financières. Nous avons tous connu les rendez-vous avec les agents de ces institutions au cours desquels ceux-ci nous promettaient des solutions financières parfois très avantageuses de prime abord, mais rapidement opaques si l’on s’attachait à en observer le fonctionnement réel. Le rapport établi par M. Germain, au nom de la commission des finances, donne un bon aperçu de la complexité de ce type de produits. Les contrats structurés et les swaps de taux d’intérêt indexés sur des parités monétaires n’ont fait que masquer cette vérité : un important levier de financement suppose de prendre des risques importants. En réalité, la structuration et la désintermédiation des produits n’ont fait que donner l’illusion d’un accès facile et sans risque au financement de l’action publique locale par l’endettement. Cette période d’euphorie, au cours de laquelle de nombreux élus locaux se sont laissés aller du point de vue gestionnaire en s’engageant dans des projets pharaoniques, a pris fin avec la crise financière. Dès 2008, les difficultés croissantes de Dexia ont permis de mettre au jour les coulisses de cet âge d’or des finances locales. L’émergence du risque sous-jacent à ces produits structurés a pu conduire à des taux d’intérêts presque usuriers : plus de 14 % pour certains produits de Dexia dont les parités étaient indexées sur le franc suisse ! L’encours total des dettes toxiques détenues par les collectivités territoriales représenterait aujourd’hui plus de 10 milliards d’euros. Sur une dette locale évaluée à 130 milliards d’euros, les emprunts toxiques représenteraient donc environ 8 % de l’encours global. La volatilité des taux variables qui caractérise ces emprunts fait par conséquent courir un risque important, à la fois aux collectivités, aux banques, mais aussi à l’État et, au final, au contribuable. Je profite de la discussion du présent projet de loi pour rappeler que les dépenses des collectivités locales représentent 20 % de la dépense publique et que leur dette correspond seulement à 6 % de l’endettement, alors que l’État engage 33 % de la dépense publique et que sa dette constitue 90 % de l’endettement. C’est bien l’État, et non les collectivités locales, qui vit aujourd’hui largement au-dessus de ses moyens. C’est sur lui que devrait se concentrer l’essentiel de l’effort de redressement des finances publiques, monsieur le secrétaire d’État. Nous reviendrons sur ce point à l’occasion d’autres débats. Sur le plan économique, l’explosion de la charge de la dette locale toxique fait peser de grands risques sur une partie du système bancaire et sur le maintien de l’investissement public local. Nous devons tous nous rappeler l’exemple espagnol. En 2012, la situation du groupe Bankia a failli conduire une nouvelle fois l’Espagne au bord du gouffre, ainsi que ses collectivités. Dans un contexte où l’argent public se fait rare et où les conditions de financement des collectivités se durcissent, il devient de plus en plus difficile de soutenir l’activité économique à l’échelon local. Dès lors, l’explosion des taux évince la destination naturelle des ressources locales, à savoir le financement du service public, au profit de la rémunération de contrats douteux. Toujours sur un plan économique, la fragilisation des banques prêteuses par une exposition trop importante au risque de défaut de paiement local a conduit l’État à octroyer sa garantie au groupe Dexia en 2011. Depuis lors, il semble particulièrement difficile d’obtenir des informations précises sur ce que cette garantie a finalement coûté au contribuable français afin de ne pas semer la panique sur le marché bancaire, notamment sur le marché du financement de l’action publique locale. Sur le plan logique – j’ai presque envie de dire éthique –, nous faisons face à un véritable dilemme. Il n’est pas possible de laisser certaines de nos collectivités dans une telle situation, mais il n’est pas non plus souhaitable que nous signions un chèque un blanc pour éponger les conséquences de leurs erreurs de gestion. Pas question de payer pour les « mauvais gestionnaires » ! Et pourtant, le collectif budgétaire du mois de décembre 2012 et la loi de finances pour 2014 ont d’ores et déjà institué un fonds de soutien aux collectivités visées. Il n’est pas admissible que la collectivité mutualise les conséquences de prises de risques locales parfois abusives. Par exemple, ce n’est pas au contribuable national de payer pour les fautes de gestion commises en Seine-Saint-Denis par M. Claude Bartolone.
C’est au conseil général d’assumer les responsabilités financières des décisions passées.(Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Certes, mais c’est un exemple parmi beaucoup d’autres !
Nous nous réjouissons aujourd’hui que le fonds de soutien ne soit plus, comme en 2012, à la charge de l’ensemble des collectivités locales, y compris de toutes celles qui n’ont jamais souscrit ce type d’emprunts toxiques, qu’il soit alimenté pour deux tiers par les établissements financiers et pour un tiers par l’État au titre de la solidarité nationale.
Enfin, la jurisprudence résultant notamment des jugements du tribunal de grande instance de Nanterre et a fortiori de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de finances pour 2014 font courir un risque budgétaire important à l’État.
En effet, l’absence de mention du TEG, l’erreur de TEG ou le défaut de conseil de la banque sont désormais sanctionnés par le juge judiciaire, et ce au bénéfice des collectivités concernées. Or ce fait conduit à faire jouer la garantie de l’État et, par conséquent, à opérer un transfert budgétaire des collectivités vers l’État. Autrement dit, on demande au contribuable national de payer à la place du contribuable local. En raison de cette jurisprudence, le nombre de contentieux a considérablement augmenté ces derniers mois. Cette augmentation étant décrite dans l’excellent rapport de notre collègue Jean Germain, je n’y reviendrai pas. Toujours est-il que le risque budgétaire maximal, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, a été chiffré à 17 milliards d’euros pour l’État. Si nous maintenions le statu quo, nous devrions prendre en compte une recapitalisation de l’ordre de 7 à 8 milliards d’euros dès cette année, soit une somme assez importante. Bien sûr, le pire n’est jamais sûr, mais gouverner c’est prévoir et anticiper. Or, en matière financière, il convient d’être prudent et d’anticiper le pire. Dans cette période de forte contrainte sur la gestion de la dépense publique, il n’est pas question de laisser filer le déficit pour couvrir une responsabilité partagée entre les banques, certaines institutions financières, les collectivités, mais aussi l’État en raison de son rôle dans le domaine du contrôle de légalité et du conseil en la matière. Vous l’avez bien compris, monsieur le secrétaire d’État, la situation est particulièrement épineuse. L’inaction serait budgétairement et économiquement désastreuse ; l’apurement pur et simple serait quant à lui abusif et injuste. Le législateur doit donc trouver un équilibre, afin de parvenir à une solution efficace et satisfaisante. Depuis 2008, les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs. Une charte de bonne conduite a été établie dès 2009. Éric Gissler, inspecteur des finances, a été mandaté pour mener une mission de médiation entre les banques et les collectivités territoriales. Une commission d’enquête a même été constituée à l’Assemblée nationale en 2012. Enfin, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires a permis de mieux encadrer les conditions d’emprunts des collectivités. Si le flux d’alimentation de l’encours semble traité, il reste à gérer le problème du stock de la dette toxique déjà constitué. Une première tentative de réponse figurait dans l’article 92 initial du projet de loi de finances pour 2014. Il s’agissait, en plus de la création du fonds de soutien, de procéder à la validation législative des stipulations d’intérêts des prêts contractés, afin de réduire le risque d’exposition de nos finances publiques. Cependant, cela a été souligné, le Conseil constitutionnel a estimé que cette dernière disposition était trop large et pas assez ciblée. C’est sur ce point, notamment, que revient le texte que nous examinons aujourd’hui. De nombreuses incertitudes règnent encore sur les conditions du financement de l’action publique locale. Les emprunts toxiques ne sont donc que l’aspect le plus manifeste et le plus immédiat d’une problématique plus large. Ainsi, il y a fort à parier que les conditions de formation des partenariats publics-privés et de nombreuses autres formes de contrats administratifs, dès lors qu’ils conduisent les collectivités à s’acquitter de charges toujours plus importantes, deviendront, dans les années à venir, un nouveau sujet de préoccupation pour les pouvoirs publics et le législateur. Pour conclure, les membres du groupe UDI-UC sont divisés sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Certains d’entre nous considèrent que la loi est la loi : dès lors que des contrats ont été conclus et que la justice a rendu un jugement, il faut respecter celui-ci. D’autres, dont je fais partie, pensent qu’il faut rechercher, comme vous l’avez fait, monsieur le secrétaire d’État, et comme l’a voulu le Gouvernement, une position plus équilibrée. La solution qui nous est proposée aujourd’hui est-elle complètement équilibrée ? Fabienne Keller à l’instant a répondu par la négative à cette question. Pour ma part, j’estime que nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état : il serait irresponsable de faire courir un tel risque financier principalement à l’État et au contribuable national. Cela étant, certains membres du groupe UDI-UC voteront contre le présent texte, d’autres s’abstiendront et d’autres encore voteront en faveur de cette proposition de règlement certes plus ou moins équilibrée, mais qui présente le mérite de ménager les finances de l’État et le déficit public, et vise à traiter sur la durée le problème des emprunts structurés.