Les interventions en séance

Collectivités territoriales
12/06/2013

«Proposition de loi de simplification du fonctionnement des collectivités territoriales»

M. Jean Boyer

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, reconnaissons que notre société est en permanente évolution et que, parallèlement, son organisation doit s’adapter à ces mutations successives. Comme l’a écrit Saint-Exupéry, « entre le passé où sont nos souvenirs » – et parfois, ajouterai-je comme beaucoup d’entre vous, nos regrets – « et l’avenir où sont nos espérances » – et notre volonté de bâtisseurs de société –, « il y a le présent où sont nos devoirs », parmi lesquels la nécessaire simplification de notre société. Mes chers collègues, les collectivités locales restent plus que jamais au cœur de notre action publique et des préoccupations de notre assemblée. Plus que toute autre, elle doit être un espace de réflexion privilégié sur l’évolution permanente et toujours inachevée des compétences des collectivités. Il est dommage que, dans ce cas précis, le Sénat, qui représente les collectivités locales, doive s’effacer devant l’Assemblée nationale. En effet, nous sommes aussi les défenseurs de la démocratie. Cette proposition de loi est défendue par notre collègue et ami Éric Doligé, éminent sénateur du Centre. Éric Doligé est également membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Pour cette proposition de loi, il s’est entouré d’une femme à la fois de terrain et de sommet. Je tiens à vous dire, madame Gourault, que nous vous apprécions beaucoup, notamment en raison de votre objectivité. Tenons-nous bien : aujourd’hui, plus de 400 000 dispositions ou directives freinent indiscutablement le bon fonctionnement des collectivités territoriales. Les pontes – en l’occurrence il ne s’agit pas de cuniculture ni d’aviculture (Sourires.) – sont permanentes, et toujours inachevées. Mes chers collègues, où s’arrêtera-t-on ? N’avons-nous pas nous-mêmes contribué à cette surenchère des appellations changeantes avec le temps ? Dans mon département – si vous me permettez cette publicité –, la Lentille verte du Puy a une appellation d’origine contrôlée, AOC ; cette dénomination a été choisie une fois pour toutes. En revanche, s’agissant du texte qui nous occupe, nous sommes passés de la PPLSNCL, proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, à la PPLCNCTSF, proposition de loi relative au contrôle des normes applicables aux collectivités territoriales et à la simplification de leur fonctionnement, et enfin à la PPLSFCT, proposition de loi relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales, à l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale. Nous pourrions quand même faire plus simple ! Je voudrais évoquer deux cas précis – madame la ministre, j’avais été confus de devoir partir de la réunion de la commission avant que nous ne m’ayez répondu à leur sujet – qui démontrent que le fonctionnement et la gestion quotidienne de nos collectivités territoriales ne sont en rien facilités. Il est particulièrement regrettable que la succession des règles freine l’action locale. Je crois pouvoir dire sans exagération qu’une norme ne doit pas être la même à Paris, Lyon ou Marseille, d’une part, et à Montboudif, qui compte 197 habitants, ou à Arlet en Haute-Loire, qui en compte 62, d’autre part. On ne peut pas appréhender de la même manière les normes, comme nous l’avons fait récemment lors de l’examen d’un projet de loi. En l’occurrence, nous n’avons pas fait du sur-mesure. Madame la ministre, le premier cas que je souhaitais évoquer – il n’est pas propre à mon département, mais illustre une certaine conception de la réglementation qui ne date pas d’aujourd’hui – concerne une modification de limites communales. Incroyable mais vrai : le dossier est prêt depuis 2008. Trois préfets successifs ont émis un avis positif. Les deux communes concernées et les communes périphériques sont favorables au projet. Cependant, l’Administration avec un grand « A », pour laquelle j’ai le plus grand respect, s’est rendu compte qu’il y aurait des élections dans moins d’un an. La modification porte sur 4,10 hectares. Savez-vous combien d’électeurs y vivent ? Même pas deux, un seul ! Malgré tout, les décisions des deux communes, qui relèvent du bons sens et sont attendues non pas depuis des siècles, mais presque, sont bloquées. Madame la ministre, si ce ne sont pas le ministre de l’intérieur ni le Conseil d’État qui doivent décider du moment opportun – et, depuis 2008, il y a eu beaucoup de moments opportuns, sans perspectives électorales –, il n’en demeure pas moins que les élus sont écœurés. Les deux maires, qui sont de sensibilités complètement différentes, ne comprennent plus rien. Ils sont convaincus que ce qu’on appelle la France d’en bas est freinée par la France d’en haut d’aujourd’hui comme elle l’était par celle d’hier. Il est plus difficile – c’est vous qui me l’avez dit un jour, monsieur Emorine – de couper la langue à un sénateur ancien agriculteur que de tenir la main à un voleur quand on est gendarme. (Rires.) J’en viens à mon second exemple. Mon département est en zone de montagne, et vingt-deux de ses cantons sont en zone de revitalisation rurale, ZRR. Ce sigle court mais inquiétant signifie que, dans ces vingt-deux cantons, il y a moins de 28 habitants par kilomètre carré. Dans une commune qui ne compte que 9 habitants par kilomètre carré, un brave célibataire a cherché un voisin ; pas une voisine, mais un voisin. Il en a trouvé deux – un couple –, qui souhaitaient construire une maison à côté de la sienne. Dans un premier temps, il a été considéré qu’une ancienne ferme était trop proche de la construction. Puis, quand on a appris que la ferme n’abritait plus aucune vache, on a répondu qu’il n’y avait pas continuité d’habitat. Madame la ministre, vendredi dernier, je suis sorti de mes gonds. Il faut parfois sortir de ses gonds, car on n’est pas convaincant si on n’est pas un peu passionné. En regardant de près entre les lignes, nous avons trouvé une subtilité. Quand la population d’une commune a baissé de plus de 20 % en trois ans, on peut déroger à certaines règles. C’est ce qui sera fait. Madame la ministre, nous avons besoin de simplification. Nous sommes tous d’accord, sur toutes les travées de cet hémicycle, pour dire qu’il faut simplifier. Cependant, quand les décrets sont publiés, on voit s’allumer des feux orange qui, quelque temps après, deviennent rouges et alors on ne peut plus passer. (M. Christian Namy applaudit.) Le langage que je tiens aujourd’hui, je le tenais déjà hier. Nous pourrions tous citer des dizaines de cas similaires aux deux que je viens d’évoquer. Les mesures qu’ils nécessitent ne coûtent pas un centime. La situation actuelle démobilise les élus de la France d’en bas. Si un jour les maires ne sont plus qu’officiers d’état civil, gardes-champêtres et présidents d’association, je crois qu’il n’y aura plus de maires, parce qu’ils n’auront plus de raison d’être. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – Mmes Gisèle Printz et Hélène Lipietz ainsi que M. Jean-Claude Requier applaudissent également.)