Les interventions en séance

Affaires sociales
Henri Tandonnet 06/11/2013

«Projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire »

M. Henri Tandonnet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise que traverse notre pays depuis l’automne 2008 a accéléré la reconnaissance et le développement du secteur de l’économie sociale et solidaire. Longtemps considéré comme marginal, ce secteur constitue aujourd’hui un renouveau de l’économie fondé sur des principes de solidarité et de proximité auxquels aspirent en particulier les jeunes. En promouvant des pratiques nouvelles non seulement plus humaines et respectueuses, mais aussi soucieuses de l’environnement, l’ESS est sans aucun doute l’un des outils qui permettra aux nouvelles générations de redonner du sens à l’économie et de la vie à nos territoires, notamment les plus ruraux. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Il existe en effet des liens forts entre les acteurs de cette filière et les responsables des territoires. Pour illustrer cet ancrage territorial, notons que ce mois de novembre est le « mois » de l’ESS : les vingt-six chambres régionales de l’économie sociale et solidaire s’attachent à faire la promotion du secteur, qui regroupe en France plus de 220 000 structures – associations, mutuelles, entreprises coopératives et d’insertion –, et à en fédérer les acteurs. Faire « changer d’échelle » ce secteur, tel est l’objectif sur lequel vous avez insisté, monsieur le ministre. Nous le partageons. Veillons cependant à ne pas créer de nouvelles barrières ou sortir du sujet en voulant trop bien faire. J’attaque d’emblée sur les articles 11 et 12.
Ces articles, s’ils ne constituent pas le cœur du projet de loi, sont ceux qui ont le plus retenu l’attention des commentateurs, ainsi que celle des sénateurs, si j’en juge par le nombre d’amendements déposés.
L’instauration d’un droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’entreprise de moins de 250 salariés a en effet provoqué des réactions négatives gâchant le nouvel élan de cette loi. Cette mesure semble a priori utile pour faciliter la transmission d’entreprise. Ses défenseurs affirment qu’elle crée une opportunité supplémentaire pour les chefs d’entreprise, qui vendent in fine à qui bon leur semble. Pourtant, loin de rassurer, l’information préalable des salariés peut contribuer à générer l’effet inverse de celui qui est recherché, en créant un climat anxiogène tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. En effet, dans les TPE et PME, la notion de dirigeant est très importante. L’information selon laquelle ce dernier quitte la tête de son entreprise peut être, dans certains cas, un facteur de réelle déstabilisation et fragiliser l’entreprise dans ses relations non seulement avec ses partenaires commerciaux et financiers, mais également avec ses concurrents. Plus la période est longue, plus l’instabilité peut gagner parmi les salariés. Sur le terrain, la transmission d’une entreprise est une opération délicate et la recherche d’un repreneur est souvent longue et difficile, même lorsqu’il existe des repreneurs potentiels. Cela peut prendre des mois, voire des années. La confidentialité du processus est un facteur clé du succès de la transmission. On aurait donc pu concevoir autrement cette mesure, en la ciblant davantage afin d’adresser l’information aux salariés et aux cadres responsables au lieu de la divulguer à tous les salariés. Pour ces raisons, je pense qu’un délai incompressible de deux mois pour informer les salariés conduit à multiplier très en amont les risques de divulgation de la cession et peut, par conséquent, déstabiliser la structure concernée. Cette obligation, dans certains cas, est nuisible à la santé de l’entreprise. Il faudrait donc laisser à l’appréciation du dirigeant l’initiative de divulguer cette information et le délai qui lui semble le plus adapté. J’ai déposé des amendements en ce sens, en proposant également de préciser le point de départ de l’action en nullité afin de limiter la durée de l’ouverture des recours qui pourraient naître de ce nouveau droit. Je ne peux m’empêcher de penser qu’un chef d’entreprise de moins de 250 salariés qui souhaite transmettre son entreprise se donnera la possibilité et les moyens d’encourager la reprise par les salariés, si celle-ci est envisageable. L’information circulera donc.
En revanche, dans des situations plus délicates, le dirigeant doit avoir le choix de protéger la bonne marche de son entreprise.
La réaction des structures patronales contre ces articles est unanime. Je ne crois pas que ce soit simplement une posture politique de la part de leurs dirigeants nationaux.
s’agit bien de la traduction d’une crainte réelle et légitime ressentie sur le terrain.
La situation des entreprises au moment de leur transmission varie beaucoup d’un cas à l’autre. Il me semblerait beaucoup plus utile d’associer davantage les salariés au fonctionnement des entreprises plutôt que d’imposer des règles d’information inopérantes. L’extension de l’ESS recherchée à travers ce droit d’information me semble donc inappropriée. Je crois, monsieur le ministre, que, dans votre trident, il faudrait enlever une dent. (Sourires.) En revanche, il faut se féliciter des mesures inscrites dans le texte qui permettent de remédier à des rigidités ou à des insuffisances statutaires des acteurs de l’ESS grâce à l’adaptation de certains des statuts en vigueur. Je salue, à ce titre, la création du statut transitoire de SCOP d’amorçage, qui, lui, constituera un outil précieux pour la transmission d’entreprise au sein du personnel. Vous dites, monsieur le ministre, que cette mesure est complémentaire de l’information des salariés en cas de cession. J’estime qu’elle se suffit à elle-même, et nous la soutenons. Preuve que la reprise d’une entreprise par ses salariés n’est pas un problème politique pour nous ! La création du statut de SCOP d’amorçage est une mesure positive qui permet d’apporter de la souplesse. Le statut transitoire de montée en puissance devrait convaincre les porteurs de capitaux non coopérateurs d’investir dans la société durant la période d’amorçage, et donc de maximiser ses chances de pérennisation. Jusqu’à présent, les salariés qui voulaient fonder une SCOP devaient d’emblée détenir la majorité du capital social, ce qui est parfois compliqué ; il sera désormais possible de dissocier, durant une période transitoire, la majorité en capital de la majorité en voix, ce qui laissera aux salariés le temps de renforcer leur part au capital de la SCOP. Ce dispositif pourra ainsi prospérer, je l’espère, grâce au mouvement positif lié aux moyens qui pourront être mis à leur disposition par les établissements financiers spécialisés dans la constitution de fonds solidaires. L’association de ces deux outils sera, je le crois, très efficace. Comme je l’ai rappelé au début de mon intervention, le secteur de l’ESS a la particularité, très précieuse à l’époque actuelle, de créer des entreprises ainsi que des emplois non délocalisables et de bénéficier d’un solide ancrage territorial. Pour organiser et promouvoir cet élan, le projet de loi reconnaît plusieurs structures sur le plan législatif, telles que les chambres régionales de l’ESS, en définissant leurs missions et prérogatives, ce qui est bien. En revanche, les mesures relatives au fonctionnement, à la composition et aux modalités de désignation des pôles territoriaux de coopération économique et du Conseil supérieur de l’ESS ne sont aucunement détaillées. Il semble important de faire figurer dans la composition de ce dernier la notion de territoire afin que leur représentation puisse assurer une certaine diversité des points de vue. De trop nombreuses mesures, dont les grandes lignes nécessitent d’être affinées, sont actuellement renvoyées à des décrets. On n’en compte pas moins de vingt-deux dans tout le texte, ce qui me paraît beaucoup ! En tant que législateur, le Sénat vous propose, monsieur le ministre, de retravailler certains points d’ici à la deuxième lecture. Cela serait de bon augure et nous permettrait de ne pas voter des mesures sans en connaître précisément la portée.
J’ai également examiné avec une attention particulière les dispositions relatives au droit des coopératives. En tant qu’acteurs incontournables de l’ESS, elles ont besoin d’un cadre qui puisse s’adapter aux évolutions de leur mode d’activité. C’est pourquoi j’ai souhaité déposer quelques amendements visant à ne pas alourdir les normes qui pèsent déjà sur leur fonctionnement.
Ainsi, laisser la liberté de décision aux coopérateurs quant à l’affectation des résultats de la coopérative permettrait de conserver la philosophie coopérative. Je propose également une mesure, de moindre ampleur, visant à permettre aux coopératives d’utilisation de matériel agricole, ou CUMA, de répondre aux demandes de travaux agricoles ou d’aménagement des EPCI dont au moins un tiers des communes ne dépasse pas 3 500 habitants. Or l’article 31 du texte réserve cette possibilité aux EPCI dont toutes les communes ont moins de 3 500 habitants, ce qui me semble restrictif, voire bloquant et inefficace pour les CUMA elles-mêmes et pour les territoires très ruraux visés par cette opportunité. En effet, des intercommunalités très importantes comprennent des territoires très ruraux. Les structures de l’ESS et les entreprises classiques sont complémentaires et participent collectivement à l’essor des bassins économiques locaux, aussi convient-il également de rassurer aujourd’hui les petites entreprises en revenant sur les mesures de l’article 49. Certes, l’ESS a une vocation sociale importante ; elle permet notamment de favoriser l’insertion des travailleurs. N’oublions pas pour autant la santé de notre tissu économique ! Cet article favorisera le recours aux entreprises solidaires dans le secteur des éco-organismes et du traitement local des déchets. Voilà encore une mesure difficile pour les TPE et PME du secteur de la gestion des déchets, qui risquent par conséquent, lors des appels d’offres, d’être pris en tenaille entre, d’une part, les entreprises de l’ESS et, d’autre part, les grandes entreprises, qui, elles, auront les moyens de s’organiser en interne afin de ne pas être défavorisées sur les marchés qu’elles souhaiteront obtenir. Nous devons exercer notre vigilance sur l’article 49 afin de ne pas encourager la tentation d’opposer l’ESS et l’économie dite « classique ». Ce n’est pas le moment, et ce serait très mal compris. Je préférerais qu’il y ait plus de ponts, plus de relations entre ces deux économies. On sait d’ailleurs que les entreprises du recyclage entretiennent des liens étroits avec les entreprises de réinsertion et qu’elles constituent un débouché naturel pour bon nombre de leurs employés. Avant de conclure, j’aimerais saluer l’ouverture d’esprit et le travail de la commission, qui ont permis d’adopter de nombreux amendements. Je m’exprime ici en mon nom et en celui de ma collègue Valérie Létard, dont un amendement présenté en commun avec Mme Dominique Gillot a été adopté en commission. Cet amendement tendait à corriger une erreur qui s’était glissée dans la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Il s’agit désormais de l’article 40 A, qui nous satisfait en l’état. En conclusion, force est de constater qu’il est difficile de légiférer dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. En effet, nous ne devons pas opposer une ESS qui serait vertueuse et une autre économie, qui, au contraire, serait spéculative. Le projet de loi permettra à l’économie solidaire de conforter son rôle d’acteur économique et solidaire des territoires. Je regrette cependant que certaines dispositions du texte s’écartent des enjeux essentiels et viennent en perturber la lisibilité. J’ai aussi quelques craintes quant à leur inscription dans la réalité. C’est pourquoi le vote de ce projet de loi par mes collègues centristes et moi-même reste conditionné à son examen, qui permettra – je l’espère vivement – d’apporter au texte certains aménagements essentiels qui nous tiennent à cœur. Monsieur le ministre, vous savez qu’en novembre tout prend racine. Je souhaite quand même bon vent à votre texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et du groupe socialiste.)