Les interventions en séance

Politique générale
François Zocchetto 09/04/2014

«Débat suite au discours de politique générale du Premier Ministre Manuel Valls»

M. François Zocchetto

Monsieur le Premier ministre, je tiens d’emblée à vous remercier pour les vœux de rétablissement que vous avez adressés hier à notre ami Jean-Louis Borloo. Cette attention vous honore. À mon tour, je vous souhaite une bonne dose de courage et d’abnégation.
Je vous souhaite même de réussir.
Pendant vingt-trois mois, le gouvernement précédent est resté comme stupéfait par l’ampleur de la tâche. Le Président de la République s’est déconsidéré par son immobilisme. Il y eut rarement un tel fossé entre la parole politique et les actes. La défiance mine notre société et notre pacte républicain. C’est vrai, la France a besoin de changement, la France a besoin de modernité. Ce que votre prédécesseur n’a malheureusement pas su accomplir, c’est vous qui devrez le réaliser. Michel Rocard, que vous connaissez, l’avait bien dit : ce qui compte, c’est ce qui est dit, ce n’est pas celui qui le dit. Nous, sénateurs centristes, avons entendu votre message, et, comme nous avons eu l’occasion de le prouver ces derniers mois, nous jouerons, nous aussi, le jeu d’une opposition constructive, ouverte au dialogue. Malheureusement, notre position ne saurait masquer les inquiétudes suscitées par votre déclaration. Elle est ambitieuse et même presque séduisante. Votre constat est souvent pertinent. Mais que d’interrogations sur le fond et sur la forme ! Depuis plusieurs jours, vous utilisez à satiété la métaphore d’un « gouvernement de combat ». J’ai donc quatre questions à vous poser, monsieur le Premier ministre. Première question : qui sont vos combattants ? L’ancienne équipe gouvernementale n’a pas été renouvelée.
Vous avez déclaré que le sort de notre pays valait mieux que la victoire d’un camp sur l’autre. Comment se fait-il alors que votre commando ressemble autant à un bureau national du parti socialiste ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Les Français sont lassés de voir un gouvernement au service d’un parti. (Mêmes mouvements.)
 Aujourd’hui, c’est le vôtre, mais cela pourrait tout aussi bien être un autre.
Ce gouvernement n’a pas été capable d’intégrer le moindre représentant de la société civile parmi ses ministres, mais il vient opportunément d’accueillir le premier secrétaire du PS, afin de le remplacer à la tête du parti. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
Belle promotion au mérite et beau gage de réussite ! Permettez-moi de vous demander où sont les indices d’alliance, d’ouverture et de diversité dans votre gouvernement.
Vous voilà pris au piège d’une première contradiction. Comment comptez-vous appliquer votre programme si vous devez à chaque fois, pour chaque texte, donner des gages à l’aile gauche de votre parti, qui doutera toujours de vos quartiers de socialisme ?
Justement, vous n’avez plus, ou presque plus, d’alliés !
Les communistes refusent toujours de partager la solidarité gouvernementale, pour des raisons respectables.
Et c’est maintenant au tour des écologistes de ne plus vouloir subir l’indécision du Président de la République !
Pourtant, vous leur avez beaucoup, et même presque tout donné. Deuxième question : qui sont vos adversaires ? Vous aimez avoir des adversaires. Il est vrai qu’en politique l’adversité peut produire des avantages. L’ennemi du Président de la République n’était-il pas la finance ? Aujourd’hui, qui est-ce ? L’assistanat ? Les « méchants Européens » ? Les collectivités territoriales ? Je crois surtout que votre principal ennemi, c’est vous-même !
En promettant un « gouvernement de combat », le message que vous adressez aux Français, c’est : « les socialistes ont perdu par manque de pédagogie ». Mais vous est-il venu à l’esprit que c’était le fond de votre politique qui était en cause ? Cela fait vingt-trois mois que vous promettez le changement, le redressement et la justice alors que l’on ne voit partout que hésitation et absence de cap ! Vous balayez les critiques d’un revers de la main en accusant la majorité précédente ou je ne sais quel bouc-émissaire. Hier encore, vous en êtes venu à critiquer la Banque centrale européenne ! Monsieur le Premier ministre, votre politique doit être changée. Ce n’est pas une opération de marketing politique que nous attendons. Ne vous trompez pas d’ennemi. Je crains que le principal obstacle à la réforme ne soit – d’ailleurs, vous le savez vous-même – votre propre majorité, certains membres de votre gouvernement compris…
Troisième question : quels sont vos objectifs de guerre ?
Je commencerai par saluer la révolution intellectuelle que vous venez d’introduire à gauche. Vous semblez avoir compris, et je n’ai pas de doute en ce qui vous concerne, que la diminution du chômage ne se décrétait pas à coup d’emplois aidés ou de postes dans la fonction publique. Vous comprenez enfin que la stimulation de la croissance permet de gagner la bataille. Vous donnez enfin des gages aux entreprises. Vous revenez également sur le tourbillon fiscal qui vous a emporté ces vingt-trois derniers mois. Notre pays a besoin d’innovation, de sécurité juridique, de stabilité fiscale et de simplification normative avant tout. Faites confiance à l’entreprise ! Faites confiance au génie français, dont vous avez à juste titre fait l’éloge. Quatrième question : quel est votre plan de bataille ? La besace des réformes structurelles annoncées est, permettez-moi de le dire, bien maigre. Où est la réforme de la retraite à points ? Où est la réforme de la fonction publique ? Où est encore la réforme du marché du travail ? Avons-nous entendu parler des 35 heures, en particulier dans la fonction publique ? Deux points ont, il est vrai, retenu notre attention : le pacte de responsabilité et la simplification du millefeuille territorial. Sur le pacte de responsabilité, je le dis sans détour, nous ne sommes pas convaincus, ni sur la forme, ni, surtout, sur le financement. Concernant la forme, l’équation est assez simple. Il s’agit de supprimer une partie des charges dues par les entreprises en contrepartie d’une répercussion intégrale des fonds ainsi dégagés en faveur de l’emploi. C’est très séduisant ; nous partageons totalement cette vision des choses. Mais, là encore, votre discours tient plus d’un habile tour de magie à venir que de l’engagement politique. Sur le financement, vous avez été un peu rapide. Le pacte doit être financé, avez-vous dit, par 50 milliards d’euros d’économies sur la dépense publique. Cela ne nous a pas échappé, vous avez évoqué 19 milliards d’euros pour l’État, 10 milliards d’euros pour les collectivités et de 10 milliards d’euros pour l’assurance maladie. Où sont les 11 milliards d’euros restants ?
Ce n’est pas rien !
D’ailleurs, le chiffre de 11 milliards d’euros cela sera certainement à revoir à la hausse, puisque vous entendez, et cela nous intéresse, supprimer la C3S, la surtaxe de l’impôt sur les sociétés et même baisser celui-ci de 3 % ! Aussi serait-il heureux que vous présentiez devant la représentation nationale le détail de ces milliards miraculeux que vous comptez trouver. Comptez-vous par exemple revenir sur l’application unilatérale des 35 heures dans la fonction publique ? De notre point de vue, cela serait légitime et opportun. Mais, si c’est le cas, dites-le aux Français, notamment à ceux qui travaillent dans la fonction publique ! Par ailleurs, d’après ce que nous avons entendu, votre pacte ne permet de réaliser aucune économie. En effet, ce que vous allez gagner en économie sera dépensé pour créer un mécanisme d’emplois aidés à grande échelle au sein même des entreprises. En réalité, vous ne faites que fiscaliser une branche de la sécurité sociale. Nous n’y sommes pas opposés. Mais vous faudra-t-il 50 milliards d’euros en plus des 50 milliards d’euros déjà nommés pour revenir à l’équilibre et respecter nos engagements européens déjà bafoués par votre prédécesseur ? Je le rappelle, 50 milliards d’euros plus 50 milliards d’euros, cela fait 100 milliards d’euros ! Quelle sera, quelle est aujourd’hui notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens ? En outre, votre pacte méconnaît la réalité du fonctionnement d’une entreprise. Vous, vous le savez. Vous savez que l’embauche ne repose pas uniquement sur la baisse des charges. Une entreprise qui embauche, c’est d’abord une entreprise qui croit en son avenir. C’est une entreprise qui investit, qui innove. À cet égard, je regrette qu’aucun de vos seize ministres n’ait travaillé durablement en entreprise. (Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique, et Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, le contestent.) C’est dommage. Et cela rejoint le regret que j’ai exprimé sur l’absence de diversité au sein de votre gouvernement. Connaissez-vous l’angoisse de l’artisan, du patron de PME, du dirigeant de groupe industriel devant les factures à payer, les charges et les salaires à verser quand l’activité décline ?
Enfin, le défaut principal de votre pacte – c’est la différence majeure avec la TVA sociale que nous défendons depuis plus de dix années – concerne la liberté et la confiance.
Nous, nous faisons confiance aux entreprises, parce que nous croyons dans la liberté d’entreprendre. Et c’est pour cela que notre projet de TVA sociale laisse une totale liberté aux entreprises dans la gestion de leurs marges. Libre à elles d’embaucher, d’investir ou de faire de la trésorerie ! Ce qui compte, c’est la libération des forces vives de notre économie. Mais, là aussi, j’imagine que, au fond de vous-même, vous n’êtes pas si éloigné de notre vision. J’en viens au second point qui a retenu notre attention, les collectivités territoriales. Vous le comprendrez, nous accueillons vos annonces avec une certaine circonspection. Le Président de la République avait demandé un « acte III de la décentralisation ». Annoncé depuis la campagne de 2012, votre projet prend maintenant la tournure d’une tragédie en cinq actes. Les options proposées hier peuvent constituer une base de discussion intéressante, mais que de temps à perdre à venir, que de vaines tergiversations à venir ! Votre calendrier a de quoi surprendre ! Vous voulez renverser la table. Soit ! Mais alors pourquoi attendre sept années pour le faire alors que votre homologue italien – vous l’avez cité tout à l’heure – compte le faire en six mois ?
Comme le disait un fameux slogan, le changement, ce doit être maintenant ! Ne le renvoyez pas à un imbroglio d’échéances diverses qui renvoient au final l’image que rien ne se fera, puisque vous n’avez aucune assurance – c’est le moins que l’on puisse dire ! – de maîtriser votre projet au-delà de 2017.
Un gouvernement de combat qui prédit la fin du conflit avec un tel délai ne suscite guère l’enthousiasme. Un gouvernement de combat qui réintroduit la clause générale de compétence en janvier – ce n’est pas vieux ; vous étiez là à l’époque – pour la supprimer en avril n’est pas crédible ! (M. Alain Fouché opine.) Car, je l’ai compris, vous assumez le travail de votre prédécesseur. D’ailleurs, vous participiez à son gouvernement. Vous voulez créer des intercommunalités fondées sur des bassins de vie. Comment vous croire quand vous avez découpé les nouveaux cantons de nombre de départements en faisant fi de ce critère (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) pour privilégier les intérêts des sections locales de votre parti ? Pourquoi nous avoir imposé de force le binôme cantonal quand vous nous annoncez la disparition des conseils départementaux ? (Mêmes mouvements.) Vous allez maintenant expliquer aux Français qu’il faut élire l’an prochain des conseillers départementaux qui éteindront la lumière de leur collectivité. Ce n’est pas très motivant, ni pour les électeurs, ni pour les élus ! Et l’on entendra une fois de plus un énième discours sur l’absentéisme ; vous en serez responsable !
Vous attendez que les conseils régionaux vous proposent de fusionner. Cela fait dix ans que les vingt et un présidents de conseil régional de votre parti n’ont pas avancé d’un pouce à cet égard !
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Un pouce de gauche !
Vous avez beau jeu de reprendre aujourd’hui le rapport de nos appréciés collègues Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger. Mais vous prétendez faire confiance aux élus locaux tout en leur interdisant de participer à l’élaboration de la loi, et notamment de siéger dans leur assemblée, le Sénat. Franchement, on a du mal à suivre la logique !
Derrière l’effet d’annonce, il est à craindre que le soufflé ne retombe. Nous connaissons votre énergie, votre pugnacité. C’est finalement l’espoir des Français. Mais ils ne seront pas longtemps disposés à se satisfaire d’allers-retours et d’engagements qui ne vous engagent pas.
J’aimerais évoquer le monde rural, dont vous n’avez rien dit dans votre déclaration. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Nous vous demandons d’organiser une « conférence de la ruralité contemporaine » qui nous permette de dépasser la césure entre monde urbain et monde rural, de sortir des clichés et de définir les axes de réussite. Le reste de votre plan de bataille est marqué par le flou et le non-dit. En matière de justice, qu’en est-il de la réforme pénale préparée depuis des mois par Mme Taubira ? Votre opposition à la ligne de Mme la garde des sceaux est bien connue. Or vous êtes désormais celui qui tranche.
Cette réforme est-elle enterrée, comme vous l’avez manifestement souhaité, ou simplement reportée ? De même, qu’en sera-t-il pour la réforme constitutionnelle du parquet ? Pourquoi n’avons-nous aucune réponse sur le sujet ?
Il en est de même sur l’écologie. Depuis le début du quinquennat, nous avons eu quatre ministres différents en deux ans, 20 % de coupes budgétaires et aucun acte notable malgré deux conférences gouvernementales ! Comment pouvez-vous parler de transition énergétique ?
Je pourrais également évoquer l’Europe, mais je préfère m’en tenir là… Le message adressé lors des élections municipales a été clair. Dans leur très grande majorité, nos concitoyens ont dit : « Stop ! Changeons de politique ! » À vous maintenant de joindre les actes à vos engagements. Je fais le vœu sincère que vous y parveniez. Toutefois, je regrette moi aussi que nous ne puissions pas voter sur votre déclaration. Certes, c’est votre droit d’en décider ainsi ; ce sont les institutions qui veulent cela. Mais je vous le dis avec tout le respect lié à votre fonction, monsieur le Premier ministre, devant d’aussi faibles garanties, nous n’aurions malheureusement pas voté la confiance. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)