Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
06/05/2010

«Projet de Loi de Finances rectificatives pour 2010 Plan de financement d’aide à la Grèce»

M. Denis Badré

Monsieur le président, madame la ministre de l’économie, monsieur le ministre du budget, mes chers collègues, nous examinons ce soir le soutien financier que la France doit rapidement – je l’espère – apporter à la Grèce.
Même si, comme souvent en cas d’incendie, il aurait mieux valu que le pompier intervienne plus tôt, et même si celui-ci se dit que l’on aurait pu mobiliser des moyens plus adaptés, il ne se pose pas de question : il commence par éteindre le feu.
J’indique donc, d’emblée, que le groupe de l’Union centriste votera le texte qui nous est soumis. Pour les Grecs, comme pour nous, il faut que la Grèce puisse assurer les échéances auxquelles elle sera confrontée dans quelques jours, et il est urgent de restaurer la confiance des marchés financiers.
Une fois l’incendie circonscrit, sinon totalement éteint, il restera beaucoup à dire et à faire à propos de cette crise. Il restera des responsabilités à clarifier, des enseignements à dégager et des réformes à élaborer, pour faire de cette crise une opportunité, à la fois pour la Grèce, pour l’euro et pour la poursuite de la construction européenne.
Si la Grèce s’est laissé emporter par la tourmente, la responsabilité lui en incombe en partie. J’ai eu l’occasion d’évoquer cette question la semaine dernière, avec des homologues grecs de toutes sensibilités : ils en sont parfaitement conscients et ils vivent assez mal cette lourde épreuve.
Tout est maintenant « sur la table » : déficits trop longtemps masqués, approximations comptables, non-respect des engagements du pacte de stabilité et de croissance, insuffisance des adaptations structurelles, économie peu concurrentielle...
Cela étant désormais explicité, est-il utile, pour autant, d’accabler nos amis grecs ? Peut-être, mais à condition que cela serve à quelque chose ! Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre ! Or d’autres acteurs, assez nombreux, portent, eux aussi, une part de responsabilité.
Les gouvernements nationaux ne se sont jamais montrés très disposés à donner à Eurostat de réels pouvoirs d’investigation, pas plus qu’à transformer cet organisme en un instrument commun, indépendant et impartial, d’analyse et de référence. La question doit se poser, désormais, surtout lorsque l’on sait qu’un rapport de la Commission, daté du mois de janvier, récapitulait les doutes exprimés par Eurostat sur la Grèce, sans que cela ait, alors, réellement ému grand-monde.
Bien sûr, une réforme d’Eurostat viendrait limiter la créativité comptable des États. Eh bien, tant pis ! Il est évidemment plus important de prévenir les catastrophes.
Madame la ministre, vous avez évoqué les responsabilités des agences de notation. Dégradant à chaud l’appréciation portée sur la Grèce, à une très mauvaise heure – à quelques minutes de la clôture des marchés ! – et bien tardivement, puisque la crise avait déjà pris toute son ampleur, et surtout alors qu’aucun élément nouveau ne justifiait une nouvelle correction, elles ont joué un rôle de boutefeu... pour le plus grand profit des spéculateurs !
Nous aurions préféré qu’elles exercent leurs talents, en d’autres temps, pour prédire la crise de 2009 ! À ce sujet, il faudra d’ailleurs se poser la question de la notation des États et de leur situation particulière par rapport aux marchés financiers. Sont-ils vraiment justiciables des mêmes règles que les acteurs financiers ordinaires ?
La situation et les responsabilités spécifiques des banques, qu’elles soient à l’origine de semblables difficultés ou qu’elles concourent à les dénouer, peuvent également poser problème. Notre commission des finances y réfléchira certainement. En tout état de cause, il me semble important qu’elles soient, dès aujourd’hui, impliquées dans le « sauvetage ».
J’en viens aux responsabilités plus collectives des États et des institutions européennes. Dans cette crise, il faut souligner qu’une claire solidarité unit, de fait, l’ensemble des membres de l’Eurogroupe. Il me semble symboliquement fort que les quinze partenaires de la Grèce soient tous solidairement mis à contribution, au prorata de leur part dans le capital de la BCE, quelle que soit leur situation du moment. La participation à l’Union économique et monétaire implique des droits et des devoirs. L’effort demandé à Chypre, à la Slovaquie ou au Portugal est, de fait, relativement aussi lourd à supporter pour ces pays que celui que la France ou l’Allemagne ont consenti. Il faut donc saluer leur engagement !
Aujourd’hui, nous avons un parfait exemple des « solidarités de fait » de Robert Schuman. Soutenir la Grèce, c’est faire preuve d’une solidarité incontournable ; c’est aussi l’intérêt bien compris de tous car, agir ainsi, c’est aussi enrayer une crise dont le caractère potentiellement contagieux n’échappe à personne. La tourmente qu’ont connue les marchés au cours des dernières heures le rappelle à nouveau.
Derrière la Grèce, c’est l’euro qu’il s’agit de défendre contre les marchés ou contre les spéculateurs décidés à l’attaquer en ciblant les « maillons faibles ».
J’en viens à notre monnaie, dont le président Arthuis soulignait à juste titre à l’instant qu’elle est « orpheline d’État ».
À titre de comparaison, prenons le dollar : si une crise intervient dans l’un des États de l’Union, l’État fédéral joue son rôle, tout naturellement. Dans ce cas, qui dit « banque centrale indépendante » ne dit pas du tout absence d’État. La Banque centrale européenne, elle, fonctionne sans État. Avec l’euro, elle a protégé les membres de l’Union économique et monétaire face à la crise, depuis deux ans. On ne le dira jamais assez !
Pour faire la promotion de « l’euro protecteur », j’ai plaisir à citer les autorités slovaques, qui soulignent que, si le fait d’être dans la zone euro a, bien sûr, aidé leur pays, ce dernier a d’abord été protégé grâce à l’effet des réformes structurelles qu’elles ont dû mettre en œuvre pour se qualifier pour entrer dans la monnaie unique. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler cet argumentaire vertueux, au moment où l’euro est dans la tourmente.
Pour conclure, provisoirement, sur l’euro, force est de constater, à tout le moins, un manque de coordination économique et une carence de la Commission. En l’absence d’un État ou d’un véritable pouvoir politique, il fallait, au minimum, que chacun assume sa responsabilité, y compris la Commission – peut-être elle en premier lieu, d’ailleurs.
Aujourd’hui, nous sommes au temps du « quitte ou double ». En effet, jamais les risques de désintégration n’ont été aussi réels, puisqu’on en vient à évoquer ouvertement d’éventuelles sorties de l’euro, avec gourmandise parfois, trop souvent en les banalisant. Or qui dit sortie de l’euro dit négation du pacte de stabilité et de croissance, fin de la solidarité, ruine de la confiance. Voilà pour le « quitte ».
Heureusement, jamais, non plus, on n’a perçu aussi clairement une réelle attente de mesures radicales, allant jusqu’à la création d’un fonds monétaire européen ou à des dispositions contraignantes d’harmonisation des budgets. On peut sans doute appeler ce temps celui de la volonté politique. Madame le ministre, monsieur le ministre, le Conseil européen de demain vient à point. J’espère que cette attente ne sera pas déçue. Voilà pour le « double ».
J’en viens maintenant à notre responsabilité collective au sein de l’Union européenne. L’insuffisance de coordination économique s’est conjuguée avec une surveillance trop lâche. Pire, de mauvais exemples ont été donnés par des États, parmi les plus grands, qui ne sont pas forcément la France et l’Allemagne. Chacun appréciera...
Mais ne nous leurrons pas ! La nécessaire révision du fonctionnement économique de l’Union européenne ne peut se faire que dans le sens d’un renforcement des disciplines communes. Cela ne plaira pas à tout le monde, peut-être pas à la France, d’ailleurs. Or il s’agit bien d’attendre plus d’Europe. À partir du moment où nous sommes engagés sur la voie de l’Union économique et monétaire, comme le rappelait voilà un instant Jean Arthuis, il faut aller de l’avant, sauf à nous voir exposés au retour chronique de telles catastrophes.
Madame le ministre, vous avez fort justement insisté sur le rôle actif qu’a joué la France pour que soit dégagée une solution vraiment européenne. Je pense cependant qu’il faut dans le même temps veiller à ne pas stigmatiser l’attitude de l’Allemagne, qui pourrait, par comparaison, être alors présentée comme moins européenne.
Le Bundestag vient d’adopter le plan de soutien à la Grèce, et c’est bien. Mais il est clair que l’opinion allemande reste assez réservée, non pas tant parce que les Allemands sont moins généreux ou moins solidaires, mais parce que, outre-Rhin, tout ce qui touche à la monnaie reste hypersensible. Il ne faut jamais sous-estimer cette réalité.
De plus, les Allemands ont parfois le sentiment d’avoir été floués. Ils considèrent qu’ils ont offert leur mark sur l’autel d’un euro dont on leur avait affirmé qu’il serait stable et garanti par des règles sérieuses, mises en œuvre avec rigueur. Une clause rassurante de non-assistance, expressément introduite dans le traité de Maastricht, avait même été largement médiatisée en Allemagne, à l’époque.
Enfin, les Allemands apprécient vraiment très peu d’être montrés du doigt, alors même qu’ils éprouvent une réelle fierté pour avoir réalisé des progrès de compétitivité grâce aux efforts que tous leurs partenaires européens auraient dû engager, notamment en matière de modération salariale ou d’efforts à l’exportation. Ils ont le sentiment d’être un peu seuls à « ramer à contre-courant » dans une Europe dont le problème, à l’heure de la mondialisation, est précisément une perte générale de compétitivité. En l’espèce, nous avons peu de leçons à leur donner.
Ne vaut-il pas mieux assumer sans réserves et conjointement avec eux les décisions prises, comme les atermoiements qui les ont précédées, les responsabilités collectives à l’origine des difficultés actuelles et les ambitions pour les sorties de crise ? L’image de nos deux États en Europe y gagnera, tout comme l’Europe elle-même.
C’est au sein du couple franco-allemand, dont le bon fonctionnement est plus que jamais nécessaire, que s’est développé un double débat sur les rôles et les engagements respectifs de l’Europe et du FMI, ainsi que sur le caractère insuffisamment porteur d’avenir de l’aide apportée à la Grèce.
Je pense que le FMI ne doit pas être présenté comme venant se substituer à une Europe inexistante. Au contraire, il me semble bien qu’il joue son rôle normal aux côtés de l’Europe et en étroite coordination avec elle. N’oublions pas que le FMI, c’est également « nous » !
Quant à l’aide, nous avons compris qu’elle était parfaitement harmonisée avec celle du FMI, présentée en taux variables, et qu’elle inclut une marge pour couverture d’un reliquat de risque. Nous vous en donnons acte, non sans considérer que nous « sauvons » la Grèce sans lui faire de vrai « cadeau » et, surtout, sans lui donner complètement les moyens de repartir d’un meilleur pied vers la croissance, qui, seule, la mettra durablement hors d’affaire. Nous devrons rester attentifs à favoriser la « renaissance ».
Je me demande s’il ne faut pas envoyer quelques signes concrets d’encouragement au peuple grec, afin qu’il accepte moins mal les conditions très dures du plan que vient d’adopter le Parlement d’Athènes, comme vous venez de le rappeler, madame le ministre. Si la rue continue à refuser ce plan, la Grèce se retrouvera bien seule face à un destin foudroyé ! Nous n’aurons pas à en être fiers et la contagion gagnera, les spéculateurs avec elle.
Je veux citer en cet instant le plan de rigueur, assez comparable, mis en œuvre en Lettonie. Alors que récemment, à Riga, je m’inquiétais de savoir comment un tel plan pouvait être accepté, il m’a été répondu : « Nous en avons vu d’autres ! » Certes, aucune situation n’est transposable, et je me garderai de transposer celle que je viens d’évoquer au cas de la Grèce. Puisse simplement cette référence nous amener au moins à relativiser ce qui peut l’être, notamment lorsque nous engageons des réformes réputées difficiles dans notre pays !
Sur fond de difficultés au Portugal, en Espagne ou en Irlande, sur fond de difficultés à faire exister solidairement et fortement l’Eurogroupe, la crise que nous devons contribuer à éteindre a tourné au drame, hier, du fait des surenchères de casseurs. Elle est une véritable épreuve non seulement pour la Grèce, qui paie au prix fort des années d’insuffisance, mais aussi pour l’euro, devenu la cible des spéculateurs, et pour l’Europe, dont la cohésion est mise à mal.
Redonnons priorité au service de ces deux « filles de la Grèce » que sont l’Europe et la démocratie. Reprenons avec courage et détermination, monsieur le rapporteur général, la construction exigeante d’une Europe qui réponde à l’attente des Européens et du monde. Alors, cette crise n’aura pas été complètement vaine ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)