Les interventions en séance

Droit et réglementations
Yves Pozzo di Borgo 10/04/2013

«Projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe-Article 1er-Explication de vote »

M. Yves Pozzo di Borgo

Je suis peu intervenu dans cette discussion, aussi me permettrai-je deux observations préliminaires avant de m’exprimer sur les amendements de suppression de l’article 1er bis. Tout d’abord, en qualité de sénateur de Paris, président d’un groupe au Conseil de Paris, je tiens à rappeler les termes de la déclaration du maire de cette ville, Bertrand Delanoë, après l’agression brutale dont ont été victimes deux Parisiens dans la nuit de samedi à dimanche, au motif qu’ils se tenaient par la main. Bertrand Delanoë a déclaré : « J’apprends avec colère et tristesse [cette] brutale agression […]. Le déchaînement de violence qu’a subi ce couple […] est profondément inquiétant et parfaitement inqualifiable ». Ensuite, madame la garde des sceaux, vous êtes, comme moi et beaucoup de nos collègues, l’émanation de la génération de 1968, même si vous ne le paraissez pas et faites beaucoup plus jeune. (Sourires.) Cette génération – c’est l’une de ses caractéristiques –, a été très influencée par une pensée marxiste souvent très mal digérée, à droite comme à gauche d’ailleurs, elle-même marquée par le concept de dialectique historique empruntée à Hegel, selon laquelle l’histoire va dans le sens du progrès. Or les trente dernières années ont montré que la régression existait aussi en histoire. Et l’histoire du communisme a mis en évidence que la régression existe dans la dialectique historique. Si je prends cette comparaison, madame la garde des sceaux, c’est parce que nous avons l’impression que la réflexion qui vous a conduit à présenter un projet de loi instituant le mariage pour tous est influencée par cette pensée : l’histoire irait dans le sens du progrès. Je prétends pour ma part que la régression existe aussi en histoire : lorsque l’on bouscule trop le naturel, celui-ci se venge. Nous verrons dans quelques années qui a raison. J’en viens aux amendements de suppression de l’article 1er bis. Madame la garde des sceaux, c’est peut-être le sens de l’histoire, mais votre obstination à vouloir coûte que coûte faire adopter un texte préparé trop hâtivement fait que l’article 1er bis est l’un des meilleurs exemples des paradoxes de votre position. Cet article étend le champ de l’adoption plénière en permettant de fait au conjoint d’une personne ayant adopté ou ayant eu un enfant naturel, de l’adopter de manière plénière. C’est la conséquence logique de l’article 1er. Le mariage permettant l’adoption, il s’agit, dans cet article, de régler les situations intermédiaires nées des insuffisances antérieures. Cette modification introduite à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur Erwann Binet, semble cohérente dans la logique générale de votre texte. Le fait est que vous vous apprêtez purement et simplement à fabriquer une machine à frustration. La convention de La Haye de 1993 stipule que l’adoption internationale n’est possible que lorsque les voies nationales ont été épuisées. Or, on le sait bien, en France, il y a plus de demandes d’adoption que d’enfants à adopter ; cela a été dit plusieurs fois. Tous les projets parentaux ne peuvent être satisfaits et votre texte va rendre cette situation, déjà douloureuse, encore plus tendue. Certes, pour l’image et la communication politique on fera passer quelques dossiers en haut de la pile. Mais les autres couples qui feront cette demande, vous les lancerez contre un mur des lamentations administratives. La seule échappatoire à cette aporie du texte – problème insoluble et inévitable –, c’est l’adoption internationale. S’il n’est pas possible de réaliser son projet dans son propre pays, autant aller voir à l’étranger. La seule petite nuance en la matière, madame la garde des sceaux, c’est que, parmi les pays qui sont les premiers partenaires des ressortissants français en matière d’adoption internationale, nombreux sont ceux qui ne partagent pas votre politique de civilisation et les transformations que vous souhaitez faire subir à l’institution familiale. La Russie en est un bon exemple. C’est l’une des cinq nations les plus sollicitées par les ressortissants français en matière d’adoption internationale. Les classements sont aléatoires selon les années, mais l’on voit la Russie osciller entre la troisième et la cinquième place de ce classement, avec une moyenne de 400 enfants russes adoptés par des couples français ou des célibataires français tous les ans. Or la Russie ne souscrit pas du tout à votre politique. On n’ignore pas quel triste sort est encore réservé à ceux qui aiment des personnes de leur propre genre en Russie. On sait également les progrès que fait la société russe depuis vingt ans, mais le fait est que, en l’état actuel des choses, la Russie conservatrice et orthodoxe refusera très certainement de laisser des enfants être adoptés par des couples mariés homosexuels. Cette situation n’est pas propre à la Russie, malgré ce que dit Mme Bertinotti, et concerne aussi de très nombreux pays du Sud, qui sont particulièrement attachés au prétendu conservatisme suranné que vous entendez dénoncer. D’un trait, vous promettez des adoptions qui n’auront pas lieu, parce que là où vous vous bercez d’illusions, là où vous bercez des centaines de milliers de Français dans le mythe de la fondation d’une famille grâce au mariage des couples de même sexe, vous ne ferez que semer la frustration, la colère et l’incompréhension. Au surplus, cela a été indiqué à plusieurs reprises, nous connaissons l’issue de ce paradoxe. C’est mécanique : c’est la PMA et la GPA ! Dans six mois ou dans six ans – j’espère que vous ne serez plus au pouvoir dans six ans – vous reviendrez devant nous pour nous parler d’égalité et de grands principes après nous avoir promis aujourd’hui du bout des lèvres en séance que ces questions-là n’avaient rien à voir avec votre projet de loi. Et nous serons alors dans le domaine décrit par Aldous Huxley dans Le Meilleur des Mondes, dont le titre reprend cette phrase ironique de Voltaire : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. »