Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
François Zocchetto 08/12/2011

«Proposition de loi constitutionnelle, visant à accorder le droit de vote et d՚éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l՚Union européenne résidant en France»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, suppression des allégements Fillon, travail du dimanche, abrogation du conseiller territorial, réécriture intégrale de la réforme de l’intercommunalité et maintenant, en toute logique, instauration du droit de vote et d’éligibilité pour les étrangers... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Inutile d’aller beaucoup plus loin pour comprendre le caractère à la fois idéologique, mais surtout manipulateur de la présente proposition de loi constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Madame la rapporteure, il n’est pas question de mettre en cause votre sincérité, ni vos convictions. Elles sont réelles, et nous les respectons. Mais personne n’est dupe dans cet hémicycle ! Chacun comprend parfaitement les raisons pour lesquelles la majorité sénatoriale a décidé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de ce jeudi 8 décembre. Je le dis clairement, votre démarche est avant tout motivée par une logique politicienne. Nous entrons tout juste dans une période de campagne électorale et ce n’est pas un hasard si vous avez décidé d’utiliser le Sénat pour relancer l’un de vos vieux combats idéologiques. C’est même un vieux serpent de mer ! Chacun se souvient de la promesse parfaitement explicite de François Mitterrand, alors candidat à l’élection présidentielle, promesse qui n’a jamais été tenue alors qu’elle pouvait l’être. Il faut dire que le tollé suscité par l’annonce d’un texte en 1983 obligea le gouvernement de l’époque à y renoncer. Comme vous avez cité tout à l’heure plusieurs personnes, il convenait de ne pas oublier François Mitterrand ! Je tiens à ce que ma position soit parfaitement claire. Je suis hostile à cette proposition de loi constitutionnelle tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, je viens de le dire, l’inscription de ce texte à notre ordre du jour n’est pas anodine. Elle participe d’une logique d’ensemble consistant à utiliser le Sénat – vous avez le droit de le faire, mais nous avons le droit de le dénoncer ! – pour poser les jalons de la campagne présidentielle du candidat du parti socialiste. Mais le sujet dont nous débattons aujourd’hui va bien au-delà. Il a vocation à raviver – c’est ce qui m’inquiète – la flamme de l’extrémisme, que nous réprouvons, en évoquant un thème de prédilection de certains partis que vous prétendez combattre. Chers collègues socialistes, communistes et écologistes, je me demande parfois si vous n’êtes pas satisfaits de voir aujourd’hui le spectacle de la manifestation du Front national devant les grilles du Sénat : si c’est le cas, dites-le ! (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.) Notre groupe regrette profondément une telle initiative. Dans le contexte de grave crise que nous connaissons, cette démarche a pour seul effet de dresser les Français les uns contre les autres, alors que notre responsabilité d’acteurs de la vie publique devrait nous inciter à les rassembler plutôt qu’à les diviser. Certains ont affirmé que le Président de la République et le Gouvernement et le chef de l’État auraient décidé d’utiliser cette thématique pour bien marquer un clivage politique. Mais qui est à l’origine du débat d’aujourd’hui ? Nicolas Sarkozy ? Tel ou tel membre du Gouvernement ? Non ! C’est bien le groupe socialiste-EELV du Sénat ! Il s’agit donc bien d’une initiative politicienne de la gauche ! On est en droit de s’interroger : les socialistes espèrent-t-ils récupérer ainsi des bataillons d’électeurs qu’ils pensent acquis à leur cause lors des prochaines élections municipales grâce à l’adoption d’une telle loi constitutionnelle ? Sur le fond, la modification introduite par cette proposition de loi constitutionnelle entre fondamentalement en contradiction avec notre conception de la citoyenneté et de la nationalité. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Pour moi, et c’est ce qui nous sépare, le droit de vote et d’éligibilité reste un attribut indissociable de la nationalité. Un étranger résidant depuis un certain temps sur notre territoire a un moyen de s’intégrer pleinement à la communauté nationale : il lui suffit de demander la nationalité française. Comme cela a déjà été souligné, le changement qui nous est proposé conduirait à un droit de vote, mais surtout d’éligibilité à deux vitesses : on pourrait être élu conseiller municipal, mais pas maire ou maire-adjoint. On pourrait être président d’une communauté de communes ou d’agglomération, mais pas conseiller général ou conseiller régional. Nous sommes hostiles à ce type de découpage, qu’il s’agisse du droit de vote ou d’éligibilité. Cela conduirait à créer, et Bruno Retailleau l’a dit tout à l’heure, deux catégories de citoyens. Cette interprétation n’est pas nouvelle ; j’espère que vous nous en donnerez acte. Le groupe centriste avait déjà défendu dans cet hémicycle une telle conception de la nationalité et de la citoyenneté voilà quelques mois quand il avait été question de combattre l’extension de la déchéance de nationalité. Mais allons au bout de la logique proposée par la majorité sénatoriale. Pourquoi se limiter aux seules élections municipales ? Après tout, la vie locale, c’est aussi les politiques menées par les départements et les régions. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Parce que l’on se heurte, et vous le savez bien, à un problème de fond. Qu’est-ce qui serait alors du ressort du droit de vote accordé aux nationaux ? L’élection des parlementaires et du Président de la République ! Ce n’est, certes, pas rien, mais comment dissocier à ce point l’exercice de la démocratie ? Je le répète, il n’est pas possible de saucissonner la citoyenneté et ses attributs. Cela fait partie des fondamentaux de notre République. La souveraineté est la même, qu’elle s’exerce à l’occasion des élections municipales ou des autres élections prévues par notre Constitution. Nous, centristes, sommes profondément attachés à la décentralisation, dont l’échelon de base est la commune. Pour nous, les élections municipales ne sont pas des élections moins importantes que les autres. Pourtant, c’est ce que vous avez fait pour les Européens ! Le texte qui nous est ici proposé ne pourrait pas conduire à l’élection de maires étrangers, comme certains l’ont peut-être maladroitement laissé entendre... Mais serait-il conforme à la logique de nos institutions qu’un conseil municipal soit composé majoritairement de personnes de nationalité étrangère ? Dites-moi donc ce qui est prévu pour les communautés de communes et d’agglomération ! Quoi de plus naturel que de vouloir participer pleinement à la vie de la cité par le biais des élections municipales lorsque que l’on réside dans un pays depuis des années, voire des dizaines d’années ? Sur ce point, nous sommes tous d’accord. Mais cette participation est possible, mes chers collègues, et il n’est pas nécessaire de modifier notre Constitution pour l’autoriser ! Cela s’appelle la naturalisation. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Peut-être y aurait-il des améliorations ou des simplifications à apporter aux procédures de naturalisation telles qu’elles existent aujourd’hui. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Une réflexion sur ce sujet serait sans doute opportune. Nous serions les premiers à participer activement à un débat portant sur ces questions. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.) Nous saluons d’ailleurs les innovations récemment introduites lors des cérémonies de remise des décrets de naturalisation. Malheureusement, ce n’est pas un débat sur l’accession à la nationalité que vous nous proposez aujourd’hui. Pour moi, l’accès à la nationalité pour ceux qui remplissent les conditions fixées par la loi est la seule vraie réponse. Notre pays, M. le Premier ministre l’a très bien dit tout à l’heure, est parfaitement prêt à accueillir de nouveaux nationaux. Chaque jour, des étrangers demandent à devenir français. Nous avons fait le choix d’un accès à la nationalité large et ouvert. C’est l’une des richesses de notre pays et une tradition presque bicentenaire. Ces nouveaux Français peuvent participer pleinement à la vie politique de notre pays. Et tant mieux ! Ils peuvent voter et être élus non seulement conseillers municipaux, mais aussi conseillers généraux, conseillers régionaux, députés ou sénateurs et – pourquoi pas ? – se présenter à l’élection présidentielle ! Dans mon esprit, les choses sont donc très claires. Soit on décide de jouir de tous les droits et devoirs attachés à la nationalité, auquel cas il convient de se tourner vers la naturalisation ; soit on n’est pas prêt à franchir ce pas, ce qui est parfaitement respectable, et on ne bénéficie pas du droit de vote dans notre pays, ni pour les élections municipales ni pour les autres scrutins. Je le rappelle tout de même, au-delà du droit de vote, il existe bien d’autres moyens pour les étrangers qui le désirent de participer activement à la vie locale de notre pays, en s’investissant notamment dans le secteur social, économique ou associatif. Certains font référence au droit de vote et d’éligibilité des ressortissants européens. Depuis l’introduction de l’article 88-3 dans la Constitution, notre loi fondamentale prévoit la possibilité d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux citoyens de l’Union européenne, mais sous réserve de réciprocité, ce qui n’est pas anodin. Cette faculté a été instaurée par la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 et s’inscrit dans un projet bien plus large de citoyenneté européenne. Ainsi, le traité de Maastricht a introduit, au sein du traité de Rome, une nouvelle partie relative à la « citoyenneté de l’Union ». Il a donc instauré, au niveau européen, une nouvelle citoyenneté supranationale conférant, dans l’État membre de résidence, des droits de vote et d’éligibilité pour les élections municipales. On voit bien dès lors toute la spécificité des dispositions issues de l’article 88-3 de la Constitution. Cela me conduit à une conclusion parfaitement opposée à celle de Mme la rapporteure, Esther Benbassa, qui écrit dans son rapport que « la différence de traitement qui existe aujourd’hui entre les étrangers européens et les autres étrangers n’est plus compréhensible ». Pourquoi ne serait-elle plus « compréhensible » ? À mon sens, au contraire, nos concitoyens comprennent parfaitement que l’Europe constitue une communauté de territoire, une histoire, un destin commun. Ils savent également que nous ne partageons avec les étrangers non communautaires ni le même passeport commun ni la même souveraineté. Nous avons beaucoup plus de proximité avec les Européens qu’avec les habitants des autres continents. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.) Permettez-moi de rappeler ici ce que déclarait très justement notre collègue Philippe Bas lors de nos passionnants débats au sein de la commission des lois : « L’Union européenne, ce n’est plus tout à fait l’étranger. » En outre, si le système proposé par le texte se rapproche de celui proposé à l’article 88-3 de la Constitution, il s’en écarte sur un point fondamental : la réciprocité. En effet, mes chers collègues, avec votre proposition de loi constitutionnelle, un étranger pourrait voter en France aux municipales, mais rien ne garantirait qu’un Français vivant dans le pays d’origine de cet étranger pourrait en faire autant. N’y a-t-il pas là une incohérence ? Voire une injustice ? C’est en tout cas ce que penseraient la plupart de nos concitoyens. Avec tous les sénateurs de mon groupe, je réaffirme que ce débat a lieu aujourd’hui dans un climat parfaitement inadapté. On ne modifie pas une règle fondamentale de notre démocratie, de notre République, en quelques heures de débat, et à quelques mois seulement de l’élection présidentielle. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Par ailleurs, l’objection selon laquelle il est peu convenable d’exhumer des textes que la représentation nationale ne reconnaît plus comme siens, même s’il n’existe pas de délai de péremption en la matière, a, me semble-t-il, de la valeur. Les constitutionnalistes devront sans doute se pencher sur le sujet ! En conclusion, la quasi-totalité des membres du groupe de l’Union centriste et républicaine voteront contre cette proposition de loi constitutionnelle. Aucun d’entre eux ne votera pour. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)