Les interventions en séance

Institutions
François Zocchetto 09/07/2013

«Projet de loi relatif à la transparence de la vie publique»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons terminé nos travaux la semaine précédente avec un projet de loi constitutionnelle sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM. Nous les débutons cette semaine avec un projet de loi sur la transparence de la vie publique. À première vue, pas de lien évident entre les deux textes. Pourtant, qu’est-ce qui a conduit le Gouvernement à soumettre au Parlement, en priorité, le texte portant réforme du CSM ? Quelle est la véritable raison d’être du texte sur la transparence ? Cela a déjà été dit à cette tribune, c’est une seule et même affaire : l’affaire Cahuzac ! Je l’ai rappelé mercredi dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi constitutionnelle, il s’est agi d’opérer un amalgame déduisant d’un prétendu manque d’indépendance de la justice, qu’aurait révélé l’affaire Cahuzac, la nécessité de réformer d’urgence le Conseil supérieur de la magistrature. Ce ne fut pas une réussite, monsieur le ministre. N’avez-vous pas annoncé vous-même, à l’issue du vote du Sénat de jeudi dernier qui ne vous convenait pas, que la réforme était purement et simplement suspendue ? Nous le regrettons, car le vote du Sénat n’est pas à prendre à la légère quand on sait l’urgence qu’il y a à renforcer le statut des magistrats du parquet. Revenons aux projets de loi sur la transparence que vous nous présentez aujourd’hui. Là, plus de faux-semblants : il s’agit bien d’une « réforme Cahuzac » ! Certains ont même parlé, dans nos rangs, d’une opération de blanchiment de l’affaire Cahuzac ! Bien sûr, M. Cahuzac n’est pas cité nommément dans l’exposé des motifs des projets de loi, mais la toute première phrase de ce dernier est assez éclairante : « Le Gouvernement a décidé d’accélérer les travaux qui avaient été entrepris pour rénover le cadre de la lutte contre les conflits d’intérêts dans la vie publique. » On se demande bien ce qui a pu susciter cette « accélération » des travaux, si ce n’est l’affaire Cahuzac ! On ne trouve pas plus de traces de Jérôme Cahuzac dans le rapport de l’estimé Jean-Pierre Sueur ! On préfère, bien sûr, faire référence, dès les premières lignes, à Saint-Louis, à Philippe IV ou encore à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! La véritable justification de la réforme est ainsi peu mise en avant par la majorité : on peut la comprendre. La confiance de nos concitoyens dans la classe politique était déjà bien timide. Les mensonges de votre ancien ministre du budget ont eu sur elle un effet dévastateur. Quelle a été votre réponse ? Plutôt que de reconnaître l’inutilité de la fameuse Charte de bonne conduite du Gouvernement, qu’on a oubliée au passage, vous avez décidé de mieux masquer le malaise qui est le vôtre en jetant l’opprobre sur tous les responsables politiques, voire sur les responsables publics, et en lançant le jeu dangereux de celui qui lavera plus blanc que blanc ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) Je le reconnais, les deux projets de loi poursuivent néanmoins un large chantier ouvert par la précédente majorité, chantier que nous ne refusons certainement pas d’aborder. La réflexion a été ouverte il y a plus de deux ans déjà, dans le cadre des travaux du rapport de Jean-Marc Sauvé. Nous aurions souhaité ne pas être contraints de légiférer sous le coup de l’émotion, encore moins dans le cadre de la procédure accélérée. Nous aurions préféré ne pas légiférer en réaction aux manquements graves d’un de vos ministres, alors que vous avez si souvent reproché à vos prédécesseurs d’agir sous le coup de l’émotion. Qu’elles soient de nature organique ou ordinaire, je distingue deux catégories dans les dispositions que vous nous proposez, monsieur le ministre. Il y a, d’une part, très clairement ce qui concerne la situation patrimoniale et la déclaration à laquelle vous voulez soumettre les élus. Il y a, d’autre part, la prévention des conflits d’intérêts. Selon nous, ces deux sujets appellent des approches et surtout des réponses bien différentes. Pour ce qui concerne la déclaration de la situation patrimoniale, la voie dans laquelle vous nous engagez ne mène à rien. Je le dis clairement, je ne vois pas l’intérêt qu’il y a à produire les déclarations, ni pour le législateur, ni pour la justice, ni pour nos concitoyens ! Les seuls, à mon sens, qui doivent se réjouir d’avance de ce type de proposition, c’est une certaine catégorie de journalistes, et on peut les comprendre ! Que d’articles déjà tout prêts, décrivant par le menu le patrimoine de M. le maire ou de Mme la sénatrice ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Quel bénéfice pour notre vie démocratique ? Aucun puisque règnera le soupçon plutôt que la confiance entre les citoyens et les élus ! Vous savez très bien que toute déclaration sera sujette à caution de la part de nos concitoyens ! En fait, la seule chose qui présente un réel intérêt si l’on s’attache à l’examen du patrimoine d’un élu ou d’un responsable public, c’est un éventuel enrichissement injustifié et donc suspect. Dans cette hypothèse, rendre publique une variation inexpliquée du patrimoine d’un élu aura un effet positif. Nous vous proposerons des amendements dans ce sens. Le dispositif que vous nous proposez est tout autre. Le premier effet garanti de votre système sera de susciter une certaine forme de voyeurisme, de curiosité malsaine. Que penser alors de la pseudo publicité des déclarations de situation patrimoniale inventée par l’Assemblée nationale ? À quoi cela servira-t-il de pouvoir consulter sans pouvoir publier ? Je le dis clairement, nos collègues députés ont inventé une véritable usine à gaz ingérable, ou plutôt une usine à fabriquer de la rumeur et du soupçon ! Rien de pire que d’entretenir l’une et l’autre à l’encontre des élus ! Votre majorité a tenté de trouver un compromis malheureux entre l’idée de départ de publicité intégrale, qu’elle a refusée – car c’est bien le groupe socialiste qui a refusé la publication des patrimoines –, et la gêne réelle qu’elle éprouvait à ouvrir la voie au voyeurisme, donc à une certaine forme de populisme, ce dont tout le monde a bien conscience ! Voilà comment nous en sommes arrivés à cette brillante idée d’une déclaration qui ne serait consultable qu’en préfecture. Consultable mais pas diffusable ! Cette diffusion serait un délit. Du moins était-ce ce que prévoyait le texte avant son passage en commission des lois. Notre rapporteur a cru bon de maintenir cette interdiction de diffusion, mais il l’a privée de toute sanction de nature pénale. Plus personne ne s’y retrouve ! Quoi qu’il en soit, pour rétablir la confiance entre les citoyens et les élus, un autre choix serait préférable ! Si vous considérez que la publicité des déclarations est nécessaire, il n’y a qu’une seule solution pour atteindre l’objectif que vous vous êtes fixé : la publication sans réserve au Journal officiel de l’intégrité des déclarations. Si vous nous obligez à suivre votre logique, nous défendrons, avec Michel Mercier et un certain nombre de mes collègues du groupe UDI-UC, un amendement visant à mettre en œuvre cette solution. J’espère qu’il sera adopté et que le groupe socialiste le votera. Ce sera le seul moyen d’éviter un système incohérent, irréaliste et qui continuera à jeter un peu plus le soupçon sur les responsables politiques. On verra bien si le groupe socialiste suit le Gouvernement ! En ce qui concerne les conflits d’intérêts, les choses sont différentes, on aborde là une vraie question. Autant le sujet des déclarations est peu intéressant, autant celui-ci mérite que l’on s’y attarde longuement, en tous cas plus longtemps que ce ne fut le cas jusqu’à présent. La question qui se pose est la suivante : peut-on concilier l’exercice passé, actuel et futur d’une activité privée – je parle bien d’activité, et non de profession – avec un mandat public ? Une première approche, radicale, serait de considérer que cela est impossible. Une telle interdiction absolue, au-delà de son caractère inconstitutionnel, serait évidemment un recul démocratique et aurait vocation à créer une classe, voire même une caste, politique, parfaitement décalée par rapport aux réalités économiques et sociales de notre pays. La seconde approche est celle qui organise une concomitance entre mandat public et activité privée. Organiser un système déclaratif est la bonne idée. D’ailleurs, le Sénat n’a pas attendu le Gouvernement puisque nous remplissons déjà, depuis un bon moment, une déclaration d’intérêts publiée sur le site internet du Sénat. Tous les citoyens peuvent consulter les déclarations d’activité et d’intérêts des sénateurs et de leurs proches. Nous n’avons donc pas de leçons à recevoir sur ce sujet ! Cette question de la prévention du conflit d’intérêts pose aussi le problème du renouvellement et du recrutement de notre classe politique. À force de stigmatiser les parlementaires et les élus, nous connaîtrons bientôt – et c’est déjà le cas ! – de graves difficultés de recrutement. On ne voit pas comment, demain, un agriculteur, un artisan, un cadre du privé ou du public, ou une personne exerçant une activité libérale, accepterait de s’engager dans la vie politique, au vu des contraintes toujours plus fortes que l’on entend faire peser sur les élus. Ce n’est pas de la politique fiction ! Je rappelle que, lors du dernier renouvellement, la moitié des nouveaux députés était constituée de professionnels de la politique, c’est-à-dire des personnes issues des partis politiques ou des cabinets ministériels. Ce problème se fait de plus en plus présent, et le Sénat n’est pas à l’abri de cette évolution. La question que nous devons nous poser, mes chers collègues, est simple : à quoi doivent ressembler les élus de demain ? Disons les choses plus clairement : si l’on met bout à bout l’ensemble des réformes que vous nous proposez, entre les déclarations tous azimuts et le non-cumul des mandats, on voit aisément quel sera le visage, par exemple, de l’Assemblée nationale. Votre texte conforte la voie fatale qui fera de l’Assemblée nationale, en particulier, et du Parlement, en général, des chambres de fonctionnaires élus, comparables à ce qui existait, entre autres, sous le règne de Louis-Philippe, durant la Monarchie de Juillet. Cette catégorie que l’on peut, pour le coup, qualifier de « caste politique », sera principalement composée d’anciens membres de cabinets, d’apparatchiks des partis politiques, voire peut-être de quelques hauts fonctionnaires qui n’auront fait que de la politique. Au mieux, on peut espérer quelques retraités du secteur privé pour représenter a minima la société active... Si le tableau que je vous dresse vous plaît, et si vous l’assumez pleinement, tant mieux pour vous ! Je dirai quant à moi : tant pis pour la France ! L’égalité des citoyens devant la loi, c’est l’égale dignité de chacun, avant même l’égal accès aux mandats. Je crains que vous n’ayez perdu de vue cette vérité élémentaire. Notre mission n’est pas de multiplier les obstacles destinés à empêcher nos concitoyens de se faire élire. Notre devoir est au contraire de tout faire pour s’assurer que les élus de demain soient, bien sûr, irréprochables – c’est essentiel –, mais aussi qu’ils soient représentatifs de la diversité de notre société. Pour conclure, asservir le Parlement est une tentation permanente du pouvoir exécutif. Force est de constater que ces deux textes imposés par le Président de la République s’inscrivent dans cette tradition condamnable ! (Sourires sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)