Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 11/09/2012

«Projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social-Demande de renvoi à la commission-motion n°1»

M. François Zocchetto

Pendant cinq ans, l’actuelle majorité n’a eu de cesse de critiquer le gouvernement précédent, au motif que le Parlement était selon elle maltraité… Combien n’avons-nous pas entendu d’interventions, dans cet hémicycle, dénonçant de l’imprévision, de la précipitation, voire de la désinvolture – tels étaient les termes utilisés –, dans l’organisation des débats ? Certains d’entre vous, chers collègues de la majorité, n’hésitaient pas à parler de « passages en force » ou d’« examens à la hussarde ». Aujourd’hui, en ce premier jour de la session extraordinaire, il n’est pas inutile de faire un rapide bilan du sort réservé au Parlement par le gouvernement que Mme Duflot représente ici. À la fin de juillet, on nous avait annoncé que les travaux parlementaires reprendraient la dernière semaine de septembre. C’est donc avec une certaine surprise que nous avons appris, en lisant la presse, le 28 août dernier, la convocation du Parlement en session extraordinaire à partir du 10 septembre –date qui s’est d’ailleurs révélée approximative… Plus fort encore : le décret de convocation n’a été publié au Journal officiel que le 5 septembre, c’est-à-dire cinq jours seulement avant le premier jour de séance ! Je vous accorde que le précédent gouvernement n’a pas toujours été irréprochable dans l’organisation des travaux du Parlement, mais convenez que la démonstration que vient de faire le gouvernement de M. Ayrault en ce début de session est sans précédent ! À ce sujet, je souhaiterais rappeler quelques faits incontestables : la session extraordinaire s’ouvrant le 6 septembre 2011 avait été convoquée le 1er août précédent et celle débutant le 7 septembre 2010, le 27 juillet ; il en a été de même en 2009 et en 2008. Autrement dit, jamais la précédente majorité n’avait fait preuve d’une pareille imprévision ! On peut donc légitimement s’interroger, ce soir, sur la manière dont les parlementaires sont traités par le gouvernement de M. Ayrault, d’autant que les membres de celui-ci qui étaient précédemment parlementaires comptaient parmi les premiers, il y a quelques mois, à critiquer la « précipitation » de leurs prédécesseurs… On pourrait en sourire, mais, pour notre part, nous faisons partie de ceux qui souhaitent que les choses s’améliorent. Le plus grave, dans cette affaire, n’est pas la question de la date de convocation du Parlement, encore qu’elle ne soit pas anodine. Nous sommes prêts à nous adapter à tout et nous savons bien qu’avec la mondialisation et l’évolution des nouvelles technologies, les choses vont de plus en plus vite ! L’essentiel tient aux délais d’examen du présent projet de loi. Le Sénat, qui a besoin de réfléchir, de travailler sur les textes législatifs et de les confronter à l’opinion des acteurs de terrain, aurait pu être saisi, en début de session extraordinaire, d’un projet de loi annoncé de longue date et dont chacun aurait connu les principales dispositions. Pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas ? Le jour où le décret de convocation du Parlement a été publié, le premier texte devant être soumis au Sénat, celui que nous examinons ce soir, n’avait même pas été adopté en conseil des ministres… C’est du jamais vu ! Cet état de fait a eu deux conséquences principales. Première conséquence, la procédure parlementaire prévue par les textes de notre État de droit n’a pas été respectée. En effet, depuis la révision constitutionnelle de 2008, tout projet de loi déposé devant le Parlement doit faire l’objet d’une étude d’impact répondant à un certain nombre de critères détaillés à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Or la Constitution, cette loi organique et le règlement du Sénat donnent à la conférence des présidents un délai de dix jours pour se prononcer sur le respect par l’étude d’impact de l’ensemble de ces prescriptions. Est-il besoin de répéter que le Sénat n’a disposé que de quelques heures à peine pour procéder à l’analyse de cette étude d’impact, puisque la conférence des présidents s’est réunie à 15 heures, le conseil des ministres s’étant tenu le matin même ? (Mme Catherine Troendle approuve.) Ceux de nos collègues qui ont participé à cette conférence des présidents pourront confirmer que nous n’avons reçu le texte du projet de loi qu’au moment même où nous entrions en réunion ! Nous ne manquerons pas, dès que cela sera possible, de soumettre au juge constitutionnel l’ensemble de ces éléments, concernant le respect des procédures relatives à l’inscription des textes à l’ordre du jour du Sénat. Il sera utile, en effet, de connaître l’opinion du Conseil constitutionnel sur ce point. S’il juge qu’il n’y a pas de problème et que les textes fondamentaux pouvaient être bafoués dans ces circonstances, alors le Gouvernement pourra, fort de ce précédent, procéder de la même façon pour tous les textes. Dans le cas contraire, vous devrez prendre vos responsabilités, soit en passant outre les décisions du Conseil constitutionnel, soit en modifiant votre manière de procéder, comme nous le souhaitons. Nous appelons en effet de nos vœux une démocratie apaisée, s’appuyant dans son fonctionnement sur les deux chambres de son Parlement. Je profite de cette occasion pour rappeler de nouveau que les sages du Conseil constitutionnel n’ont pas hésité, dans un passé récent, à vérifier le respect de la procédure parlementaire : par leur décision du 9 août 2012, ils ont souligné que nous aurions dû disposer d’une séance supplémentaire de questions d’actualité au mois de juillet, confirmant ainsi la position que nous avions défendue en séance publique. Nous verrons ce qu’ils pensent de l’organisation de cette session extraordinaire… On l’aura compris, cette motion, comme d’ailleurs les précédentes, ne vise pas à aborder le fond du projet de loi, mais porte sur la forme de nos débats. La seconde conséquence de la situation qui nous est faite est la suivante. L’article 28 ter de notre règlement prévoit que quinze jours séparent en principe la réunion de la commission de la séance publique, sauf dérogation – je vous le concède –accordée par la conférence des présidents. Cette disposition vise à permettre le meilleur respect possible du droit d’amendement, qui, aux termes de l’article 44 de la Constitution, s’exerce non seulement en séance publique, mais aussi en commission. En l’occurrence, outre que le délai de quinze jours n’a pas été respecté, nous allons – ce qui est de bien plus grande portée –, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure législative attribuant un rôle renforcé aux commissions permanentes, revenir à l’ancienne procédure. « Le changement, c’est maintenant » ? Eh bien, maintenant, c’est plutôt un formidable retour en arrière ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP. – M. François Rebsamen s’exclame.) Il est tout de même incroyable qu’il ait fallu attendre l’arrivée de la gauche au pouvoir pour cela… Nous savions déjà que vous étiez plutôt conservateurs, mais, en l’espèce, c’est plus que du conservatisme ! Nous avons bien compris que, les uns et les autres, vous déplorez cette situation, mais le Gouvernement, agissant dans la précipitation et l’imprévision, n’a même pas pu préparer son projet de loi suffisamment en amont pour permettre son examen normal en commission. Après tout, c’est peut-être une façon différente d’envisager l’élaboration de la loi. Peut-être n’allez-vous plus travailler en amont ? Peut-être tout se fera-t-il désormais en séance publique ? Eh bien, sachez que nous serons au rendez-vous de la séance publique ! Le recours à cette méthode implique, à l’évidence, un recul de l’exercice de notre droit d’amendement et une négation du travail en commission. Si j’étais président de commission, je serais plutôt inquiet et tenté de monter au créneau ! Il exprimera sans doute son inquiétude tout à l’heure. S’il ne le fait pas, nous essaierons de l’éclairer dans les semaines qui viennent ! Finalement, pourquoi une telle urgence ? Sans aucun doute, les problématiques du logement, en particulier celles du logement social, sont éminemment importantes et nécessitent la poursuite des réformes – il ne faut pas croire qu’aucune réforme n’a été entreprise au cours des années précédentes –,mais l’urgence était-elle si pressante que l’on ne pouvait pas attendre quinze jours de plus, de façon à permettre aux commissions concernées d’analyser sereinement ce projet de loi ? J’entends encore les propos tenus au mois de juillet par certains présidents de commission permanente – ils se reconnaîtront – qui s’inquiétaient, en conférence des présidents, du manque de temps laissé aux commissions pour examiner le premier texte de la session ordinaire… Avec le calendrier qui nous est imposé aujourd’hui, que devraient-ils dire ! La question s’était donc déjà posée en juillet, avec moins d’acuité il est vrai. Les droits du Parlement avaient été un peu mieux respectés. En fait, l’explication de cet empressement est très simple : après une rentrée politique calamiteuse pour le Gouvernement, marquée notamment par le franchissement de la barre des 3 millions de chômeurs (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.),il s’agissait, à travers la présentation de ce projet de loi, de détourner l’attention de l’opinion et des médias, et surtout de masquer l’inaction du Gouvernement face à la crise. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.) À cette fin, vous avez donc élaboré un texte sur le logement, de façon précipitée,au point que certains documents ont dû être retirés des sites internet officiels du Gouvernement peu de temps après avoir été mis en ligne ! Les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine souhaitent que chaque projet de loi puisse faire l’objet d’un examen serein et approfondi,tant en séance publique qu’en commission. Dans cette perspective, nous invitons le Sénat à adopter cette motion tendant au renvoi du texte à la commission. M. Mézard a été écouté dans un silence impressionnant tout à l’heure, lorsqu’il s’est exprimé sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Avec toute la compétence, la sagesse et l’expérience qu’on lui connaît, il s’est permis de dire que s’il respectait le fait majoritaire, il déplorait néanmoins les conditions dans lesquelles nous travaillons. J’engage donc tous ceux de nos collègues de la majorité qui pensent que nous travaillons dans de mauvaises conditions à soutenir cette motion : ils pourront voter le projet de loi une fois qu’il aura été bien examiné et amendé en commission, dans le respect de la procédure parlementaire voulant que soit discuté en séance publique un texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)