Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
06/05/2010

«Projet de loi de finances rectificatives pour 2010- Plan de financement d’aide à la Grèce»

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce deuxième collectif budgétaire de l’année intervient dans un contexte de triple sauvetage : sauvetage de notre partenaire grec, qui n’est plus aujourd’hui en capacité de trouver sur les marchés la ressource qu’il doit emprunter ; sauvetage de la zone euro, de l’union monétaire, qui, à force de tergiversations, a frôlé le collapsus et doit se ressaisir d’urgence ; sauvetage, enfin, des créances détenues par les banques, parmi lesquelles les banques françaises figurent en bon rang.
La France, depuis le début de cette crise, a joué pleinement son rôle. Au nom du devoir de solidarité, au nom de la haute idée qu’elle se fait de l’Europe, comme destin partagé entre toutes les nations qui la composent, elle a d’emblée tracé les grandes lignes d’un plan d’action qui a fini par s’imposer à tous.
Je suis reconnaissant au Gouvernement de son action et je l’en félicite.
Sans aucun suspens, je crois pouvoir dire que la plupart d’entre nous ici voteront un projet de loi de finances rectificative dont, finalement, la principale qualité est de nous révéler à quel point nous sommes aujourd’hui « dos au mur », contraints de réagir et d’abandonner les faux-semblants qui nous ont, collectivement, conduits à l’épisode désastreux que nous venons de vivre.
Car, au fond, comme vient de le rappeler avec brio M. le rapporteur général, tous ces événements, qui se traduisent par la mise sous protectorat de la Grèce, par la dégringolade de l’euro, par un risque, pas encore complètement écarté, de désintégration de la monnaie unique, tout cela n’était-il pas éminemment prévisible ?
Nos partenaires grecs n’ont pas su abandonner des pratiques comptables et budgétaires regrettables, qui les ont conduits à l’impasse actuelle. Certes ! Mais le problème n’est-il pas plus profond, et comme inscrit dans la genèse même de la monnaie unique ? Car ce que révèle la crise dramatique que nous traversons, ce sont, me semble-t-il, les graves défauts, les graves fragilités, les graves lacunes de la gouvernance de la zone euro.
Qu’il me soit permis d’évoquer ici mes souvenirs de ministre des finances ayant participé à l’élaboration du pacte de stabilité et de croissance à Dublin, à l’automne 1996.
La monnaie unique était le complément indispensable du marché unique. Au début des années quatre-vingt-dix, la démonstration en était livrée avec éclat, chaque mois, par les dévaluations compétitives qui sapaient la croissance et détruisaient massivement les emplois. Il fallait donc une monnaie unique et nous avons pris le risque de faire naître, pour la première fois dans le monde, une monnaie orpheline d’État.
Pour pallier l’absence de pouvoir politique et le déficit de gouvernance économique, nous avons dû concevoir un règlement de copropriété de l’euro, gage de viabilité et de crédibilité du système. Malheureusement, les transgressions se sont multipliées. Certains États, et sans doute aussi la France, se sont parfois laissés aller à des déficits excessifs, car ils n’encouraient pas la sanction monétaire, le risque de dévaluation n’existant pas.
Nous connaissions d’emblée les difficultés que la mise en œuvre de cette monnaie unique finirait, tôt ou tard, par engendrer : parce que les économies qui cohabitent au sein de la zone euro sont très hétérogènes et ne convergent pas spontanément ; parce que les mécanismes de surveillance et de contrainte prévus par le pacte sont insuffisants, mais aussi lacunaires, pour ne pas dire défaillants. Convenons, au surplus, que le juge politique – car la décision finale était politique ! – a du mal à se montrer rigoureux. La crise grecque n’a été que le révélateur d’un vice originel, et nous ne pouvions pas ignorer ce qui finirait par arriver.
Je veux souligner, après M. le rapporteur général, l’ardente nécessité d’améliorer la gouvernance de l’Eurogroupe. Cette institution doit mettre en place des mécanismes de surveillance mutuelle et de sanction permettant d’entraver l’apparition des crises, bien plus en amont qu’elle ne le fait aujourd’hui. J’espère que cette crise constituera l’électrochoc salutaire dont nous avions besoin.
Il existe une Cour des comptes européenne, dont le champ de compétence s’arrête aux instances de l’Union et aux organismes recevant des fonds communautaires. Ne pourrait-on concevoir une structure supranationale d’audit et d’évaluation des comptes de l’ensemble des collectivités publiques membres de l’Europe ? Ne pourrait-on imaginer des audits croisés, réalisés par les Cours des comptes des différents États membres, dans le cadre de cette surveillance mutuelle évoquée par Philippe Marini dans le rapport de la commission ?
Notre audition des représentants d’Eurostat, voilà un mois, nous a convaincus de la nécessité d’instituer une autorité européenne des comptes publics indépendante, et disposant de moyens humains et matériels conséquents. Le contrôle portant sur la sincérité des comptes transmis par les États membres ne peut pas continuer de reposer sur une vingtaine de collaborateurs, dont la capacité d’expertise et de réaction est nécessairement limitée.
Un enseignement majeur de la crise tient, enfin, au devoir d’exemplarité de la France, qui doit renvoyer à ses partenaires, aux opinions publiques et aux marchés financiers l’image d’un acteur fiable, résolument engagé sur la voie du redressement de ses finances publiques, sans faux-semblants et sans double langage.
Nous avons fait parvenir à Bruxelles un programme de stabilité par lequel nous avons annoncé notre volonté de revenir au respect des critères maastrichtiens en 2013, comme la Commission européenne nous l’avait demandé. Convenons, madame la ministre, monsieur le ministre, que ce document repose sur des hypothèses optimistes,... peut-être trop ! (Mme la ministre sourit.)
Si nous voulons aller jusqu’au bout de la transparence, si nous voulons assurer notre crédibilité, sans arrière-pensée, hors de tout artifice, alors il faudra qu’à l’avenir les programmes de stabilité soient actés par le Parlement, comme cela se fait chez nombre de nos partenaires, et qu’il y ait une parfaite cohérence entre les lois de finances et le programme de stabilité budgétaire. Les efforts que nous devrons collectivement fournir méritent ce débat public.
Face aux défis considérables que nous avons à relever, nos compatriotes ont besoin d’un langage de vérité. Ils ont assez de maturité pour l’entendre. Nous le leur devons. Encore faut-il faire preuve de pédagogie pour leur expliquer les enjeux et justifier les choix qui seront faits ! Ce qui est anxiogène pour les Français, c’est un certain discours convenu, qui ne donne pas le sentiment que l’on fait la vérité sur notre situation.
Au fond, la crise grecque doit être profitable pour l’Europe. Elle nous offre une belle panoplie d’instruments pédagogiques. Je vous demande, madame la ministre, monsieur le ministre, d’en faire bon usage, et de permettre ainsi à l’Union européenne de franchir une étape qualitative décisive. Vous me permettrez à ce sujet, et pour conclure, d’exprimer un reproche et un vœu.
Un reproche, tout d’abord : est-ce vraiment faire preuve de pédagogie et de volonté de transparence que de soutenir que le coût du prêt à la Grèce sera sans effet sur la trésorerie de l’État ? Certes, nous ne devrions pas être contraints de recourir à des emprunts supplémentaires, cette année, pour couvrir le besoin de financement induit par la somme que nous verserons à la Grèce. Mais enfin, ces 3,9 milliards d’euros, que nous allons tout de même devoir débourser, n’iront pas au remboursement de notre dette ! C’est autant d’allégement du recours à l’emprunt dont nous ne pourrons pas bénéficier !
Alors, je fais un vœu : que nous disions enfin aux Français où nous en sommes exactement ! Ce pays connaît des déséquilibres colossaux qui menacent gravement sa compétitivité, dans un processus que je n’hésite pas à qualifier de mortifère. Notre matière taxable, au premier chef notre industrie, s’enfuit vers des destinations plus hospitalières.
Il ne suffit pas de contrôler la progression des dépenses publiques : il faut les réduire ! Lesquelles ? Dans quelles proportions ? C’est maintenant que nous devons le dire, le décider et le faire !
Le Premier ministre a déclaré aujourd’hui que les dépenses de 2011 devront, en valeur, rester stables par rapport à celles de 2010. C’est une excellente orientation, mais je doute que cela suffise. Les normes en matière de déficit public, que nous allons sans doute adopter, resteront vaines en l’absence de volonté politique.
Madame la ministre, monsieur le ministre, il n’est pas une semaine sans que vos collègues présentent, devant le Sénat ou l’Assemblée nationale, des projets de loi qui créent de nouvelles normes, aboutissant toutes à des suppléments de dépense publique. Cette attitude est devenue insupportable.
J’ose espérer que le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ne comportera pas de nouvelles normes précisant la composition des menus des cantines publiques et la proportion de produits supposés biologiques qu’ils doivent comporter. Si les produits alimentaires sont sains, laissons les gestionnaires de cantines composer eux-mêmes les menus !
Le Gouvernement et le Parlement doivent changer de comportement. Pour faire face à la situation financière sans précédent que nous connaissons, nous devons accueillir différemment les projets de loi et, de grâce ! cesser de légiférer sur des sujets qui ont sans doute un impact médiatique considérable, mais qui sont totalement extérieurs aux enjeux majeurs que nous devons assumer.
L’échéance de la prochaine loi de finances sera, de ce point de vue, décisive. Soyons prêts à y répondre sous la double exigence du rétablissement de la compétitivité de l’économie et de la réduction du déficit.
Madame la ministre, monsieur le ministre, nous aurons l’occasion de revenir sur la question de la compétitivité. Certaines dispositions fiscales visent à taxer la production : il ne faut pas s’étonner, dès lors, que celle-ci prospère en dehors de notre territoire ! L’équilibre des finances publiques ne sera pas rétabli sans retour de la compétitivité ; les réformes ne peuvent plus attendre !
Je sais bien que ces propos sont quelque peu récurrents à cette tribune. Mais il est vrai que les parlementaires que nous sommes se demandent parfois si leur mission a un sens et une utilité, et s’ils ne se font pas les complices d’un certain délitement de nos finances publiques.
J’espère que le rendez-vous du prochain projet de loi de finances nous permettra d’être conséquents et que nos décisions seront à la hauteur de nos propos. Soyez assurés que la commission des finances y prendra toute sa part. Il s’agit pour nous de démontrer que les démocraties sont capables de faire face à des situations de crise, et qu’elles sont suffisamment lucides et courageuses pour enclencher un plan de redressement. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)