Les interventions en séance

Environnement et développement durable
Henri Tandonnet 06/11/2012

«Projet de loi relatif à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement»

Monsieur Henri Tandonnet

Monsieur le Président, Madame le Ministre, Madame le Rapporteur, Chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté était pour le moins attendu. Attendu par le Conseil constitutionnel qui s’est déjà exprimé à quatre reprises sur la question de la participation du public aux décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Il est donc nécessaire de légiférer pour limiter l’insécurité juridique liée aux décisions du Conseil. Attendu par les législateurs que nous sommes, car la Charte de l’environnement nous sommait d’encadrer et de légiférer sur les dispositifs d’information et de consultation du public. Nous devions donc nous saisir de ce sujet. Attendu pour les citoyens eux-mêmes pour qui ce texte apporte de nouveaux droits, mais aussi une nouvelle responsabilité dans la prise de décision publique. Sans revenir intégralement sur les dispositions qui ont été exposées avant moi, j’aimerais, dans un premier temps, apporter mon soutien aux objectifs de ce texte ; ensuite, pointer du doigt les difficultés juridiques du champ d’application de ce texte, liées de surcroit à une procédure d’ordonnance que l’on ne peut accepter. Enfin, notre commission du développement durable a soulevé différents problèmes que nous devons résoudre en séance, avec, je l’espère, l’éclairage du gouvernement. Tout d’abord, ce projet de loi répond à une double exigence constitutionnelle et en matière de développement durable. Comme la rapporteur de la commission l’a rappelé, le principe de participation du public est au cœur des exigences en matière de développement durable. Lorsqu’elle a un impact environnemental, la décision publique, qu’elle vienne de l’Etat, de ses établissements publics ou des collectivités territoriales, concerne chaque citoyen, plus que dans toutes autres matières. Ainsi, la participation active des citoyens au processus décisionnel constitue un progrès démocratique et une avancée dans la transparence que chacun peut saluer et soutenir. Du sommet de Rio en 1992 à la loi Barnier de 1995, en passant par l’adoption de la Charte de l’environnement en 2004, nous pouvons tous nous réjouir des progrès réalisés dans cette matière. Ce projet de loi s’inscrit donc dans ce même axe d’évolution, et nous ne pouvons que soutenir les objectifs de fond de ce texte. Il faut néanmoins bien mesurer l’impact de la loi que nous votons. Nous devons trouver un chemin étroit, entre la consultation publique qui tient compte des observations des citoyens, et la nécessaire efficacité de la décision publique qui ne doit pas être bloquée par les dispositions que nous lui imposons. Par ailleurs, ce projet de loi tire la conséquence de quatre décisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité. Le dispositif des QPC est à mettre au rang des progrès institutionnels voulus par la majorité précédente et portés par le groupe centriste du Sénat. Grâce aux QPC, nous sommes certes contraints de légiférer, mais nous le faisons pour améliorer la sécurité du cadre juridique qui entoure la société. Ainsi, même si les délais sont parfois courts, les QPC permettent de justifier, pour une fois, la procédure accélérée. En effet, les quatre décisions du Conseil constitutionnel sont applicables au 1er janvier 2013 pour les décisions d’ordre réglementaire et au 1er septembre 2013 pour les décisions individuelles. Concernant ces dernières, le délai est suffisamment long pour que ni la procédure accélérée ni le recours à une ordonnance ne soient justifiés ; je vais y revenir dans ma deuxième partie. Le champ d’application juridique du dispositif a besoin d’être clarifié, afin de supprimer le recours à une ordonnance pour légiférer. J’en viens maintenant au champ d’application de ce projet de loi, et principalement au dispositif de l’article 1er. Le processus de consultation du public proposé à cet article ne concerne que les décisions publiques de niveau réglementaire et les décisions d’espèce. Les décisions dites individuelles en sont très clairement exclues, et sont concernées par la demande d’habilitation à légiférer par ordonnance de l’article 7 du projet. Je ne comprends pas ce découpage. Toutes les décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement sont concernées par les décisions du Conseil Constitutionnel. Comme je le rappelais dans nos débats en commission, ce découpage est artificiel. Certaines décisions n’appartiennent à aucune catégorie. Mieux vaut parler de décisions publiques ayant une incidence environnementale. C’est pourquoi j’ai déposé un premier amendement à l’article 1er, de manière à élargir le dispositif à toutes les décisions. Cet amendement répond également à une demande apparue dans les observations recueillies dans le cadre de la consultation publique sur ce projet de loi. Selon l’étude d’impact de ce texte, un quart des remarques concernent le champ matériel d’application du texte et notamment l’inclusion des décisions individuelles. De plus, le dispositif relatif aux décisions individuelles est repoussé à une habilitation d’ordonnance. Cette procédure dessaisit le législateur de son rôle ; nous ne pouvons nous en satisfaire. Le groupe centriste du Sénat s’est toujours opposé aux ordonnances. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement miroir à celui de l’article 1er, supprimant intégralement l’article 7. Comme la rapporteur le souligne dans son rapport, le Conseil constitutionnel reconnait dans une décision de 1999 que « l’urgence est au nombre des justifications que le gouvernement peut invoquer pour recourir à l’article 38 de la Constitution ». Or, le texte que nous examinons a été adopté en conseil des ministres le 3 octobre dernier. Le dispositif relatif aux décisions individuelles doit être adopté avant le 1er septembre 2013. Je ne suis pas sûr que les 11 mois séparant ces deux dates soient un véritable motif d’urgence justifiant une ordonnance. En outre, dans deux décisions de 1977 et de 1986, le Conseil a également exigé que le Gouvernement doive « indiquer avec précision au Parlement, lors du dépôt d’un projet de loi d’habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des mesures qu’il se propose de prendre ». Sur cette base, je ne suis pas convaincu que l’article 7 nous présente suffisamment de garantie de précisions du dispositif pour nous dessaisir aveuglément de notre pouvoir, qui plus est, sur un texte qui concerne une question de consultation du public. C’est plus que surprenant, manifestement un réel manquement vis-à-vis du Parlement. En conséquence, et pour éviter toute censure du Conseil constitutionnel sur cette habilitation, je ne peux que vous inviter à supprimer cet article, à moins que le Gouvernement ne nous fasse connaître plus précisément ses intentions en terme de décisions individuelles. Le dispositif de consultation du public soulève en lui-même encore quelques questions comme le démontrent les modifications apportées par notre commission. Pour finir, au-delà de la question du champ d’application de nombreuses questions restent en suspens après nos débats en commission. Concernant les délais minimum de consultation, notre commission les a doublés pour ce qui est des observations par voie électronique, en passant de 15 à 30 jours, et en créant un délai de 21 jours pour les observations par voie postale. La prise en compte de la voie postale est importante, mais un doublement du délai me semble totalement contre-productif. En adoptant ce dispositif, nous allons bloquer tous les décideurs publics qui vont alors se saisir plus souvent de la procédure d’urgence. La commission a également souhaité, sous l’impulsion de nos collègues du groupe CRC, que les conseils municipaux concernés soient informés et consultés. C’est une bonne mesure. Il faudra néanmoins régler la question des délais de consultation, là encore problématique. Enfin, à l’initiative de la rapporteur, la notion de « tenu compte » a été introduite dans le texte, permettant d’indiquer dans la synthèse des observations du public, celles qui ont été retenues. Je suis convaincu que cette notion, même si elle est séduisante, va introduire un grand nombre de recours juridique de la part de nos concitoyens, contre les décisions prises. De plus, au 2.1.1.2 de l’étude d’impact, le gouvernement considère que la synthèse prévue « permettra à toute personne de constater dans quelle mesure ces observations ont influencé la décision adoptée ». Cette remarque, de bon sens, me semble suffisante, et devrait nous permettre de ne pas ajouter la notion voulue par la rapporteur. « L’important c’est de participer » disait Coubertin ; il faut tout de même y ajouter l’art et la manière pour que cette participation soit utile et efficace. En ce début d’examen du texte, je ne suis pas sûr que toutes les conditions soient totalement réunies. Ainsi, le groupe UDI-UC se prononcera sur ce texte en fonction du sort réservé à ces amendements, notamment sur l’article 7. Je vous remercie.