Les interventions en séance

Budget
08/07/2010

«Déclaration du Gouvernement sur les Orientations des finances publiques pour 2011»

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques mois, alors que nous nous employions à sortir notre voisin grec de la crise dans laquelle il était plongé, j’avais formé le vœu que nous disions enfin aux Français où en était notre pays : que nous leur disions qu’il n’était plus possible de flatter indéfiniment une addiction croissante à la dépense, tout en organisant les délocalisations d’activités et d’emplois par un système de prélèvements obligatoires aveugle à l’impératif de compétitivité ; que nous leur disions, enfin, qu’un endettement croissant n’était rien de moins qu’une abdication progressive de notre souveraineté nationale.
J’ai bien entendu notre collègue André Dulait plaider la cause de la défense nationale, mais je ne suis pas sûr qu’un pays qui s’équipe en empruntant réponde aux exigences de l’indépendance nationale.
Il me semble que nous avons entamé cet après-midi l’exercice de lucidité que j’appelais de mes vœux. Je donne acte au Gouvernement d’avoir pris la mesure des efforts à accomplir pour redresser nos finances publiques et, surtout, je lui donne acte de ne plus dissimuler que les ajustements seront douloureux. Nous avons entendu, ces dernières semaines, d’interminables gloses sur l’opportunité d’employer ou non le terme de « rigueur ». Ces exercices rhétoriques apparaissent bien dérisoires au regard des enjeux auxquels nous devons faire face.
Le diagnostic est donc posé, et il fait l’objet d’un consensus. Mais qu’en est-il du remède ? Quels doivent être sa nature, son dosage, et à quel rythme faut-il l’administrer ? Le Gouvernement a présenté à la Commission européenne un programme de stabilité ambitieux, assis sur une prévision de croissance tout aussi ambitieuse, convenons-en.
Dans son intervention, M. le rapporteur général de la commission des finances a approuvé vos objectifs, madame la ministre, monsieur le ministre, mais il vous a aussi fait part de nos interrogations et, pour tout dire, de nos doutes sur les hypothèses qui sous-tendent la trajectoire de retour à l’équilibre que vous nous présentez.
De nouveaux objectifs et de nouvelles normes nous sont proposés : la dépense fiscale sera « rabotée », le « zéro valeur » remplacera le « zéro volume », les dépenses d’intervention et de fonctionnement de l’État baisseront de 10 %, la révision générale des politiques publiques entrera dans une seconde phase, les concours aux collectivités territoriales seront gelés et la dépense sociale contenue... Tout cela est bel et bon, mais qu’en est-il, aujourd’hui, des mesures concrètes dans lesquelles vont s’incarner ces principes ?
Commençons par les dépenses. Vous l’avez vous-même reconnu, les objectifs d’économies que vous vous assignez seront hors de portée si l’effort n’est pas généralisé. (Mme Raymonde Le Texier opine.) Dans ces conditions, pourrons-nous nous abstenir de porter le fer dans certains domaines sensibles, dans des interventions à caractère éducatif, sanitaire ou social, en matière de logement ou d’emploi ? Pourrons-nous éviter de revoir certaines lois de programmation, y compris la loi de programmation militaire ?
De même, les dépenses de fonctionnement ne baisseront pas dans les proportions attendues si les opérateurs, ces 655 entités qui sont autant de points de fuite potentiels de la dépense publique, ne sont pas soumis à la même contrainte que l’État. Elles ne baisseront pas davantage si les gestionnaires ne sont pas mis sous tension.
À cet égard, Philippe Marini a invité le Gouvernement à moduler l’effort en fonction des performances réalisées par les responsables de programme. Voilà qui donnerait un peu de contenu aux objectifs et indicateurs de performance promus par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, et qu’on s’est, pour l’heure, contenté d’utiliser formellement et, pour tout dire, stérilement. Je voudrais que les décisions qui ont été prises pour tenter d’infléchir la politique du Gouvernement sur la base de ces indicateurs soient identifiées.
Plus précisément et en dehors des économies de « constatation » liées à la fin du plan de relance ou aux suites de la réforme de la taxe professionnelle – afin d’évaluer l’effort réel pour 2011, il faut soustraire les 15 milliards d’euros dépensés en 2010 qu’on ne dépensera pas en 2011 –, quels dispositifs vont passer sous la toise, quand et pour quels montants ? À quel moment le Parlement disposera-t-il d’un inventaire précis et robuste des mesures arbitrées, afin de mesurer, ligne par ligne, l’ampleur des économies programmées ?
Ces interrogations ne sont pas que de méthode.
Elles sont nourries par l’expérience d’un président de commission des finances qui a passé de longues heures à débattre, année après année, des crédits des missions inscrits au projet de loi de finances. Elles sont nourries par le souvenir de querelles homériques, dès qu’il s’agissait d’arracher le moindre euro à un ministre qui, une fois qu’il avait gagné ses arbitrages à Matignon, considérait ses crédits comme sanctuarisés.
Plus récemment, la commission des finances a entendu sept ministres du Gouvernement. Naturellement, nous avons été intéressés par l’usage qu’ils avaient fait des crédits mis à disposition pour 2009. Mais, à la question de savoir comment ils mettraient en œuvre les mesures vigoureuses dont les contours viennent de nous être présentés, ils ont apporté des réponses pour le moins évasives.
Afin d’aider le Gouvernement à tenir le cap qui vient d’être fixé, nous aurons donc besoin de le traduire très rapidement en espèces sonnantes et trébuchantes. D’ailleurs, monsieur le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, j’espère que vous mettrez tout votre talent de pédagogue au service de l’arbitrage budgétaire, ce qui ne sera pas simple... En effet, pour les ministres auditionnés, toutes les dépenses fiscales et tous les crédits dont ils disposaient étaient essentiels et donc sanctuarisés.
Le Gouvernement prévoit également de contenir fortement la dépense locale. L’objectif est louable autant qu’ambitieux, dans la mesure où l’État n’en maîtrise pas tous les déterminants, tant s’en faut.
Un bon début consisterait à enrayer la frénésie normative qui accable chaque jour les exécutifs locaux d’obligations nouvelles, qui sont autant de dépenses supplémentaires. De fait, à quoi sert-il de déployer une révision générale des politiques publiques pour l’État si, parallèlement, se reconstitue une bureaucratie territoriale chargée de mettre en œuvre une réglementation tatillonne au point de prescrire le contenu des assiettes dans les cantines scolaires ?
Je demande donc l’armistice des normes, étant précisé que certaines normes européennes que les gouvernements français ont, à un moment ou à un autre, acceptées sont encore dans les tuyaux et devront bientôt être appliquées.
J’en viens à présent aux recettes et, d’abord, aux méthodes tantôt artisanales, tantôt fleuries que le Gouvernement nous propose pour contenir la prolifération des dépenses fiscales.
La première est celle du « rabot », c’est-à-dire de l’écrêtement d’un grand nombre de crédits et autres réductions d’impôt. La systématicité du procédé est séduisante et a le mérite d’envoyer un message clair aux contribuables.
La seconde méthode, celle du « bouquet » de mesures ciblées, complète heureusement le passage du rabot. Ne doutez pas, madame la ministre, monsieur le ministre, de la détermination de la commission des finances à soutenir le Gouvernement et à faire preuve de créativité dans cet exercice délicat !
Pour autant, nous ne pourrons pas nous contenter d’élaguer la dépense fiscale afférente à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés, sauf à attendre 2012, l’année où les dispositions relatives aux niches fiscales sur ces deux impôts commenceront à produire leurs effets, pour engranger des économies.
Dans ces conditions, la fiscalité indirecte devra, elle aussi, permettre de dégager des recettes supplémentaires dès la prochaine discussion budgétaire.
Je pense en particulier aux taux réduits de TVA. Le rapporteur général M. Marini a évoqué une évolution du taux réduit de 5,5 % à 8 %. Pour ma part, je propose une autre hypothèse, à savoir l’introduction, pour des activités de proximité telles que la restauration et la rénovation de logements, d’un taux intermédiaire fixé entre 10 % et 12 %. De telles dispositions auraient l’avantage d’accroître les ressources pour 2011 de 4 ou 5 milliards d’euros.
Au-delà de la réduction des dépenses fiscales, je maintiens qu’une refonte globale de notre système de prélèvements obligatoires demeure nécessaire, que l’instauration d’une TVA « sociale » constitue une mesure urgente de compétitivité et que la « trilogie » fondée sur la suppression du bouclier fiscal, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et l’instauration d’une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu irait dans le sens de l’équité et de l’efficacité. Il faudrait aussi revoir le barème d’imposition des plus-values mobilières et immobilières.
Devant les efforts que nos compatriotes vont devoir accomplir, nous devons avoir à l’esprit l’exigence fondamentale de justice. Dans ces conditions, il serait bien imprudent de ne pas abroger rapidement le bouclier fiscal.
Effectivement ! La tétralogie que je viens d’évoquer doit être traitée. Nous déposerons en ce sens un amendement dans la prochaine loi de finances.
Nous avons un cap : un déficit public ramené à 3 % du PIB en 2013. Toutefois, n’oublions pas qu’il ne s’agit que d’une étape, notre objectif étant l’équilibre, le « zéro déficit ». Nous avons des outils, que sont la maîtrise des dépenses et la préservation des recettes. Il nous faut enfin des règles, qui garantissent que les objectifs que nous nous fixons aujourd’hui ne s’évanouiront pas au gré des événements.
Reconnaissons-le, nous avons eu une fâcheuse tendance, dans le passé, à exciper de circonstances exceptionnelles ou de l’absolue nécessité de nouvelles priorités qualifiées de nationales pour nous soustraire à des règles, alors même que l’encre qui avait servi à les écrire était à peine sèche... Il faut en finir avec une forme d’inconstance ou de « mémoire courte », qui porte gravement préjudice à la crédibilité de notre pays sur la scène internationale.
Nous devons saluer, à cet égard, les conclusions de la commission Camdessus. Ces conclusions, sur lesquelles je ne reviendrai pas dans le détail, vont dans le sens d’une plus grande cohérence du pilotage de nos finances publiques et d’une normativité renforcée des règles que nous nous donnons.
Qu’il me soit permis de saluer, en particulier, l’initiative tendant à consacrer le monopole des lois financières en matière de prélèvements obligatoires. Ce principe est de bon sens et sa mise en œuvre a été opportunément anticipée par une récente circulaire du Premier ministre. Il devrait mettre un terme à une forme de schizophrénie, imputable tant au Parlement qu’au Gouvernement et consistant à défaire consciencieusement, dès le mois de janvier, les équilibres votés dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale quelques semaines auparavant.
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons probablement devant nous la discussion budgétaire la plus cruciale de la législature, et sans doute même de toutes les législatures de la Ve République. Soyez-en sûrs, la commission des finances y prendra, comme chaque année, toutes ses responsabilités. Elle ira plus loin encore qu’à son habitude, en formulant des propositions précises.
Le Gouvernement comme le Parlement ne doivent pas s’égarer dans des projets superfétatoires. C’est la fin de l’illusionnisme collectif, la grande cause est bien l’équilibre de nos finances publiques ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Denis Detcheverry applaudit également.)