Les interventions en séance

Fiscalité
Michel Mercier 08/10/2013

«Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière –Procureur de la République financier »

M. Michel Mercier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà parvenus à l’examen en nouvelle lecture, presque à la fin de la procédure législative de ces deux textes destinés à mieux armer l’État dans sa lutte contre la fraude fiscale. Il y a au moins un point sur lequel nous pouvons tous être d’accord : il faut renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Nous comprenons donc qu’une majorité politique cherche à améliorer les outils dont elle dispose. Encore faut-il que les deux présents textes le permettent vraiment. Je n’y crois pas du tout. Au contraire, à mon sens, ils émoussent très fortement le dispositif. Nous sommes d’accord sur certains points. Le quantum des peines a été élevé pour inciter les juges, qui sont indépendants, je le rappelle, à alourdir les condamnations qu’ils vont prononcer. C’est une forme très subtile de peine plancher, monsieur le rapporteur. (Sourires sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) En élevant le quantum, on espère que les juges rehausseront un peu le plancher de la peine. Je vous observe depuis longtemps, monsieur le rapporteur ; je savais bien que vous étiez, certes secrètement, très favorable aux peines planchers. Vous venez de le démontrer encore une fois ! (M. le rapporteur s’étonne.) Au-delà, comme vous l’avez dit, il importe de donner du sens. Je suis d’accord avec vous. À ce titre, notons la grande victoire de M. le ministre du budget, qui a obtenu que l’on ne change rien. Il reste, avec l’administration fiscale, le maître des poursuites dans ce domaine. (M. le ministre marque sa désapprobation.)Je ne vous ai pas dit que nous étions contre cette disposition, monsieur le ministre : nous l’avons votée ! Ce n’est pas parce que l’on vote une disposition que l’on doit fermer les yeux ! Personnellement, j’aime mieux voter les yeux ouverts ! M. le ministre du budget a ainsi gagné, ce dont je me réjouis. J’espère seulement qu’il luttera activement contre la fraude fiscale, puisque l’essentiel reposera sur lui. J’en viens au point essentiel, celui qui nous oppose, l’institution d’un nouveau magistrat : le procureur de la République financier. Ce qui m’ennuie, c’est que cela introduit plus de confusion que de clarté. Au cas où les sénateurs présents auraient oublié les textes en vigueur, ce dont je doute, je rappelle le critère de compétence pour les JIRS en matière financière, qui est très simple. Ce critère est celui de la « grande complexité », en raison, notamment, du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes, ou le ressort géographique sur lequel les affaires s’étendent. Le projet de loi définit, en son article 13, la compétence de la JIRS par une référence à la grande complexité. Le procureur de la République financier, le juge d’instruction et le tribunal correctionnel de Paris sont compétents dans « les affaires qui sont ou apparaissent d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent ». Ce sont les mêmes termes ! N’y a-t-il pas là un risque de confusion des compétences ? La difficulté n’a pas échappé à notre rapporteur, qui a cherché à éviter cet écueil. Pour sortir d’une telle confusion, il est prévu dans le texte, notamment dans l’étude d’impact, qu’il incombera au garde des sceaux, par voie d’instruction non pas individuelle, mais générale, de fixer les règles selon lesquelles la compétence du procureur financier jouera. Notre rapporteur a bien compris qu’il était un peu bancal de confier au garde des sceaux le soin de désigner par voie de circulaire qui, du procureur de la JIRS ou du procureur financier, serait compétent. Voilà pourquoi il a voulu que le système devienne un peu juridictionnel et préféré confier la compétence au procureur général de Paris. Qu’il me soit permis de mettre l’accent sur un point tout simple : la procédure pénale est une compétence du législateur, comme l’a rappelé à de nombreuses reprises le Conseil constitutionnel. Par conséquent, ce n’est ni à la garde des sceaux, par des textes qui ne sont même pas de niveau réglementaire, ni au procureur général de Paris, de décider qui est compétent. C’est au législateur. Or le texte ne nous permet pas, bien au contraire, de le faire. Cela pose un vrai problème de légalité ! Un autre point est relativement complexe et confus à mes yeux. Je n’arrive pas très bien à comprendre l’articulation entre la compétence du procureur de la République financier et celles des autres procureurs de la République. Je le rappelle, l’action civile appartient non au procureur général, mais au procureur de la République. Ce dernier peut recevoir, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, des plaintes et des dénonciations.  L’article 41 dispose, lui, que le procureur dirige la police judiciaire dans le ressort de son tribunal. Or je ne suis pas sûr que le procureur de la République financier puisse recevoir les plaintes. C’est donc un procureur de deuxième rang. Par exemple, les services de TRACFIN ne pourront travailler qu’avec le procureur territorialement compétent et ils n’iront voir qu’au deuxième rang le procureur de la République financier, si tant est qu’on ait pu régler le problème de la compétence auparavant. Toutes ces questions jettent le doute sur l’efficacité du procureur de la République financier. Oui, nous sommes favorables une plus grande efficacité de l’action contre la fraude fiscale, et nous serions prêts à soutenir le Gouvernement s’il allait dans ce sens au lieu de chercher à créer un tel écran de fumée ! Mme la garde des sceaux n’est pas revenue au banc du Gouvernement. J’aurais voulu lui signaler que le Sénat a voté la réforme constitutionnelle prévoyant d’obliger l’exécutif à suivre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Je ne comprends pas que l’exécutif se prive d’une victoire qu’il a obtenue. N’aime-t-il donc que les échecs au Parlement ? Les deux chambres ont voté à une forte majorité la révision constitutionnelle. Certes, le Sénat a rejeté le « tripatouillage » du Conseil supérieur de la magistrature. Mais nous avons soutenu tout le reste. Et on ne nous fait pas voter ! Je ne le comprends pas. Le Président de la République remporterait pourtant une belle victoire, ce qui ne fait jamais de mal quand on est chef de l’exécutif ! Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le procureur de la République financier nous semble créer une confusion. Il risque même de nuire à l’efficacité de l’action que le Gouvernement entend mener. Nous ne voterons donc pas ce dispositif. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)