Les interventions en séance

Affaires sociales
09/10/2012

«Proposition de loi, visant à la suspension de la fabrication, de l՚importation, de l՚exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A»

Mme Muguette Dini

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons tous : le bisphénol A, composé chimique présent dans les contenants alimentaires, notamment dans la fabrication des films plastiques recouvrant l’intérieur de ces derniers, est toxique. Le 30 juin 2010 a été adoptée la loi suspendant la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de biberons produits à base de bisphénol A. Cette décision, mesurée au regard des données scientifiques connues à cette date, fut néanmoins importante, puisqu’elle amena la Commission européenne à modifier sa réglementation. Tout a été dit avant moi sur la toxicité avérée du bisphénol A sur la reproduction, le métabolisme, le cerveau, le comportement chez l’homme et sur le risque plus particulier pour les femmes enceintes et allaitantes, les nourrissons et les jeunes enfants. Je n’y reviendrai pas, mais je souhaite insister sur trois points.   Le premier point porte sur l’information destinée aux publics fragiles. Le texte prévoit un avertissement sanitaire, dans la période intermédiaire, pour les femmes enceintes, allaitantes et les enfants en bas âge, sur tout conditionnement comportant du bisphénol A et destiné à recevoir des produits alimentaires. Cet étiquetage prendra-t-il la forme d’une mention écrite ou d’un pictogramme ? Ce sujet a été longuement débattu en commission. À mon sens, la mention écrite présente deux inconvénients : d’une part, celui d’exclure les consommateurs qui ne savent pas lire ou qui lisent mal ; d’autre part, celui de ne diffuser aucun message d’alerte et de danger. Un pictogramme me semble donc plus adapté. Dans le rapport du Gouvernement au Parlement du 8 mars 2011, il est indiqué que l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, a été chargé de proposer un pictogramme adapté à l’information des femmes enceintes sur l’usage de produits du quotidien contenant des substances reprotoxiques, puis de tester ce dernier en termes d’acceptabilité et de compréhension. L’étude a porté sur trois pictogrammes représentant chacun la même silhouette de femme enceinte : un rond rouge barré conforme au pictogramme apposé sur les boissons alcoolisées, un triangle jaune conforme à la signalétique en milieu de travail pour un avertissement ou une précaution, un losange rouge. Les résultats de ce test montrent que la population de 18 ans à 45 ans est largement réceptive à cette mesure d’étiquetage, qu’elle juge efficace. C’est le pictogramme triangulaire jaune qui paraît le meilleur compromis pour la compréhension par le consommateur de la notion d’avertissement, de précaution. Madame la ministre, quelle est votre position sur ce point ? Suivrez-vous les recommandations de l’INPES ? Dans tous les cas, je souhaite que l’avertissement soit lisible et compréhensible par tous et que la loi ne soit pas bafouée par un pictogramme si ridiculement petit qu’il devient totalement invisible, comme c’est le cas sur les bouteilles de vin et d’alcool. Le deuxième point sur lequel je souhaite insister est celui de la date d’entrée en vigueur de la mesure générale de suspension. La question principale est celle de l’innocuité démontrée des substances ou technologies alternatives au bisphénol A. Parallèlement à ses investigations sur le bisphénol A, l’ANSES a soumis à consultation le résultat de ses travaux et lancé un appel à contribution, de septembre à novembre 2011, afin de recueillir, d’une part, des commentaires sur le contenu de ces derniers, d’autre part, toute donnée scientifique sur les procédés de substitution disponibles. À la fin de cette année, l’ANSES publiera une présentation des différentes alternatives au bisphénol A, mais il ne s’agira pas d’une étude sur l’innocuité de tous ces différents substituts. Le professeur Bernard Jegou, directeur de recherche sur la reproduction humaine à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, déclare que l’interdiction programmée du bisphénol A dans les contenants alimentaires « doit être aussitôt encadrée par des recherches sur les produits de substitution, sinon ce sera une supercherie ». Madame la ministre, qu’en est-il des recherches scientifiques sur ce sujet ? La date de 1er janvier 2016 ne serait-elle pas une échéance plus réaliste ? Que ferez-vous le 1er janvier 2015 si les industriels n’ont pas de produits de substitution fiables, testés et validés ? Enfin, le troisième point qui me semble important est celui de la révision de la réglementation à l’échelon européen, afin d’éviter des distorsions de concurrence. Dans la continuité de ses travaux menés sur le bisphénol A, l’ANSES a déposé auprès de l’Agence européenne des produits chimiques, l’ECHA, et au nom des autorités françaises, une proposition de révision à l’échelon européen du classement de cette substance. Dans le dossier français soumis par l’ANSES ; il est proposé de classer le bisphénol A comme toxique, et non plus simplement comme toxique « suspecté », pour la reproduction. Cette proposition de révision est désormais soumise aux experts du Comité d’évaluation des risques de l’ECHA, lesquels sont chargés de statuer collectivement sur la classification à adopter. C’est sur le fondement de cet avis et après le vote des États membres que la Commission européenne rendra sa décision d’inclure la classification harmonisée dans le règlement relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances chimiques et des mélanges. Parallèlement et en réponse aux rapports de l’ANSES sur le bisphénol A, la Commission européenne a invité l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, à donner son avis sur la question. Dans un premier temps, l’EFSA a déclaré que les informations contenues dans les rapports de l’ANSES ne justifiaient pas une modification de l’opinion exprimée par le groupe scientifique dans son avis de 2010. Cependant, ces experts se sont ravisés et, dans un second temps, ont entrepris d’analyser de nouvelles études parues sur le sujet. Les choses bougent à l’échelon européen, mais avec beaucoup de frilosité, voire de réticence. Là encore, madame la ministre, comment envisagez-vous l’action du gouvernement français ? Les questions restent nombreuses. Madame la ministre, vos réponses sont importantes pour nous, parlementaires, mais également pour nos concitoyens. Mon groupe souhaite vivement que son amendement tendant à reporter la date d’application de la loi soit adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et sur plusieurs travées de l’UMP.)