Les interventions en séance

Collectivités territoriales
12/05/2011

«Projet de loi relatif aux collectivités de Guyanne et de Martinique»

Mme Anne-Marie Payet

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la Martinique et la Guyane resteront longtemps marquées par les troubles de l’année 2009. La grève animée par le mouvement autonomiste LKP a mis en relief les problèmes et les défis auxquels les départements et régions d’outre-mer font face aujourd’hui. Le chômage persistant, le déséquilibre économique, la dépendance financière vis-à-vis de la métropole, la vie chère, enfin, illustrent les multiples difficultés que rencontrent les pouvoirs publics comme la population au quotidien. Les deux projets de lois dont la discussion nous réunit ce jour prévoient une réforme majeure des cadres territoriaux de l’administration de la Guyane et de la Martinique. Si ce changement se révèle aussi souhaitable que nécessaire, il n’a pas répondu à toutes les inquiétudes formulées par les élus des territoires concernés. A fortiori, il ne permettra pas de relever à lui seul les défis auxquels l’outre-mer est confronté aujourd’hui. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a profondément modernisé les dispositions de l’article 73 de la Constitution. Dans sa nouvelle rédaction, cet article permet de créer, par voie législative, une assemblée délibérante ou une collectivité unique après consultation référendaire locale. Si la loi relative à la réforme des collectivités territoriales prévoit la création d’un conseiller territorial unique pour les départements et les régions, aucune disposition spécifique ne concerne les territoires d’outre-mer. C’est dans ce contexte de réforme notable du cadre administratif des territoires que deux séries de référendums locaux ont été organisés afin de déterminer l’évolution à venir de l’organisation territoriale de la Guyane et de la Martinique. Le résultat a été sans appel. Si, lors du scrutin du 10 janvier 2010, les électeurs guyanais et martiniquais ont rejeté la transition de leurs territoires vers le régime de l’article 74 de la Constitution, ils se sont en revanche prononcés, respectivement à 60 % et 70 %, pour la création d’une collectivité unique dans le cadre de l’article 73 de notre loi fondamentale. C’est donc dans le souci d’une plus grande efficacité de l’action publique dans ces territoires et avec l’appui d’une large approbation démocratique que le Gouvernement a pu lancer un vaste processus de concertation avec les élus de Guyane et de Martinique afin de déterminer les solutions les plus appropriées aux singularités de ces territoires. L’institution d’une collectivité unique en Guyane et en Martinique était rendue nécessaire sur le plan du droit du fait de la consultation référendaire menée en janvier 2010. Elle était aussi souhaitable dans la perspective de la simplification des processus décisionnels avec, en ligne de mire, une meilleure efficacité des politiques publiques. Les deux projets de loi prévoient une série de dispositions communes aux deux nouvelles collectivités uniques : la réforme de la procédure de l’habilitation législative et les principes du régime électoral. L’intervention du législateur organique était impérative afin de revenir sur certaines dispositions du code général des collectivités territoriales qui encadrent le régime des habilitations prévues à l’article 73 de la Constitution. Le projet de loi organique prévoit une procédure plus souple et encore plus opérationnelle. Un décret en Conseil d’État permettra dorénavant d’habiliter les collectivités à prendre des mesures d’ordre réglementaire. Une loi d’habilitation sera toujours nécessaire pour que les actes des collectivités uniques puissent intervenir dans le domaine de la loi. La durée de cette habilitation sera aménagée afin de s’adapter au rythme de la décision publique. Initialement prévue pour deux ans et impliquant, par conséquent, un renouvellement législatif régulier, la nouvelle habilitation sera étendue à six ans de manière à être couplée avec la durée du mandat des nouveaux conseillers des assemblées délibérantes. Le régime du mandat électoral en assemblée unique sera unifié en Guyane et en Martinique. L’élection est proclamée à l’issue d’un scrutin de liste proportionnel qui a deux caractéristiques majeures : d’abord, une prime majoritaire de 20 % des sièges à pourvoir, ensuite, la subdivision de la circonscription électorale en sections dans lesquelles se présentent les différentes listes candidates. L’architecture institutionnelle de ces deux collectivités est, en revanche, différenciée afin de pouvoir s’adapter au mieux aux spécificités de ces deux territoires. La collectivité unique de Guyane disposera d’organes spécifiques : une assemblée délibérante unique, l’Assemblée de Guyane ; une commission permanente en charge des fonctions exécutives de la collectivité ; enfin, un conseil économique, social et environnemental consulté pour avis. Le projet de loi ordinaire confère une spécificité à la collectivité de Guyane : la commission permanente sera compétente pour délibérer dans certaines matières au-delà de ce que l’Assemblée de Guyane peut lui déléguer. La collectivité unique de Martinique présente, en apparence, une architecture assez similaire. La principale différence réside dans la nature de son organe exécutif. Le conseil exécutif et son président seront politiquement responsables devant les conseillers de l’Assemblée de Martinique. Cet équilibre de la responsabilité et de la décision a été institué afin de mieux répondre aux singularités politiques de l’île. La collectivité unique n’est pas une réponse en soi aux problèmes de l’outre-mer. Sans doute cette solution n’est-elle pas adaptée à tous les territoires d’outre-mer. Nous n’avons, à ce jour, qu’une seule certitude : la collectivité unique est un outil de réponse, et non une solution donnée clés en main. Je salue, en mon nom et au nom du groupe de l’Union centriste, le travail réalisé par la commission des lois, notamment par son rapporteur, M. Christian Cointat. Ce dernier avait déjà pointé dans un précédent rapport d’information que la collectivité unique était une simple opportunité de modernisation, et non une solution toute faite. En adoptant les amendements de son rapporteur, la commission des lois a cherché à garantir plus fermement l’inscription des collectivités uniques dans le régime et le cadre prévus par l’article 73 de la Constitution. La commission a, d’abord, adopté de nombreux amendements rédactionnels qui restaurent la présentation intégrale des dispositions s’appliquant aux collectivités uniques. Elle se substitue à la rédaction préparée par le Gouvernement qui, si elle avait le mérite de la concision, perdait fortement en lisibilité et en accessibilité. La commission a, ensuite, adopté des amendements visant à garantir le respect du pluralisme politique en Martinique en revenant sur la version initiale de la motion de défiance dont disposent les élus de l’Assemblée de Martinique. Dans sa nouvelle mouture, la motion pourra être déposée par le tiers des conseillers et adoptée à la majorité absolue sans garantir aux membres du conseil exécutif de retrouver leur siège à l’assemblée. C’est donc un gage de responsabilité supplémentaire qui devra inciter l’exécutif de Martinique à la prudence. Le mode de scrutin et le découpage des sections électorales de Guyane ont été également revus et corrigés par la commission afin de ne pas reproduire trop fortement les disparités géographiques du territoire guyanais. Unanimement dénoncés par les élus et rappelés dans le rapport d’information par notre collègue Christian Cointat, les pouvoirs de substitution du préfet ont été édulcorés. La substitution ne sera plus déclarée d’entrée, elle sera désormais soumise à une procédure de constatation en carence sous l’autorité du Gouvernement. Notre ancien collègue le sénateur honoraire Roger Lise a attiré l’attention du Sénat sur les inquiétudes partagées par de nombreux élus martiniquais. Beaucoup de collectifs d’élus se sont mobilisés, une fois connus les deux projets de loi, pour manifester leur inquiétude quant à l’évolution de ces collectivités. Roger Lise s’est notamment interrogé sur l’équilibre institutionnel dégagé par le Gouvernement lors des concertations menées l’an passé : le régime de la collectivité unique ne serait-il pas une application de fait de l’article 74 ? Le régime de l’article 73 de la Constitution est bien distinct de celui de l’article 74, relatif aux territoires d’outre-mer, qui prévoit, notamment, l’autonomie de ces territoires telle que pratiquée en Polynésie française, par exemple. La voie de la départementalisation en Martinique et en Guyane est le fruit d’une longue histoire. La population locale a manifesté son attachement au régime de l’article 73 et, donc, à une intégration complète dans la République. En outre, personne ne sait quels seront les effets du scrutin proportionnel sur la représentation politique en Guyane et, surtout, en Martinique. La réforme institutionnelle de la collectivité unique ne doit pas devenir un outil aux mains des autonomistes dès lors que la population s’est fermement prononcée contre le passage au régime de l’article 74. Le dispositif prévu par les deux projets de loi, s’il s’appuie sur une architecture textuelle complexe, est porteur de garanties suffisantes pour assurer les élus locaux de l’ancrage des nouvelles collectivités dans le régime de l’article 73. Si nous devons rester attentifs à l’évolution de ces nouvelles institutions et à leur possible application à d’autres parties de l’outre-mer – j’ouvre une parenthèse pour rappeler ici, mes chers collègues, que la Réunion, à maintes reprises, a manifesté son hostilité farouche à tout changement institutionnel –, le groupe de l’Union centriste soutiendra l’adoption de ce texte tel qu’adopté par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP et au banc des commissions.)