Les interventions en séance

Agriculture et pêche
Jean-Jacques Lasserre 09/04/2014

«Projet de loi d՚avenir pour l՚agriculture, l՚agroalimentaire et la forêt»

M. Jean-Jacques Lasserre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons enfin ce soir en séance publique de ce projet de loi, tant attendu, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Je tiens tout d’abord à saluer le travail accompli par nos deux rapporteurs, MM. Guillaume et Leroy, qui ont su être vraiment à l’écoute des organisations dont nous avons auditionné les représentants et des sénateurs. Grâce à eux, nous avons pu aborder l’examen du texte très sereinement et travailler dans un climat de dialogue et d’ouverture, ce qui nous a déjà permis de trouver plusieurs points d’accord. Avant d’évoquer le contenu du projet de loi, je souhaiterais faire à mon tour un point sur le contexte actuel et les situations très contrastées que l’on rencontre dans le monde agricole. De nombreux agriculteurs sont dans une situation de désespérance absolue. Telle est la réalité ! Crise de l’élevage, déficit d’installations, terrible déprise agricole dans certaines zones, particulièrement de montagne : la liste des aspects de la situation gravissime que nous connaissons est très longue. Dans certains cas, y compris s’agissant d’ateliers industriels, nous avons même atteint un point de non-retour. Je pense notamment à la production laitière. Devant ce constat dramatique, vous nous annoncez, monsieur le ministre, une grande loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. L’intitulé du texte pouvait nous donner quelques espoirs, mais j’ai le regret de vous dire que son contenu nous déçoit.On n’y trouve vraiment pas l’élan, le souffle nouveau que nous attendions, eu égard au vocabulaire employé : l’emballage est beaucoup plus brillant que le contenu ! Le texte comporte certes des améliorations des dispositifs existants, mais il s’agit beaucoup plus d’un toilettage que d’une véritable loi d’avenir, monsieur le ministre ! Je reviendrai un peu plus tard sur les grands sujets oubliés dans ce projet de loi et dont le traitement aurait pu, de notre point de vue, faire de ce texte une réelle loi d’avenir. Au-delà de ce manque d’élan, je souhaite évoquer l’orientation globale qui a été choisie et, surtout, le déséquilibre marqué entre dimension économique et dimension environnementale. Bien entendu, il faut un juste équilibre entre la recherche de performances économiques et l’orientation vers une agriculture « verte », agroenvironnementale. S’il est évident que l’environnement doit avoir sa place dans l’agriculture, cela ne doit pas être au détriment de la performance économique. Or, dans ce projet de loi, si l’écologie est bien présente, la place de l’économie n’est pas suffisante. Mon collègue Daniel Dubois le démontrera tout à l’heure. Pourtant, renforcer la compétitivité de la France dans le domaine agricole est primordial. Il est nécessaire de toujours innover, en s’appuyant sur de nouveaux outils économiques, en explorant de nouvelles pistes. Surtout, il nous faut stabiliser et sécuriser la situation financière des agriculteurs. Sur le fond, le travail effectué ne nous inspire pas que des critiques : nous notons aussi quelques avancées. À cet égard, je pense notamment à la « clause miroir ». Il faut dire que nous revenons de loin : à la suite de nombreuses discussions, un compromis semble avoir été trouvé. Je m’en réjouis et je salue le travail des rapporteurs. Je pense aussi aux débats sur le foncier, lesquels se sont déroulés sereinement, monsieur le président de la commission des affaires économiques. Sur ce sujet très délicat, il convient d’avancer très prudemment, les points de vue étant extrêmement éloignés les uns des autres. Grâce à ce projet de loi, nous avons pu convenablement en débattre et évoquer certaines pistes. Il en va de même pour le registre de l’agriculture, qui vient renforcer le statut d’agriculteur, auquel est lié l’octroi de certaines aides. Certes, les mesures proposées ne sont peut-être pas parfaites, mais le débat devrait permettre d’améliorer le dispositif, pour aboutir probablement à un contenu satisfaisant. Malheureusement, à côté de plusieurs avancées notables, on note l’omission de nombreux sujets dans ce projet de loi. Cette situation est regrettable, car, sans cet oubli de questions primordiales pour le futur de l’agriculture, on aurait réellement pu faire de ce texte une vraie loi d’avenir. Je pense, par exemple, aux organismes génétiquement modifiés. Comment est-il possible que le Gouvernement préfère inscrire à l’ordre du jour de nos travaux l’examen en procédure accélérée de propositions de loi portant spécifiquement sur une variété d’OGM plutôt que d’aborder ce grand sujet d’avenir dans un projet de loi qualifié justement « d’avenir » ? Monsieur le ministre, avec les OGM, nous sommes en plein dans l’avenir, et la recherche en la matière est capitale ! Le présent projet de loi aurait pu être le véhicule adéquat pour traiter ce sujet, selon une perspective beaucoup plus globale. Il est dommage que vous n’ayez pas saisi cette occasion. Nous n’allons tout de même pas élaborer une proposition de loi pour chaque nouvelle variété d’OGM ! Il serait regrettable de passer à côté du rendez-vous que constitue l’examen de ce texte.
Un autre sujet oublié me semble important : la politique agricole commune. Monsieur le ministre, votre texte n’y fait que très peu référence. Or je pense que certains problèmes auraient dû être évoqués, concernant notamment ce qui est laissé à l’appréciation des États membres, en particulier la marge de manœuvre dont nous disposons sur le volet « verdissement » et les obligations d’assolement, qui seront véritablement catastrophiques pour certaines régions de monoculture. Troisième point oublié : la relation avec la grande distribution. Le médiateur de la coopération agricole pourra intervenir, mais il manque, à mon sens, dans la définition de ses attributions, un cadre contractuel beaucoup plus précis, beaucoup plus resserré, permettant de mieux garantir le secteur de la production. Un autre thème, primordial à mon sens, n’est pas évoqué dans le projet de loi : la couverture des risques. Cette dernière année, des catastrophes météorologiques se sont produites dans presque toutes les régions de France, à commencer par mon département. Devant ces désastres, les agriculteurs sont désemparés, et nous en connaissons tous qui ne pourront pas s’en relever. Des dispositifs existent certes en matière de gestion de crise ou d’après-crise à la suite d’inondations, par exemple, mais je crois que nous devons pointer ces lacunes. Cela engendrera d’autres réflexions, par exemple sur l’articulation des rôles des différentes collectivités ou sur les obligations auxquelles les collectivités devraient souscrire : assurance ou pas, création de fonds spécifiques… Cet aspect est un des grands oubliés de ce projet de loi. Dernier point sur lequel nous attendions au moins un débat : la simplification administrative en agriculture. Je pense notamment à l’application de la loi sur l’eau. Des régions entières, en particulier les zones humides, marécageuses, souffrent terriblement d’une mauvaise interprétation de cette loi ou de son application irréfléchie. En matière de simplification administrative, nous aurions pu accomplir quelques belles avancées… Vous l’aurez compris, notre position sur ce projet de loi est mitigée. L’avenir de l’agriculture n’est, de toute évidence, pas suffisamment esquissé dans ce que nous considérons être un texte de toilettage, monsieur le ministre. L’intitulé de votre projet de loi suscitait des espoirs, mais nous restons un peu sur notre faim, car nombre de sujets importants ne sont pas abordés. La suite des débats déterminera notre vote. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC – M. Didier Guillaume, rapporteur, applaudit également.)