Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Jean-Léonce Dupont 13/03/2013

«Projet de loi, relatif à l՚élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral – 2ème lecture»

M. Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un hebdomadaire de cette semaine titre un bref article : « Les Hollandais ne pensent qu’à ça ». (Ah ! sur les travées de l’UMP.) Les soutiens de François Hollande préparent déjà son second mandat. (Même mouvement.) Quelque trois cents personnes, dont une dizaine de ministres, se sont réunies à l’Assemblée nationale dans ce but et un député socialiste d’expliquer que « l’objectif est clair, c’est la réélection de François Hollande en 2017 ». Lors de la première lecture du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral, bon nombre de parlementaires ont dénoncé un texte élaboré à partir de calculs politiciens visant à limiter d’éventuelles déroutes électorales lors des prochaines élections locales, mais qui sera destructeur pour l’équilibre entre les territoires urbains et les territoires ruraux. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) À l’aune d’un objectif aussi nettement affiché, à peine neuf mois après l’élection en question, permettez-moi de renouveler ces interrogations et ces inquiétudes quant à la conception de l’intérêt général du Gouvernement, qui fait croire aux élus à une grande consultation-concertation sur une réforme territoriale, mais qui présente au Parlement des projets de loi répondant aux intérêts d’un seul parti. S’agissant du fond du texte examiné aujourd’hui, je comprends la nécessité de tenir compte des évolutions démographiques et donc de réduire l’écart de population entre les cantons, car la carte cantonale de certains départements – ce n’est pas le cas du Calvados – n’a pas été revue depuis fort longtemps. Je reconnais aussi que le changement de dénomination de l’institution et des élus, respectivement en conseil départemental et en conseiller départemental, sera plus explicite pour nos concitoyens. J’approuve également le principe du renouvellement complet du futur conseil départemental tous les six ans, mais je suis particulièrement inquiet des conséquences du redécoupage de la carte électorale tel qu’envisagé par le Gouvernement et du mode de scrutin retenu. L’article 2 du projet de loi prévoit un nouveau mode de scrutin aux élections cantonales, bientôt départementales : les candidats se présenteront en binôme, un homme-une femme (Une femme-un homme ! sur plusieurs travées.), une femme-un homme, bien sûr, au scrutin majoritaire à deux tours, dans un canton redécoupé. Je dois admettre que le mode de scrutin proposé est créatif, mais d’une créativité similaire à celle qui fut à l’origine des 35 heures, celle que personne ne nous envie, celle que personne ne copie. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.) Même notre rapporteur soulignait dans son rapport de première lecture que ce « nouveau mode de scrutin binominal ne dispose d’aucun équivalent dans les scrutins électoraux applicables dans d’autres pays ». Mes inquiétudes quant à cette réforme portent non pas sur l’affichage d’une nouvelle exception française, mais sur les conséquences du système envisagé. Sous couvert d’améliorer la parité des élus départementaux, un binôme mixte, solidaire pendant la campagne électorale, puis indépendant une fois élu, a été imaginé. J’ai les plus vives interrogations quant au fonctionnement, à l’entente efficace dans la durée pour le canton et sa population de ce fameux couple imposé. Plus graves seront les ruptures et fractures entre les territoires. Jusqu’à présent, un fragile équilibre existait entre la représentation de la population, avec les élections législatives et régionales, et la représentation des territoires, avec les cantonales et les sénatoriales. Si, demain, on applique le nouveau mode de scrutin avec le redécoupage annoncé de la carte cantonale, c’est inévitablement un basculement qui va s’opérer, avec un affaiblissement important de la représentation des territoires ruraux et le travail du futur conseiller départemental, entre celui qui représentera un quartier d’une ville et celui qui représentera entre soixante et cent communes rurales. (M. Claude Domeizel s’exclame.) Il lui faudra du courage, ne serait-ce que pour participer aux différents repas des anciens ! Ainsi, dans le Calvados, pour atteindre uniformément la moyenne départementale requise, les cantons redécoupés devront réunir trois ou quatre cantons ruraux actuels. C’est le rôle de péréquation du conseil général dans l’aménagement du territoire qui sera mis à mal. Vous le savez tous, mes chers collègues, le conseil général est le premier partenaire des communes et des communautés de communes ; il est également présent dans chaque canton auprès des très petites entreprises et du monde agricole. Nos territoires ne constituent pas seulement un nombre équivalent d’individus et de familles ; ce sont des espaces de vie avec leur histoire, leur géographie, leurs spécificités, leurs activités différenciées, qu’elles soient économiques ou liées à la préservation de la ruralité et de l’environnement. Ils constituent également un maillage de villes et de villages où les problèmes et les projets de développement ne peuvent se réduire à une simple approche arithmétique. C’est pourquoi, afin de maintenir une représentation optimale des territoires, sans retenir comme unique critère une approche arithmétique, je suis partisan, comme mon collègue Hervé Maurey, dont j’ai cosigné les amendements qu’il a déposés à cette fin, d’un mode scrutin mixte combinant le recours au scrutin majoritaire dans les zones rurales et l’instauration d’un scrutin proportionnel à un tour, avec prime majoritaire dans les zones urbaines. Un tel dispositif, combiné avec un redécoupage des cantons qui respecterait autant que possible les périmètres des intercommunalités afin d’assurer une cohérence territoriale, garantirait le respect des territoires ruraux et la juste représentation des territoires urbains. En outre, il assurerait la nécessaire émergence de majorités stables au sein des assemblées départementales et le respect de la parité. À défaut de retenir un tel mode de scrutin mixte, ce texte, tel que l’ont adopté les députés, je dois le reconnaître, contient, s’agissant du volet départemental, deux avancées significatives qui traduisent une évolution dans la prise en compte de la cohérence territoriale. Premièrement, le nouvel article 1er bis, voté sur l’initiative du groupe UDI de l’Assemblée nationale, précise dans le code général des collectivités territoriales que le conseil général « représente la population et les territoires qui le composent ». Est ainsi réaffirmé le rôle du département comme garant de la solidarité sociale et de la solidarité territoriale. J’en conclus que tout projet de redécoupage devra prendre en compte non seulement la démographie, mais également la représentation des territoires du département. Je me réjouis que la commission des lois propose d’adopter cette disposition sans modification. Deuxièmement, à l’article 23, relatif aux principes encadrant la procédure de remodelage de la carte cantonale, les députés ont élargi les dérogations possibles afin qu’il puisse être tenu compte de « considérations géographiques […], de répartition de la population sur le territoire, d’aménagement du territoire ou par d’autres impératifs d’intérêt général ». J’espère que le Sénat poursuivra en ce sens, prenant mieux en compte les zones à faible densité de population, mais également la cohérence territoriale. L’ancrage territorial des élus au sein de leur circonscription, à l’origine d’un lien de proximité entre ces derniers et leurs électeurs, est ainsi moins mis à mal que dans le projet de loi initial. Au final, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je demeure opposé à ce texte, lourd de conséquences pour les territoires, et je désapprouve les calculs politiciens qui sous-tendent actuellement les textes modifiant le droit électoral (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) : redécoupage de la carte électorale, modification du mode de scrutin cantonal à un an des élections (M. Yves Krattinger s’exclame.), modification du calendrier électoral, abaissement du seuil de maintien au second tour des binômes, multipliant ainsi les risques de triangulaires, modification à venir du mode de scrutin sénatorial, autant d’éléments qui me font craindre que les seules motivations du Gouvernement sont électoralistes et non liées à l’intérêt général et à un meilleur fonctionnement de notre démocratie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)