Les interventions en séance

Agriculture et pêche
Daniel Dubois 09/04/2014

«Projet de loi d՚avenir pour l՚agriculture, l՚agroalimentaire et la forêt»

M. Daniel Dubois

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous féliciter à mon tour de votre reconduction dans vos fonctions. Vous connaissez bien, désormais, ce secteur de l’économie, dont vous pouvez mesurer pleinement les enjeux. Ils sont de taille, et les attentes sont immenses. Je souhaite remercier notre collègue Joël Labbé de nous avoir expliqué clairement ce que recouvre la notion d’agroécologie. Pour ma part, je n’en avais pas appréhendé toute la portée en écoutant M. le ministre et M. le rapporteur Guillaume, qui avaient, me semble-t-il, quelque peu idéalisé ce concept... Certes, mais notre collègue Joël Labbé est un spécialiste de l’écologie ! Je l’ai donc écouté avec attention.
Monsieur le ministre, de l’avis de beaucoup de professionnels du secteur, le texte que vous nous proposez manque malheureusement un peu de souffle.
N’y voyez pas un propos politique, encore moins une intention polémique, mais, face aux enjeux, nous avons le devoir d’être plus ambitieux, plus réalistes, pour proposer à la « ferme France » une réelle vision d’avenir.
L’agriculture est l’un des secteurs très importants de notre économie, tant par sa taille que par sa qualité. Elle évolue en permanence. Nous devons accompagner cette évolution, mais aussi, et surtout, l’anticiper, pour permettre à nos exploitants d’être encore plus performants, encore plus innovants, en un mot compétitifs. Nous avons une chance inouïe. Notre pays possède en général de bonnes terres, notre climat est favorable aux cultures, nos agriculteurs sont parmi les mieux formés. Qu’attendons-nous pour mieux profiter de ces atouts, de cette capacité de pouvoir produire plus et mieux, alors que la demande mondiale augmente de 2 % à 3 % par an ? La production agricole française représente 19 % de la production européenne et emploie plus d’un million d’actifs. C’est une filière d’avenir, qui, avec l’agroalimentaire, apporte près de 8 milliards d’euros d’excédent à la balance commerciale de notre pays. Nous avons donc, j’en suis convaincu, le devoir de veiller à sa compétitivité. Des pays voisins, comme l’Allemagne, sont en train de nous dépasser petit à petit. La main-d’œuvre y est globalement moins chère que chez nous, d’environ 20 %. Cette différence atteint même 50 % dans le secteur des fruits et légumes. Ce n’est pas une question de revenu, car le niveau de rémunération de nos agriculteurs est déjà trop faible. Il s’agit plutôt de mieux faire correspondre le coût du travail et la rémunération des producteurs. Monsieur le ministre, j’ai entendu, au travers de vos propos, que le Gouvernement s’engageait sur le sujet. La compétitivité de l’agriculture ne se mesure pas sur un seul secteur. C’est le résultat des performances de toute la filière, du producteur au consommateur en passant par la transformation. Pour améliorer la compétitivité, il faut réduire le coût du travail et aussi, je le pense, simplifier les normes administratives. Par ces temps de disette budgétaire, une telle simplification des normes ne coûte rien, ou très peu, au regard des avantages qu’elle procurerait à nos paysans. Le Président de la République a promis un choc de simplification. Le Premier ministre, pas plus tard qu’hier, a promis une réduction drastique des normes pour libérer les entreprises. Monsieur le ministre, je pense qu’il faut s’engager également dans cette voie pour l’agriculture. Je prendrai un exemple parmi tant d’autres, dont nous avons beaucoup débattu en commission : les transporteurs d’engrais minéral devront désormais remplir leur lot de déclarations, ce que les agriculteurs font déjà… Pourquoi faut-il deux déclarations, alors que l’on connaît le sort irrémédiablement réservé à ces documents : se perdre dans les méandres d’une administration tatillonne, qui trop souvent contrôle au lieu d’accompagner et de soutenir ? Vous souhaitez ajouter une norme ? Soit. Supprimez alors l’obligation de déclaration faite aux agriculteurs. Voilà qui serait efficace et donnerait un peu d’oxygène aux professionnels. D’ailleurs, ce serait conforme à la demande du Président de la République de ne pas créer une nouvelle norme sans en supprimer une existante. Abandonnez aussi cette idée d’une écologie punitive. On peut allier agroécologie et performance : il suffit de le vouloir. Qui peut penser aujourd’hui que les agriculteurs sont les ennemis de l’environnement, alors que la nature est leur bien le plus précieux ? Heureusement, monsieur le ministre, le bail à clause environnementale, à défaut d’être supprimé, comme nous le demandions, a été encadré dans votre texte. La compétitivité de notre agriculture est plombée par des charges bien trop élevées au regard de la taille moyenne des exploitations et de leur équipement. Alors que, en Allemagne, le produit d’un méthaniseur représente 20 % des revenus d’un exploitant, la France crée toutes les contraintes possibles et imaginables pour en freiner l’installation. Voilà encore un moyen d’améliorer la compétitivité qui n’apparaît pas dans le texte. Autre grande absente du projet de loi : l’utilisation de l’eau. Or la politique d’irrigation est un enjeu majeur pour l’avenir de l’agriculture en une période de réchauffement climatique. Rien n’en est dit dans ce texte. C’est, là aussi, un vrai rendez-vous manqué. Au cours de nos débats, je proposerai avec mes collègues du groupe UDI-UC la création d’un observatoire de la compétitivité de l’agriculture française, qui agira sur les prix et les marges, mais aussi sur les distorsions de concurrence. Pour briser la « boîte noire » des prix et des marges, nous proposons d’instaurer le libre accès aux informations et aux statistiques des centrales d’achat qui ne jouent pas le jeu de la transparence. Le name, blame and shame pratiqué chez les Anglo-Saxons est bien plus efficace que des amendes souvent dérisoires. Cette accessibilité imposera le consommateur comme arbitre des distorsions entre prix d’achat au producteur et prix payé par le consommateur. Cet observatoire réalisera de plus chaque année une étude exhaustive des distorsions de concurrence imposées aux agriculteurs dans l’application des directives communautaires et des normes françaises. L’identification rapide de ces distorsions permettra, d’une part, de mieux négocier à Bruxelles, et, d’autre part, de supprimer rapidement, au niveau national, des règlements et des normes inutiles et inefficaces pour l’agriculture. Encore une fois, le choc de simplification décrété par le Président de la République doit aussi être mis en œuvre dans ce secteur. Monsieur le ministre, des actes, de l’air, de l’oxygène pour l’agriculture française ! J’espère sincèrement que vous entendrez cette proposition et que vous y adhérerez. Pour conclure, je tiens à saluer le travail des rapporteurs au fond et du président de la commission des affaires économiques, qui ont su trouver des compromis sur de nombreux articles du projet de loi, rattrapant ainsi un peu les défauts du texte qui nous arrivait de l’Assemblée nationale. Naturellement, j’ai déposé, avec mes collègues du groupe UDI-UC, d’autres amendements, concernant le registre des actifs, la compensation agricole ou les produits phytosanitaires. J’espère vivement que nous serons entendus. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur certaines travées de l’UMP.)