Les interventions en séance

Droit et réglementations
Yves Détraigne 08/12/2010

«Projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées»

M. Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après l’excellent exposé de nos deux rapporteurs, je ne présenterai que quelques observations qui concerneront plus particulièrement les dispositions contenues dans le projet de loi.
Les textes qui nous sont soumis aujourd’hui entendent répondre à trois objectifs : renforcer la sécurité juridique, simplifier les procédures et moderniser l’exercice et les pratiques des professionnels du droit.
Ces dispositions sont inspirées notamment du rapport Darrois, qui comporte plusieurs propositions emblématiques : on peut citer la fusion des professions d’avocat et d’avoué, sur laquelle nous aurons d’ailleurs à nous prononcer dans quelques semaines, ainsi que celle des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle.
La proposition qui nous intéresse, en l’espèce, vise à renforcer la valeur de l’acte sous seing privé, lorsqu’il est contresigné par un avocat. Cette proposition avait été reprise, dans un premier temps, par une proposition de loi déposée par le député Étienne Blanc en novembre 2009. Elle constitue aujourd’hui l’article 1er du projet de loi qui nous est soumis.
Ce texte introduit donc dans notre droit un nouveau type d’acte hybride, l’acte contresigné par un avocat. Comme cela a été rappelé par le rapporteur, ce contreseing entraînera deux conséquences : l’avocat l’ayant contresigné sera présumé de manière irréfragable avoir examiné cet acte, s’il ne l’a pas rédigé lui-même, et avoir conseillé son client. En outre, il assumera pleinement la responsabilité qui en découle. L’avocat attestera, après vérification de l’identité et de la qualité à agir de son client, que ce dernier a signé l’acte en connaissance de cause, ce qui devrait l’empêcher de contester ultérieurement sa signature.
Il faut rappeler que la commission Darrois avait examiné la possibilité pour les avocats de dresser des actes authentiques, à l’instar des notaires. Mais son rapport souligne sans équivoque que cette éventualité a été « écartée en raison des caractéristiques essentielles de l’acte authentique ».
Ce point est très important.
L’objectif était d’offrir aux justiciables un nouvel outil juridique plus sûr et, accessoirement, de permettre aux avocats français d’être sur un pied d’égalité avec leurs homologues britanniques, qui signent déjà des conventions entre sociétés. Comme l’a rappelé justement le président Hyest en commission, offrir cette faculté aux avocats français leur évitera de perdre ce marché du droit.
Dès l’annonce du présent projet de loi, une profession du droit a fait connaître ses inquiétudes : vous l’aurez compris, il s’agit des notaires. En effet, l’écueil majeur à éviter était de remettre en cause, ou du moins de fragiliser, l’acte authentique, qui occupe la première place dans la hiérarchie des preuves établie par le code civil. Notre rapporteur a été particulièrement vigilant sur ce point.
Je tiens par ailleurs à saluer les modifications introduites par lui à l’article 4 concernant la publicité foncière. Ses amendements de précision éclairent le texte et mettent fin à des incertitudes rédactionnelles.
J’en viens à une réflexion concernant l’article 1er A du projet de loi.
Nos collègues députés ont introduit des dispositions qui permettent aux avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Bordeaux et Libourne de postuler auprès de chacune de ces juridictions. Notre commission a souhaité instaurer la même dérogation pour les tribunaux de grande instance de Nîmes et d’Alès.
On peut s’interroger sur la pertinence de cette forme de multipostulation « à la carte ». Demain, on trouvera sans doute d’autres cas posant problème, surtout avec la généralisation de la réforme de la carte judiciaire et on continuera à allonger cette liste des exceptions au principe de la postulation : ce mécanisme n’est pas tout à fait satisfaisant.
En réalité, je pense que nous ne pourrons pas faire l’économie d’un débat de fond sur ce thème. La suppression de la postulation des avocats à l’horizon 2014 est d’ailleurs une des propositions du rapport Darrois.
Je pense que, à terme, la postulation disparaîtra, mais il faudra organiser ce processus. Et il doit être organisé globalement. La solution consistant à corriger certaines incohérences locales par la loi, comme on nous propose de le faire, ne me semble pas satisfaisante.
Par ailleurs, dans le cas d’une multipostulation exceptionnelle, comme celle qui est instaurée par l’article 1er A, il me semble que le principe de départ doit être un accord entre les barreaux concernés.
Or, dans le cas de Bordeaux et Libourne, cette concertation aurait sans doute pu être approfondie.
Au-delà des dispositions de cet article 1er A, je ne doute pas que nous aurons bientôt l’occasion de débattre à nouveau des évolutions possibles en matière de postulation.
Après ces quelques remarques sur le texte proprement dit, je tiens à vous faire part d’une réflexion plus large sur l’organisation des professions du droit telle qu’elle se dessine ces dernières années.
Ce que l’on peut observer, c’est un champ d’activité en constante augmentation pour les avocats. Il ne s’agit nullement d’une appréciation sur l’opportunité de cette tendance, c’est un simple constat. Cela se traduit aussi bien à travers des actes qu’ils sont amenés à réaliser – je pense à l’acte d’avocat que je viens d’évoquer – que dans leurs attributions juridictionnelles. La suppression des avoués illustre ce dernier point.
À travers un certain nombre de réformes récentes, y compris le présent texte, ne sommes-nous pas en train de tenter d’alimenter une profession dont on ne parvient pas, en réalité, à maîtriser la démographie ?
Le nombre très important et toujours croissant d’avocats dans notre pays provoque, comme cela a déjà été dit, notamment par notre collègue Jacques Mézard, un certain appauvrissement de la profession, ou au moins d’une partie de celle-ci. Cette question a déjà été évoquée en commission, par notre collègue Patrice Gélard, et je tenais à mon tour à attirer votre attention, chers collègues, sur ce problème récurrent. Je suis sûr que nous serons amenés à en reparler dans les années qui viennent.
Je ne sais pas si le numerus clausus, invoqué par certains pour tenter de résoudre ce problème – il me semble que le président de la commission des lois a déjà évoqué cette éventualité – est la bonne solution, mais une chose est sûre : il nous faut continuer à réfléchir sur cette question.
Je conclurai en saluant la qualité des travaux réalisés par nos deux rapporteurs, Laurent Béteille et François Zocchetto. Ils nous proposent aujourd’hui deux textes qui, malgré les quelques remarques que je viens de formuler, apparaissent équilibrés et permettront, d’une part, de moderniser les professions du droit et, d’autre part, je n’en doute pas, d’améliorer l’exécution des décisions de justice. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)