Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
10/02/2010

«Proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire»

M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois

M. Mermaz nous a fait part, en des termes pas toujours aimables à mon égard, des motifs humanitaires qui l’ont conduit à déposer cette proposition de résolution, et dont il n’a pas le monopole... Il souhaite que l’Union européenne étende le bénéfice de la protection temporaire prévue par une directive aux réfugiés afghans, ce qui leur donnerait certains droits pour une durée maximale de trois ans.
Nous souhaitons tous, soyez-en convaincus, que la guerre cesse le plus tôt possible en Afghanistan et que les réfugiés puissent rentrer chez eux. Notre pays contribue d’ailleurs à rétablir la paix dans ce pays. Mais en attendant il faut résoudre les problèmes rencontrés dans les pays où l’errance a jeté ces malheureux et leur assurer un accueil convenable, je dirai même fraternel. (Mme Catherine Tasca hausse les bras) Toutefois, même les actions inspirées par un souci humanitaire doivent se plier aux règles du droit. Je n’évoquerai pas l’amendement rejeté par la commission des lois, qui n’a pas été redéposé en séance : je n’envisagerai que le texte de la proposition de loi. On peut lui opposer deux objections. La première, c’est que cette proposition ne se fonde aucunement sur l’article 88-4 de la Constitution. Pardonnez-moi de faire un peu de droit : nous sommes ici pour cela, et c’est mon rôle. L’article 88-4 dispose que des propositions de résolutions européennes peuvent être présentées sur des projets d’actes européens ou sur tout document émanant d’une institution européenne, par exemple un livre blanc ou un livre vert : autrement dit elles doivent porter sur des textes. Celle-ci porte sur une action de l’Union qui paraît souhaitable à ses auteurs. M. Mermaz évoqué le précédent de la proposition de résolution de Mme Keller, mais le cas était différent ; nous n’en avons d’ailleurs jamais parlé en commission. Votre proposition de résolution demande que la France sollicite la mise en oeuvre de la protection temporaire, telle que prévue par une directive du 20 juillet 2001. Selon cette procédure, un État membre peut solliciter la Commission européenne en vue de proposer au Conseil d’attribuer la protection temporaire à un groupe de personnes, en l’occurrence aux réfugiés afghans. Cette démarche est donc totalement étrangère à celle visée par l’article 88-4.
Il est d’autant moins justifié de détourner cet article de sa finalité que la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 -même si vous ne l’avez pas votée- assouplit largement la possibilité de voter des résolutions. Sur la proposition de M. Bel, à laquelle je m’étais associé à titre personnel, nous avons ouvert cette procédure autant que possible. Il y a donc, pour la commission des lois, un problème de recevabilité. Elle a néanmoins tenu à examiner la question sur le fond : les ressortissants afghans peuvent-ils prétendre au bénéfice de la protection temporaire ?
La directive du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire pose trois critères clairs. Premièrement, les États membres doivent être confrontés à un afflux massif de populations : ce n’est manifestement pas le cas. Eurostat fait état de 7 665 demandes d’asile pour l’ensemble de l’Union ; malgré une remontée depuis 2008, nous restons loin des 45 000 demandes en 2001 !
Deuxièmement, les systèmes d’asile des États membres doivent se trouver dans l’incapacité de traiter dans des conditions normales les demandes d’asile. En réalité, la situation en France, comme dans les autres États, ne montre pas une saturation des systèmes par des demandes émanant d’Afghans. Troisièmement, le retour dans le pays d’origine doit être impossible. La Cour européenne des droits de l’homme considère que ce retour est possible. Est-il opportun ? C’est une question politique sur laquelle le rapporteur de la commission des lois n’a pas à se prononcer ici.
Le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés, que j’ai consulté, a indiqué que les critères de la protection temporaire n’étaient pas réunis. A ceux qui diraient que ces trois critères ne sont pas cumulatifs, je répondrai qu’en tout état de cause aucun n’est rempli. Pour ces raisons, la commission ne peut que vous inviter à rejeter cette proposition.
La directive de 2001 instituant la protection temporaire est née des suites de la crise de l’ex-Yougoslavie, à un moment où les États membres de l’Union venaient d’accueillir, de façon concertée, des dizaines de milliers de réfugiés kosovars. Vouloir la détourner de sa raison d’être ne servirait en rien la cause que l’on veut défendre, s’agissant d’une protection précaire et provisoire. En outre, une interprétation aussi personnelle d’un texte européen serait mal perçue par nos partenaires et ne manquerait pas d’inquiéter les plus réticents à avancer dans la voie d’une politique commune, à commencer par les Anglais. Les Afghans ont intérêt à un examen personnalisé de leur situation, au travers d’une demande d’asile, qui peut leur assurer une protection pérenne. J’ajoute que la protection temporaire n’a jamais joué pour les réfugiés irakiens ou somaliens, plus nombreux que les Afghans à demander l’asile en Europe.
Le véritable problème, c’est que les dispositifs européens d’accueil des demandeurs d’asile ne sont pas adaptés, puisqu’ils ne permettent pas de répondre à toutes les situations. Relayant les efforts de la présidence française de l’Union, la Commission européenne a présenté le « paquet asile » qui refond les textes et crée un bureau européen d’appui en matière d’asile, établi à Malte, base d’informations, de réflexion, de propositions et d’initiatives. Reste que les négociations sont difficiles, tant les positions des États sont éloignées et tant les processus de concertation témoignent d’un faible souci de résultat. Je souhaite donc que la France prenne l’initiative d’une coopération « spécialisée », avec les partenaires qui le souhaitent, pour avancer sur ce sujet en dehors des procédures communautaires. Affirmons par des actes la volonté des Européens les plus responsables de faire en sorte que le droit sacré de l’hospitalité, héritage des plus nobles traditions des sociétés anciennes, reste une exigence prioritaire pour nos sociétés modernes. (Applaudissements à droite)