Les interventions en séance

Affaires sociales
07/11/2011

«Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012»

Mme Muguette Dini

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’analyser le PLFSS qui nous est proposé, je voudrais rappeler quelques chiffres simples. En 2011, les dépenses de sécurité sociale devraient s’élever à 442,1 milliards d’euros ; celles de l’État, à 362,5 milliards d’euros. Le budget annuel de la sécurité sociale est donc supérieur de presque 80 milliards d’euros à celui de l’État. Qu’en est-il des déficits prévus pour la même année ? Pour la sécurité sociale, le manque s’établit à 18,2 milliards d’euros, soit 4,11 % du budget ; pour l’État, il est de 95,5 milliards d’euros, soit 26,3 % du budget. Au regard de ces chiffres, on comprend bien que c’est principalement sur le budget de l’État que les efforts doivent porter pour ramener le déficit des administrations publiques à 3 % du PIB en 2013 et diminuer ainsi le taux de prélèvements obligatoires. Mon propos ne vise pas à exonérer les comptes de la sécurité sociale des efforts nécessaires pour atteindre l’équilibre. Il tend seulement à montrer que ces efforts doivent être exercés dans tous les domaines. Bien entendu, cela ne veut pas dire non plus que les déficits sociaux ne soient pas préoccupants ; s’agissant du système assurantiel, ils n’auraient jamais dû être tolérés. Inquiétants, ces déficits le sont moins par leurs montants que par leur évolution tendancielle et leur dépendance à la conjoncture. C’est avec le recul de croissance de 2009 que l’on a découvert que le risque pouvait être conjoncturel. Le ralentissement de l’activité a eu de lourdes conséquences sur la masse salariale. Or, cela a été dit, c’est de cette dernière que provient l’essentiel des ressources de la sécurité sociale, ce qui explique l’explosion du déficit du régime général en 2010. Aujourd’hui, il nous faut tenter de réparer les dégâts causés par la crise. Par rapport à la situation de 2010, le PLFSS pour 2012 consacre un redressement sensible des comptes sociaux. Le déficit du régime général passerait de 23,9 milliards d’euros en 2010 à 13,9 milliards d’euros en 2012. L’amélioration est donc significative. Elle est le fait des branches les plus importantes, à savoir la branche maladie et la branche vieillesse. Le déficit de cette dernière est en régression grâce à la montée en charge de la réforme des retraites adoptée en 2010. Nous soutenons la décision prise en conseil des ministres ce jour d’accélérer la mise en œuvre de cette réforme, en réduisant la période de transition au terme de laquelle doit être porté à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite. Pour ce qui est de l’assurance maladie, nous ne pouvons que saluer le respect de l’ONDAM pour la deuxième année consécutive. Cette évolution crédibilise l’objectif d’un retour à l’équilibre de la branche en 2015. Même la branche AT-MP, évidemment plus modeste, a renoué avec une trajectoire vertueuse, grâce à l’augmentation de la cotisation des entreprises. Nous nous en réjouissons. Pour autant, j’en appelle encore une fois à relativiser ces chiffres. Malgré tous nos efforts, nous ne sommes même pas parvenus à ramener le déficit social à son niveau de 2006. C’est dire si nous sommes encore loin d’avoir enrayé le seul déficit de crise, car le déficit conjoncturel est venu ajouter ses effets et masquer un déficit structurel qui continue de progresser. La trajectoire de redressement est fragile, puisque totalement dépendante de la conjoncture. D’ailleurs, dès 2012, le contexte macroéconomique pèsera sur les comptes sociaux. L’hypothèse de croissance du PIB a été revue à 1,75 % alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 avait retenu un taux de 2,5 %. En conséquence, la croissance de la masse salariale devrait être de 3,7 %, au lieu des 4,5 % initialement envisagés. Sachant que chaque point de masse salariale représente 2 milliards d’euros de recettes pour la sécurité sociale, on ne peut qu’en tirer des conclusions alarmantes. En outre, le projet de budget que nous examinons aujourd’hui ne tient pas compte de l’annonce par le Président de la République d’une prévision de croissance du PIB de 1 % seulement en 2012. Ce constat doit nous conduire à nous interroger très sérieusement sur le financement de la protection sociale. Tant que nous n’aurons pas le courage de poser cette question et d’y répondre de manière pertinente, toutes les réformes que nous mènerons ne pourront avoir qu’un effet limité. La conviction du groupe Union centriste et républicaine est que le mode actuel de financement de la sécurité sociale est dépassé. Il est hérité d’une époque où régnait le plein emploi et où les pensions de retraite étaient versées pendant une durée plus courte. Aujourd’hui, deux des quatre branches, les branches santé et famille, assurent une prestation universelle tout en continuant d’être financées sur un mode assurantiel. Non seulement cela met les comptes sociaux à la merci du premier retournement de conjoncture venu, mais, en plus, ce mode de financement pèse sur l’emploi et la compétitivité de notre pays. Dans ces conditions, il apparaît évident que la logique d’un financement majoritairement assis sur le travail n’est plus tenable. Il faudra bien envisager un jour – et le plus tôt sera le mieux – de financer la santé et la branche famille par l’impôt et non par les salaires, l’assurance vieillesse et la branche AT-MP étant financées très logiquement par le travail. Les sénateurs centristes sont, dans leur ensemble, plus que jamais convaincus de la nécessité de mettre en place la TVA sociale. Cette fiscalisation devra alors compenser à l’euro près les charges sociales pesant sur les entreprises. Il me faut aborder, à ce stade de mon intervention, le très grave problème de la dette sociale accumulée, problème que le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale aggrave un peu plus. La loi organique du 13 novembre 2010 relative à la gestion de la dette sociale a procédé au transfert de l’ACOSS vers la CADES d’une somme de 130 milliards d’euros de dette sociale accumulée. Il s’agit d’un quasi-doublement de la dette gérée par la caisse d’amortissement depuis sa création en 1996. L’article 20 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 en rajoute : il transfère à la CADES les déficits comptables de la branche retraite du régime des non-salariés agricoles au titre des exercices 2009 et 2010. Depuis toujours, cette branche est structurellement déficitaire. Mais, jusqu’à présent, le solde était assuré par l’État. En transférant ce déficit à la CADES, le PLFSS entérine une normalisation de ce régime par rapport à tous les autres régimes obligatoires de base. Il le fait à un prix difficilement acceptable, puisque ce transfert ne peut s’analyser que comme une nouvelle charge structurelle imposée aux générations futures. C’est pourquoi nous défendrons deux amendements très symboliques : le premier tend à aligner sur le taux de droit commun le taux de la CSG assise sur les pensions de retraite pour les retraités payant l’impôt sur le revenu ; le second vise à lutter contre l’emballement de la dette sociale en relevant de 0,25 % le taux de la CRDS, afin que la durée de vie de la CADES puisse enfin être revue à la baisse. Les emplois stratégiques, tels ceux qui relèvent du champ des services à la personne fragile, doivent aussi être soutenus et encouragés. C’est dans cet esprit que nous vous soumettrons de nouveau un amendement que j’avais déposé sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif. Cet amendement tend principalement à faire rentrer les particuliers employeurs dans le droit commun en leur permettant de bénéficier des exonérations de cotisations dites « Fillon » sur les bas salaires, applicables à l’ensemble des autres employeurs. Permettez-moi maintenant de dire quelques mots sur la branche santé et sur la branche AT-MP, sachant que, pour achever de présenter notre position branche par branche, mes collègues Gérard Roche, Jean-Marie Vanlerenberghe et Jean-Léonce Dupont interviendront au cours de l’examen des articles, respectivement sur les branches santé, vieillesse et famille. Je formulerai cependant trois réflexions sur la branche santé. J’ai parlé précédemment de réformes structurelles du financement de la sécurité sociale ; je vais maintenant évoquer une réforme structurelle touchant aux dépenses d’assurance maladie, celle de la prise en charge des affections de longue durée, les ALD. Les ALD engendrent à elles seules plus de 60 % des dépenses de santé. Au titre de ce dispositif, 8 millions de personnes sont aujourd’hui prises en charge par l’assurance maladie à 100 %. En moyenne, les dépenses de remboursement annuelles pour un patient en ALD se situent entre 7 000 euros et 12 000 euros, contre moins de 2 000 euros pour un assuré ne relevant pas du dispositif des ALD. Une réforme du système des ALD s’impose afin d’aboutir à la mise en place d’un dispositif plus efficace, sans pour autant réduire le niveau de protection garanti. Cet enjeu est d’autant plus important que, d’ici à 2015, 12 millions d’assurés pourraient être pris en charge au titre de ce dispositif et engendrer 70 % des dépenses d’assurance maladie. Cette réforme est évoquée depuis plusieurs années par des autorités aussi diverses, autorisées et compétentes que la Caisse nationale d’assurance maladie, la Haute Autorité de santé, le Haut Conseil de la santé publique ou la Cour des comptes. Dès 2007, la Haute Autorité de santé a publié un rapport qui jugeait le système des ALD inadapté et elle a plaidé pour une réforme d’ensemble rapide. Là encore, nous ne pouvons plus différer cet incontournable débat. J’aimerais évoquer ensuite la question des mutuelles, lesquelles affichent aujourd’hui leur mécontentement. L’origine de ce dernier se trouve dans la dernière loi de finances rectificative, qui a doublé le taux de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, la TSCA, applicable aux contrats d’assurance maladie dits « solidaires et responsables ». Les mutuelles arguent que, compte tenu de leurs résultats nets comptables, elles seront contraintes de répercuter ces mesures sur les cotisations. Cet argument est contesté par le Gouvernement, qui assure, preuves chiffrées à l’appui, que les organismes d’assurance complémentaire, quels que soient leurs statuts, ont des réserves suffisantes pour prendre en charge ces mesures. Nous sommes tout disposés à entendre les arguments des mutuelles. Mais, jusqu’à présent, elles n’ont pas fourni à la commission des affaires sociales des éléments chiffrés et détaillés à l’appui de leur position. Nous ne pouvons que regretter que le secteur des organismes complémentaires ne soit pas plus transparent et capable de fournir des informations détaillées au Parlement. Ce constat, la Cour des comptes l’avait, hélas, déjà dressé dans un rapport rendu public en juin 2008. Faute d’une plus grande transparence des organismes complémentaires, il sera difficile d’avancer en confiance sur ces sujets. On peut se demander, à ce propos, ce qu’est devenu l’esprit mutualiste, en vertu duquel le revenu tiré des cotisations devait être réparti entre tous en fonction des besoins. On ne comprend pas bien pourquoi certaines mutuelles n’envisagent pas de répercuter l’augmentation de la TSCA, cependant que d’autres comptent le faire partiellement ou totalement. Y aurait-il des mutuelles mieux gérées que d’autres ? Ma dernière réflexion relative à la santé portera sur le médicament. Nous ne pouvons que saluer l’effort entrepris par le Gouvernement pour rationaliser et sécuriser le système du médicament. Cet effort s’est notamment traduit par l’élaboration du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, que le Sénat a adopté en première lecture le 20 octobre dernier. C’est dans la même optique que vous annoncez, madame la secrétaire d’État, une baisse des prix pour près de deux cents médicaments. Je terminerai en évoquant la branche AT–MP. Comme le souligne le rapport de notre collègue Jean-Pierre Godefroy, l’un des grands enjeux actuels, pour la branche, est de prendre sa part dans la compensation de la pénibilité. La réforme des retraites de 2010 a mis en place un dispositif de compensation que nous jugions alors minimal. Notre intuition est aujourd’hui confirmée par deux éléments. D’une part, le nombre des personnes effectivement concernées pourrait être très inférieur aux chiffres initialement annoncés par le Gouvernement. D’autre part, et c’est encore plus préoccupant – mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe reviendra sur cette question –, le cadre réglementaire qui se dessine pourrait encore restreindre le champ du dispositif. Dans ces conditions, comme nous le disions déjà en 2010, il nous faudra revenir sur la question de la pénibilité et mettre en place un dispositif double d’aménagement des conditions de travail et de retraite anticipée fondé sur des critères médicaux objectifs. En conclusion, le groupe Union centriste et républicaine sait reconnaître les progrès contenus dans le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, ainsi que les jalons encourageants qu’il pose pour l’avenir, mais il appelle de ses vœux une fiscalisation rapide du financement des deux branches principales de la sécurité sociale. C’est au vu des réponses qui seront apportées par le Gouvernement sur nos amendements que notre groupe prendra sa décision au moment de voter sur l’ensemble de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et sur certaines travées de l’UMP. – M. Jean Desessard applaudit également.)