Les interventions en séance

Budget
François Zocchetto 06/12/2011

«Projet de loi de finances pour 2012 - Explication de vote sur l՚ensemble »

M. François Zocchetto

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis déjà plusieurs années, les sénateurs du groupe centriste du Sénat tirent la sonnette d’alarme, mettant en garde contre le péril auquel nos déficits publics nous exposent. Lors de la discussion du présent projet de loi de finances, nous avons eu plusieurs fois l’occasion de rappeler quelques faits qu’on ne saurait éluder. Vous les connaissez tous : la dette publique représente près de 85 % de notre PIB, soit plus de 1 700 milliards d’euros, et nous avons souvent répété qu’il nous faudrait près de sept années consécutives de recettes fiscales pour parvenir à en rembourser le principal. Eh bien, ce soir, nous devrions nous réjouir, mes chers collègues, car il semblerait que la nouvelle majorité sénatoriale nous ait entendus… (Exclamations ironiques sur les travées de l’UCR et de l’UMP.) En effet, le budget que nous allons voter est exceptionnellement excédentaire. Même les plus anciens d’entre nous n’ont jamais connu cette situation : un excédent de 137 milliards d’euros, alors que nous partions avec un déficit prévisionnel de plus de 81 milliards d’euros, reconnaissez-le, c’est une prouesse ! Cette prouesse, il faut la mettre en perspective avec le travail accompli par la nouvelle majorité sénatoriale depuis deux mois, soit près de 35 milliards d’euros de recettes supplémentaires, et donc une aggravation de notre taux de prélèvements obligatoires de 1,5 point. Il est vrai que la première partie du présent projet de loi de finances a été amendée avec un volontarisme rarement égalé ! Quant aux moyens alloués aux politiques publiques, c’est-à-dire les dépenses, ils détonnent au regard des précédents exercices. M. le président de la commission des finances l’a dit tout à l’heure, seules dix missions ont été adoptées, dont les plus stratégiques quant à la garantie du principe de continuité du service public… Je pense, par exemple, à la mission « Médias, livre et industries culturelles », dont les crédits ont été votés, tout comme ceux de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation » ; certes, cette mission est importante, mais il en est tout de même d’autres au moins aussi importantes ! Pour autant, si ce projet de loi de finances devait être adopté sous sa forme actuelle, la plupart des fonctionnaires ne seraient pas payés en 2012, ce qui est quand même un peu ennuyeux lorsque l’État emploie pas moins de deux millions de personnes. Ainsi les juges ne seraient-ils pas payés puisque les crédits de la mission « Justice » ont été rejetés. Mais cela est-il bien grave, après tout ? Faut-il considérer qu’ils sont essentiellement habités par le sens supérieur de l’intérêt général ? Les policiers non plus ne seraient pas payés, bien que l’accomplissement de leur mission apparaisse comme une exigence absolue. Et je pourrais multiplier les exemples… Dès lors, un constat semble s’imposer : nous nous sommes livrés, mes chers collègues, à un pur exercice de science-fiction, qu’aucune agence de notation n’aurait pu imaginer ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Ce n’est pas un budget de rigueur ou de responsabilité que nous devons voter ce soir, c’est un fantasme néolibéral de disparition de l’État, purement et simplement ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)² Le texte élaboré par le Sénat est en tout point incompatible avec celui qu’avaient adopté les députés. Au reste, nous savons d’ores et déjà que la commission mixte paritaire échouera et que, en fin de compte, c’est uniquement le texte des députés qui entrera en vigueur. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Alors, bien sûr, on peut voir là un effet de l’article 45 de la Constitution et regretter que le bicamérisme ne soit pas davantage égalitaire : je suis d’ailleurs prêt à travailler sur ce sujet. Mais on peut aussi réfléchir tout simplement à la place qu’occupe le Sénat dans nos institutions actuelles. (Mme Catherine Procaccia approuve.) Nous connaissons tous le mot de Clemenceau selon lequel, « le temps de la réflexion, c’est le Sénat ». Je regrette amèrement que nous tendions à devenir le lieu d’une mascarade généralisée, contraire à l’esprit qui préside au bon fonctionnement de nos institutions et de la République. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Je vous le prédis : une telle attitude remettra très rapidement en cause l’existence du Sénat ! Comment, dans une période de contrainte budgétaire, nos concitoyens pourraient-ils accepter de sacrifier annuellement 300 millions d’euros pour voir seulement le fonctionnement de la procédure législative entravé ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Nos débats de ces trois dernières semaines ont comporté une grande part d’absurdité et nous nous retrouvons maintenant face à l’évidence. Le groupe UMP, c’est dans son rôle, soutiendra le Gouvernement et votera donc contre un budget caricatural et anémique, alors que la nouvelle majorité sénatoriale votera en faveur d’un texte vide de toute substance, mais plein d’arrière-pensées politiques. Nous devons donc nous interroger, je pense que nous pouvons tous en convenir, sur la lisibilité du signal que le Sénat est en train d’envoyer ! Dans les quelques instants qui me restent, mes chers collègues, je me permettrai modestement de lancer un appel à la responsabilité de chacun. (Rires et remarques sarcastiques sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Depuis quelques semaines, le Sénat se prive de sa participation au débat national pour s’embourber dans des querelles partisanes et électorales dont nous devrions être protégés. Nous avons raté l’occasion d’apporter notre contribution à la conception des politiques publiques qui seront menées en 2012, alors même que la zone euro est en crise et que la perspective d’une faillite nationale se présente chaque jour comme une effrayante possibilité. Il nous reste maintenant deux échéances pour tenter de limiter les dégâts que nous venons de causer. La première, c’est la commission mixte paritaire, où nous pouvons encore essayer de sauver les dispositions les plus marquantes du débat que nous avons eu sur la mission relative aux relations de l’État avec les collectivités territoriales. Nombreux sont ceux, sur toutes les travées, qui pensent avec justesse que la péréquation sera l’un des enjeux majeurs de cette mandature sénatoriale. Intervenons donc lors de la réunion de la commission mixte paritaire pour faire valoir les quelques idées qui ont été émises au Sénat. Je passe sur le fait qu’après un débat d’une grande technicité sur les amendements de la commission des finances le Sénat a tout simplement rejeté l’article 6 relatif à la dotation globale de fonctionnement, le jour même de l’ouverture du congrès de l’Association des maires de France. Il nous faudra sauver l’essentiel, mes chers collègues ; il nous faudra surtout convaincre nos collègues députés, et ce ne sera pas facile. La seconde échéance, c’est le projet de loi de finances rectificative visant à mettre en œuvre les dispositions annoncées le 7 novembre dernier par le Premier ministre dans le cadre du plan de sauvegarde de nos finances publiques. Ce collectif sera l’occasion de jauger la responsabilité de chacun d’entre nous, car il y va de l’intérêt supérieur de notre indépendance financière nationale. Vous aurez compris que, au moment du vote sur le présent budget, pour les différentes raisons que je viens d’évoquer, les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine ne cautionneront pas une parodie d’aussi mauvais goût : nous ne voterons pas le texte qui nous est soumis ce soir. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)