Les interventions en séance

Affaires sociales
08/06/2011

«Projet de loi relatif à la bioéthique»

Mme Anne-Marie Payet

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les lois de bioéthique ne sont pas des textes ordinaires. Elles transcendent les clivages et nous parlent de ce que nous avons de plus précieux : l’humain. Nous voici très avancés dans la discussion de ce projet de loi, une discussion qui a soulevé de nombreux et très importants problèmes éthiques. Sur quelques sujets, le débat est parvenu à des solutions équilibrées. Ainsi, grâce à l’adoption d’un amendement de notre collègue Valérie Létard, le dispositif d’information de la parentèle a été amélioré pour y inclure les personnes ayant fait un don de gamètes. Par ailleurs, alors que nous n’étions pas favorables au transfert d’embryons post mortem, celui-ci est aujourd’hui écarté du texte. Un modus vivendi a également été trouvé pour ce qui concerne le double diagnostic préimplantatoire, désigné sous le terme de « bébé médicament ». Mes chers collègues, vous savez à quel point je suis opposée à cette technique. Mon sentiment profond est que nous aurions dû l’interdire purement et simplement. Cependant, l’adoption de mon amendement de repli, qui précise que le double diagnostic préimplantatoire ne peut être qu’un ultime recours, est déjà un moindre mal. Je regrette aussi que nous n’ayons pas, lors de la première lecture, levé l’anonymat du don de gamètes afin de garantir à chaque enfant le droit à connaître ses origines, car l’adoption conforme par l’Assemblée nationale de l’article correspondant a exclu la question de la seconde lecture. En revanche, restent en débat des questions fondamentales. La plus importante d’entre elles concerne la recherche sur l’embryon, le fragile embryon humain. La commission des affaires sociales a voté, ce matin, en faveur du régime d’interdiction avec dérogations. Cette position est en harmonie avec le choix de la France de respecter la vie et la dignité de l’embryon humain dès le commencement de son développement. L’article 16 du code civil dispose ainsi que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Pourtant, depuis 1994, le législateur ne s’est pas départi d’une conception utilitariste de l’embryon humain, qui conduit à distinguer entre les embryons qui répondent à un projet parental et ceux que n’accompagne pas un tel projet, vulgairement appelés « embryons surnuméraires », comme s’ils étaient « en trop » pour l’humanité. Les uns, destinés à voix le jour, sont considérés comme des êtres humains, alors que les autres vont devenir, demain plus encore qu’en 2004, des matériaux de recherche pour les scientifiques. Le critère de distinction entre ces deux catégories d’embryons est purement subjectif et tient au projet que leurs parents conçoivent pour eux. La grandeur de la civilisation ne consiste-t-elle pas à reconnaître la dignité inaliénable et intangible de chaque être humain, quel que soit le projet que d’autres ont formé pour lui ? La réponse à cette question ne fait pour moi aucun doute. Je soutiendrai donc l’amendement de M. Gaudin. Si l’on veut prendre les problèmes à leur source, il faut réduire le nombre d’embryons surnuméraires, n’effectuer aucune congélation et réimplanter immédiatement les embryons artificiellement fécondés. Cela me parait être la solution la plus sage. Je crois que nous pouvons encore améliorer d’autres aspects non négligeables du texte. C’est le cas en matière d’aide médicale à la procréation. Sur ce thème, le texte a déjà beaucoup progressé. Je ne peux que me réjouir de la suppression par l’Assemblée nationale de l’ouverture de l’AMP aux couples homosexuels, qui avait été introduite par manque de vigilance au Sénat. Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales a supprimé, d’une part, la limitation de la participation des établissements privés aux procédures d’AMP et, d’autre part, l’autoconservation. Mais nous pouvons et devons faire plus. L’assistance médicale à la procréation ne doit être réservée qu’à des couples stables et solides. C’est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à préciser que les couples candidats à l’assistance médicale à la procréation devront justifier d’une vie commune d’au moins deux ans. Cela me semble être un minimum et un gage éthique fondamental. Nous devons aussi améliorer le dispositif du diagnostic prénatal. La réécriture incessante du texte, depuis que le Sénat a choisi de supprimer la mention selon laquelle le DPN serait proposé aux femmes enceintes lorsque les conditions médicales le nécessitent, masque mal l’embarras du législateur, un embarras bien justifié puisque, de fait, c’est un eugénisme d’État que l’on instaure En effet, le texte, dans la mouture qui nous vient de l’Assemblée nationale, tend à inscrire dans la loi un élément de contrainte qui s’imposera aux médecins à une étape déterminante du dispositif. Je ne peux que me répéter : il est important d’avoir à l’esprit que 96 % des fœtus diagnostiqués porteurs de trisomie 21 donnent lieu à une interruption médicale de grossesse et que le prélèvement du liquide amniotique à travers l’abdomen provoque deux fausses-couches d’enfants « normaux » pour une trisomie dépistée. L’obligation pour les médecins d’organiser un dépistage prénatal induit une problématique d’eugénisme particulièrement aiguë. Ce constat s’impose aujourd’hui, après quinze ans de dépistage de la trisomie, en raison tant de la mise au point permanente de nouveaux tests que de la volonté de prévenir tout risque. La trisomie 21 est particulièrement visée par ce dépistage. On signifie ainsi aux futures mères et à toute la société qu’il serait insupportable d’assumer la maternité d’un enfant atteint de trisomie 21. Quel signal envoyons-nous alors aux familles qui ont fait le choix d’accueillir un enfant trisomique ? Cette évolution pourrait être la source d’une tragique stigmatisation de ces personnes. Je ne peux que vous renvoyer à l’article 16-4 du code civil, aux termes duquel « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ». C’est pourquoi je vous proposerai d’adopter une série d’amendements visant à rétablir un équilibre dans le dialogue médical entre la place du médecin et celle de la femme enceinte dont nous souhaitons renforcer la liberté, sans tout de même trop présumer de son autonomie. Reste la question des clauses de revoyure. Sur ce point également, nous soutenons pleinement la position du rapporteur, qui a rétabli la révision quinquennale et l’organisation obligatoire d’un débat public avant toute réforme d’envergure. Il ne me reste plus qu’à féliciter la commission des affaires sociales, sa présidente, Muguette Dini, et son rapporteur, Alain Milon, pour la qualité de leur travail et à vous remercier, mes chers collègues, de votre attention. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)