Les interventions en séance

Affaires sociales
08/06/2010

«Projet de loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale»

M. Nicolas About

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on aurait pu s’attendre à ce que ce projet de loi fasse consensus, tout simplement dans la mesure où il est le complément nécessaire d’un texte ayant substantiellement modernisé les règles de la représentativité syndicale. On l’a rappelé, la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, en supprimant la présomption irréfragable et en lui substituant, notamment, le critère de l’audience, a vraiment démocratisé le jeu. Cependant, comme nous l’ont très clairement exposé M. le ministre et M. le rapporteur, en l’absence d’une nouvelle intervention législative, cette réforme resterait largement cosmétique. Les entreprises de moins de onze salariés, et donc les 4 millions de travailleurs qu’elles représentent, pourraient s’en trouver exclues dans la mesure où des élections professionnelles ne sont pas obligatoirement organisées en leur sein. Cela n’est évidemment pas acceptable. Le projet de loi dont nous sommes saisis y remédie. En sus, il entend dynamiser le dialogue social dans les TPE. Ce texte porte donc deux réformes principales, sur lesquelles je me concentrerai : d’une part, il organise la mesure de l’audience dans les TPE et, d’autre part, il permet la création des commissions paritaires régionales. Ces deux questions ne paraissaient pas, de prime abord, devoir poser problème. Pourtant, je le répète, ce texte est loin d’être consensuel. Schématiquement, il fait l’objet d’une double critique : une critique politique et une critique syndicale. Schématiquement encore, le groupe de l’Union centriste ne souscrit pas à la critique politique, mais est sensible à la critique syndicale. La critique politique se fonde sur le fait que le texte organise la mesure de l’audience dans les TPE sans en garantir l’effectivité dans les instances de discussion et de négociation. En effet, le projet de loi ne prévoit d’organiser qu’une élection sur sigle. Chaque salarié voterait pour une étiquette syndicale, et non pour une liste de candidats. Dans ces conditions, il n’y a aucune raison que la composition des commissions paritaires régionales, consacrées par l’article 6, ni, surtout, celle des instances de négociation de branche et du dialogue national interprofessionnel comprennent autant de salariés des TPE que leur poids réel dans l’ensemble de la population des travailleurs l’exigerait. Les centrales syndicales pourront désigner qui bon leur semblera pour les représenter au sein de ces instances. En pratique, les salariés des TPE pourraient ne pas participer au dialogue social. Cette critique se justifie théoriquement, mais nous n’y souscrivons pas parce qu’elle témoigne d’une méfiance de la démocratie politique à l’égard de la démocratie sociale. Or, l’une et l’autre ne peuvent se renforcer qu’à partir d’un climat de confiance. Ce n’est pas notre rôle de tenir les partenaires sociaux par la main. Il appartient au législateur que nous sommes de faciliter les conditions du dialogue social, et non d’en dicter les modalités dans les moindres détails. C’est une position que j’ai souvent entendue sur l’ensemble des travées de notre assemblée. En l’occurrence, comment croire que les centrales syndicales fuiront leurs responsabilités au point de sous-représenter volontairement les salariés des TPE dans le dialogue social ? Nous, nous nous y refusons. En revanche, la critique syndicale est plus intéressante. Elle conduit une partie des membres du groupe de l’Union centriste à émettre de sérieuses réserves sur ce texte. Elle explique aussi les conditions d’intervention du législateur aujourd’hui. La loi du 20 août 2008 avait prévu qu’une loi ultérieure fixerait les règles de mesure de l’audience syndicale dans les TPE à l’issue d’une négociation interprofessionnelle. Or cette négociation, qui s’est tenue à l’automne 2009, n’a pas abouti. Le législateur vient maintenant pallier la carence des partenaires sociaux qui n’ont pu s’entendre. Quelle est la pomme de discorde ? Elle porte principalement sur les commissions paritaires régionales, que l’article 6 du projet de loi consacre. Inutile de nous cacher derrière notre petit doigt, cet article est très vivement combattu par deux organisations patronales, le MEDEF et la CGPME. Les querelles politiques d’influence entre organisations syndicales n’ont pas à être prises en compte dans cet hémicycle. En revanche, par-delà ces considérations, la question se pose de savoir ce qu’apporte l’article 6 au dialogue social. Certains membres du groupe de l’Union centriste craignent que la mise en place des commissions paritaires régionales ne s’accompagne de l’émergence de nouvelles contraintes sociales pour des TPE déjà pressurées par le carcan administrativo-fiscal. Cette crainte n’est sans doute pas vraiment fondée dans la mesure où les commissions paritaires régionales n’auront aucun pouvoir de négociation. De plus, la commission des affaires sociales a modifié le texte afin de préciser explicitement que « les commissions paritaires ne sont investies d’aucune mission de contrôle des entreprises » et que « leurs membres n’ont pas la faculté de pénétrer à l’intérieur d’une entreprise, sans l’accord de l’employeur ». Mais si ces commissions paritaires ont peu de chance de peser sur les entreprises de leur champ, à quoi serviront-elles ? À rien, répondent les membres de notre groupe les plus sceptiques. La loi du 20 août 2008 a donné une base légale à l’accord conclu le 12 décembre 2001 entre l’UPA et cinq syndicats de salariés pour créer une contribution de 0,15 % de la masse salariale destinée à développer le dialogue social dans l’artisanat. Or on peut ne voir, pensent les uns, dans la mise en place des commissions paritaires régionales qu’une justification à l’existence de cette contribution. Puisque la contribution existe, il faut bien, pensent les autres, qu’elle soit dépensée, quitte à faire vivre des coquilles vides : implacable logique budgétaire de l’absurde ! À titre personnel, je ne crois pas que les commissions paritaires régionales seront inutiles. Rien qu’en constatant que les TPE sont impliquées dans la grande majorité des affaires prud’homales, on peut supposer qu’il y a un problème de dialogue au sein des toutes petites structures. Si la machine est grippée, il faut y injecter de l’huile. C’est exactement ce qu’auront vocation à faire les commissions paritaires régionales : elles diffuseront l’information et leur expertise dans des structures qui, aujourd’hui, en sont privées, permettant ainsi de désamorcer très en amont les contentieux potentiels. Si je crois, a priori, à l’utilité des commissions paritaires régionales, je m’interroge, en revanche, sur celle de l’article 6 de ce texte. En effet, cet article ne fait qu’ouvrir une possibilité aux partenaires sociaux de créer de telles commissions régionales, ce qu’ils ont d’ailleurs déjà très largement commencé à faire. Tout ce qui n’est pas expressément interdit étant autorisé, le préciser dans une loi peut apparaître superflu. Dans ces conditions, faut-il que l’article 6 rende obligatoire, et non plus facultative, la création des commissions ? C’est ce que certains prétendent à gauche de cet hémicycle ! Pour notre part, ce n’est pas ce que nous pensons, toujours suivant le principe selon lequel il nous appartient d’accompagner la démocratie sociale, et non de nous y substituer. Dès lors, il ne nous reste plus qu’à considérer cet article comme une validation politique, la reconnaissance d’une démarche, rien de plus ! Une majorité des membres de mon groupe votera cet article, ainsi que les autres dispositions prévues dans ce texte, certaine de son innocuité. Pour conclure, je tiens à féliciter la commission des affaires sociales, son rapporteur, Alain Gournac, et sa présidente, Muguette Dini, pour l’excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)