Les interventions en séance

Affaires sociales
11/07/2012

«Projet de loi relatif au harcèlement sexuel»

   Mme Muguette Dini

  Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le 4 mai dernier, plus d’une centaine de procédures concernant le harcèlement sexuel, et probablement beaucoup plus encore, ont été anéanties par la décision du Conseil constitutionnel, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, présentée par un harceleur dont on aurait pu attendre une conduite exemplaire. Ancien député, ancien secrétaire d’État, adjoint au maire de sa commune, cet homme a été accusé de harcèlement sexuel par trois employées de la mairie, toutes trois vivant seules avec des enfants. Il a été condamné en première instance et, plus sévèrement, en appel. C’est à l’occasion de son pourvoi en cassation qu’il a saisi le Conseil constitutionnel. Ses avocats ont estimé que, en ne définissant pas clairement le harcèlement sexuel, l’article 222-33 du code pénal laissait libre cours, selon les termes employés par l’un d’eux, à « tous les débordements et toutes les interprétations ». La chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis ladite QPC au Conseil constitutionnel, lequel a effectivement considéré que la disposition contestée méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines, ainsi que les principes de clarté, de précision, de prévisibilité et de sécurité de la loi, et devait être déclarée contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel a décidé que l’abrogation du texte d’incrimination prenait effet immédiatement. Les conséquences d’une telle décision, madame la garde des sceaux, madame la ministre, sont très graves.  Premièrement, le harcèlement sexuel tel qu’il était défini par l’ancien article 222-33 du code pénal est désormais pénalement licite, jusqu’à ce que nous le rendions de nouveau illicite, sauf à requalifier les faits en harcèlement moral, agressions sexuelles ou menaces. Tel fut d’ailleurs l’objet de la circulaire de la Chancellerie du 10 mai 2012, à l’attention des magistrats du parquet. Celle-ci demandait en effet aux procureurs de contourner l’obstacle de cette abrogation en étudiant toute possibilité d’une requalification juridique des faits. Deuxièmement, l’action publique, qu’elle ait été ou non engagée, est éteinte pour les infractions d’ores et déjà commises. Le harceleur, en l’espèce, se retrouve totalement blanchi. La presse locale évoque son retour triomphant au conseil municipal, en tant que simple conseiller, le maire lui ayant retiré sa délégation d’adjoint.  Troisièmement, conformément à l’article 112-4, alinéa 2, du code pénal, les personnes irrévocablement condamnées n’ont plus à exécuter leurs peines.  Je rejoins les associations de défense des droits des femmes et une partie de la doctrine, qui estiment que des conséquences aussi radicales ne s’imposaient pas au Conseil constitutionnel. Ce dernier avait en effet la possibilité de reporter dans le temps la prise d’effet de l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal.  L’article censuré aurait pu continuer à s’appliquer, sans risque d’inconstitutionnalité, aux faits pour lesquels n’existait aucune ambiguïté !  Surtout, le Conseil constitutionnel a déjà, par le passé, retenu ou suspendu les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité pour des motifs eux-mêmes constitutionnels, en raison des conséquences qui auraient résulté de la censure ou afin de permettre au législateur de remédier lui-même à l’inconstitutionnalité.  Dans sa décision du 30 juillet 2010, à la suite de vingt-six questions prioritaires de constitutionnalité sur les règles applicables à la garde à vue, le Conseil constitutionnel a reporté au 1er juillet 2011, soit près d’un plus tard, les effets de l’abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution, laissant ainsi au Parlement le temps de corriger le texte incriminé.  Je reprends les commentaires de cette décision, publiés dans Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel : « Le Conseil constitutionnel a estimé que l’application immédiate de l’abrogation des articles encadrant le recours à la garde à vue aurait des conséquences manifestement excessives au regard des objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infraction. En effet, la garde à vue n’aurait plus de support légal et toutes les poursuites subséquentes à une mesure de garde à vue seraient mises en péril. Sur ce point, le report dans le temps de l’abrogation est fondé sur des considérations analogues à celles qui avaient conduit le Conseil Constitutionnel, pour la première fois, à reporter les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité dans le cadre du contrôle a priori de la loi sur les OGM. »  En d’autres termes, la loi sur les OGM serait plus importante que celle qui concerne le harcèlement sexuel !  Aux termes de sa décision du 19 juin 2008, le Conseil constitutionnel avait en effet fixé la date d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité, afin d’éviter « des conséquences manifestement excessives ».  Ainsi, en matière de harcèlement sexuel, le Conseil constitutionnel aurait pu éviter les conséquences graves et manifestement excessives de l’abrogation immédiate de l’article contesté.  Je n’ose imaginer que les membres de cette haute institution, majoritairement des hommes, aient pu inconsciemment considérer que leur décision était sans conséquence.  Je n’ose imaginer que cette décision ait été le reflet d’une opinion largement partagée, selon laquelle le harcèlement sexuel, finalement, ce ne serait pas si grave.  Je n’ose imaginer qu’ils se soient dit inconsciemment : « Certes, le harcèlement sexuel, c’est agaçant, mais enfin il n’y a pas mort d’homme ! » Non vraiment, je n’ose imaginer tout cela ! Pourtant, s’il n’y a pas mort d’hommes, qui sait s’il n’y a pas ou s’il n’y aura pas mort de femmes, qui se suicideront par désespoir de n’avoir pas été entendues et respectées dans leur douleur.  J’imagine le désarroi, la frustration, de ces trois femmes victimes du harceleur auteur de la QPC, qui ont osé porter plainte, qui ont pris des risques pour leur avenir, qui ont été humiliées par ses dénégations et qui ont souvent dépensé beaucoup d’argent. Elles vont se retrouver confrontées, même si ce n’est qu’au détour d’un couloir, à celui qui leur a, pendant des mois, « pourri la vie ».  Fonctionnaires territoriales, élevant seules leurs enfants, ces victimes n’ont guère la possibilité de changer de poste, car la commune n’est pas très grande. Et changer de lieu de travail reviendrait à changer de ville. Leur cas illustre bien la situation particulièrement délicate des victimes et justifie mon soutien à l’amendement de notre rapporteur pour avis, Mme Christiane Demontès, sur la vulnérabilité « économique et sociale ».  Madame la garde des sceaux, j’ai compris que vous ne pouviez rien faire pour que justice soit rendue aux victimes de cette QPC, mais qu’envisagez-vous pour celles qui, ayant dépensé beaucoup d’argent pour se défendre, n’ont aucun espoir de recevoir des dommages et intérêts ?  Je reviens sur le projet de loi que vous nous présentez. Je ne m’attarderai sur le fond, les précédents orateurs l’ont fait. Le texte est le reflet des différentes propositions de loi que nos collègues et moi-même avons déposées et je le voterai sans états d’âme.  Je soulignerai quelques points qui me semblent essentiels et positifs.  Il s’agit d’abord de la suppression de la pluralité des définitions : le harcèlement sexuel sera désormais défini dans le seul code pénal, le code du travail renvoyant à la définition pénale.  Il en est de même des sanctions pénales du harcèlement sexuel, puisque celles-ci ne sont envisagées que dans le seul code pénal, exception faite toutefois des actes discriminatoires résultant du harcèlement sexuel.  Enfin, une définition plus précise et distinguant deux niveaux de gravité des faits me semble tout à fait satisfaisante.  J’ai déposé cinq amendements et souhaite insister, mais sans grande illusion, sur deux d’entre eux.  Le premier amendement concerne les faits de harcèlement sexuel commis sur des mineurs de quinze ans. Même si j’ai bien entendu l’ensemble des arguments qui plaident contre l’adoption de cet amendement, je propose de supprimer la précision « de quinze ans ». Je considère en effet que la majorité sexuelle n’a rien à voir ici, puisqu’il n’y a pas, à proprement parler, passage à l’acte, comme c’est le cas dans le cadre d’une agression sexuelle ou d’un viol.  Il me semble que c’est jusqu’à dix-huit ans que les circonstances aggravantes devraient s’appliquer. Cela permettrait à de très jeunes stagiaires, élèves, sportifs ou apprentis d’être mieux protégés contre des agissements qu’ils ont d’autant plus de mal à dénoncer qu’ils sont jeunes.  Le second amendement n’est pas moins important : il porte sur le délai de prescription de l’action publique en matière de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles aggravées. C’est un sujet incontournable en matière de violences sexuelles, et je souhaite toujours faire évoluer notre droit sur ce point. Il ne sert à rien d’avoir des incriminations clairement et précisément définies, si les victimes, dans les faits, ne peuvent porter plainte !  Pour dénoncer leur harceleur ou leur agresseur, les victimes, nous le savons tous dans cette assemblée, doivent être physiquement, psychologiquement ou matériellement en état de le faire.  J’ai déposé en octobre 2011 une proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles autres que le viol. Elle a été rejetée, principalement au motif qu’elle bouleversait la classification établie par le code pénal des infractions sexuelles, de leurs incriminations et de leurs sanctions, ce que j’ai très bien compris. Ainsi, à la souffrance des victimes, on oppose le respect de la cohérence du dispositif du code pénal !  Cela dit, lors de l’examen en séance publique de ma proposition de loi, plusieurs sénateurs de la majorité actuelle partageaient mon avis.  Notre collègue Catherine Génisson avait alors déclaré : « Outre les arguments d’ordre psychologique avancés par Mme Dini, on peut aussi mettre en avant l’impossibilité pour une victime de déposer plainte et de se reconstruire avant qu’elle n’ait obtenu sa mutation quand l’agression s’est produite en milieu professionnel. »  Je me permets également de reprendre les propos de notre collègue Jean-Pierre Godefroy : « Trois ans, c’est court aussi pour les violences commises dans le milieu professionnel. Tant que la victime d’une agression ou de harcèlement sexuels sur son lieu de travail n’a pas réussi à trouver un autre emploi – et Dieu sait si c’est difficile aujourd’hui – ou obtenu une mutation, la peur de porter plainte peut l’emporter, car elle craint de perdre son travail, elle redoute des agressions encore plus violentes, qui pourraient devenir moralement insupportables. »  Ces propos ont mûri ma réflexion et fondent aujourd’hui mon amendement. Je propose en effet que le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles aggravées et du harcèlement sexuel commis dans le cadre des relations de travail ne coure qu’à compter du jour où la victime n’est plus en relation avec son agresseur ou son harceleur.  Enfin, je parlerai de la prévention, que vous avez vous-mêmes évoquée, madame la garde des sceaux, madame la ministre. On sait que les violences verbales ou physiques plus particulièrement dirigées vers les filles débutent très tôt, dans la famille quand on donne aux fils une autorité sur leurs sœurs, à l’école quand on n’explique pas aux enfants qu’on ne s’attaque pas aux plus faibles.  J’en suis persuadée, c’est dès l’école maternelle qu’il faut être attentif à ces comportements.  Je l’indiquais déjà en 2005, lors de l’examen de deux propositions de loi relatives à la lutte contre les violences au sein du couple. Il faut rappeler aux garçons qu’une fille est leur égale, qu’elle peut penser et vivre sa vie comme eux et qu’ils n’ont aucun droit sur elle, pas plus que sur tout autre être humain.  Une sensibilisation constante au respect de la différence sexuelle, comme de toute autre différence, est capitale, dès la petite enfance.  Comment envisagez-vous, madame la garde des sceaux, madame la ministre, de mettre en place une prévention efficace sur toute la durée des années scolaires ?  L’ensemble de mon propos ne remet pas en cause mon adhésion au projet de loi et je me réjouis que le Gouvernement ait réagi rapidement face à ce vide juridique.  Mes amendements ont pour objet de protéger encore mieux les victimes, en particulier les plus jeunes. Mon souhait est que celles-ci osent se manifester et que leurs harceleurs soient punis. Certains d’entre eux, il faut bien l’admettre, sont totalement inconscients qu’ils commettent un délit. Cette loi devrait leur permettre d’en prendre conscience et, pour certains, de renoncer à un comportement intolérable.  Le groupe de l’Union centriste et républicaine, auquel j’appartiens, soutiendra donc ce texte. (Applaudissements.)