Les interventions en séance

Police, gendarmerie et sécurité
Yves Pozzo di Borgo 06/05/2010

«PJL relatif à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police en mer»

M. Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui a été déposé au Sénat le 3 septembre 2009. Il est donc grand temps que nous l’examinions, car le besoin qu’il vise à satisfaire est réel et le fléau contre lequel il doit permettre de lutter efficacement l’est plus encore : à la fin du mois d’avril, les pirates qui sévissent au large des eaux somaliennes détenaient en otages 23 navires et 384 marins, dans l’attente de rançons.
Le groupe de l’Union centriste salue donc l’élaboration de ce texte, dont l’adoption répondra à un vrai besoin opérationnel.
Cela a été dit, il s’agit d’abord de doter les forces françaises du cadre juridique qui fait aujourd’hui défaut.
Il s’agit ensuite de reconnaître à nos juridictions une compétence « quasi universelle » pour juger des actes de piraterie commis hors du territoire national, quelle que soit la nationalité du navire ou des victimes d’actes de piraterie.
À ce propos, je me permets de souligner, comme je l’ai déjà fait devant la commission, que l’article 105 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer reconnaît une compétence universelle en matière de répression de la piraterie maritime sans poser aucune condition à l’exercice de cette compétence juridictionnelle.
La convention ayant été signée et ratifiée par la France, elle fait partie de notre ordre juridique. Il aurait donc pu sembler plus conforme aux engagements internationaux de la France de reconnaître une compétence universelle aux juridictions françaises afin de poursuivre et de juger des actes de piraterie. Je serai attentif, monsieur le secrétaire d’État, aux précisions que vous apporterez sur ce point.
Pour la France, la consécration de cette compétence quasi universelle lève largement la difficulté rencontrée pour juger les pirates présumés. Une des solutions envisageables aurait pu consister à créer un tribunal spécial, comme cela a été fait en 2002, par exemple, pour juger les crimes commis en Sierra Leone. Au regard des coûts exorbitants de ces tribunaux, l’option qui a été retenue dans ce projet de loi nous semble toutefois plus opportune. Peut-être faudrait-il d’ailleurs, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, qu’un jour nous nous penchions sur le coût du tribunal pénal international de La Haye, qui, me semble-t-il, s’élève à près de 1 milliard d’euros par an : c’est un véritable problème !
Il s’agit enfin, et c’est également très important, d’établir un régime sui generis pour la rétention à bord des personnes interpellées dans le cadre de l’action de l’État en mer, afin de tenir compte des griefs retenus par la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de la France en juillet 2008.
En comblant ces trois lacunes, le projet de loi donnera à nos forces les moyens juridiques dont elles ont besoin pour occuper pleinement la place éminente qui est la leur dans l’opération « Atalanta ».
Cette opération, mes chers collègues, est un vrai succès, un vrai succès européen. Nous, centristes, y sommes très sensibles, et nous souhaitons le souligner avec d’autant plus de force que l’Union connaît actuellement des jours difficiles.
« Atalanta » est un succès dont il faut bien prendre la mesure. Qui, il y a seulement quelques années, aurait pensé l’Union capable de projeter ses forces à plus de 5 000 kilomètres de Bruxelles pour sécuriser une zone si stratégique ? Après l’intervention de l’EUFOR au Tchad, l’Union témoigne pour la deuxième fois de sa capacité à intervenir par elle-même, sans autre support, sur des théâtres d’intervention lointains et instables.
Pour la première fois de son histoire, l’Union mène une opération navale d’envergure sans support extérieur. Oui, l’Union de l’Europe occidentale – qui est sur le point de disparaître –, dont je salue au passage les travaux sur la piraterie, avait mené des opérations maritimes, notamment au large de la Yougoslavie ; mais il s’agissait alors de coordonner l’engagement de moyens plus que d’intervenir directement.
Enfin, pour la première fois de son histoire, l’Union européenne mène une véritable opération de police internationale. « Atalanta » remplit pleinement l’objectif inscrit à l’article B du traité sur l’Union européenne d’affirmer l’identité de l’Union sur la scène internationale. Ceux qui, comme nous, réclament une Europe de la défense plus robuste, plus forte, ne doivent pas s’y méprendre : à la fin de cette mission, un pas aura été franchi, tant en termes de capacités militaires qu’en termes de capacités politiques.
Une des missions prioritaires d’« Atalanta » est d’assurer l’accompagnement des bateaux du Programme alimentaire mondial, le PAM, qui acheminent l’aide humanitaire en Somalie. Voilà encore quelques mois, le PAM devait quémander auprès de chacun des États à tour de rôle leur assistance pour escorter ses bateaux ; la France y a d’ailleurs activement pris part. Aujourd’hui, cette mission est remplie par l’opération « Atalanta ». Ce n’est pas un mince succès.
« Atalanta » doit également assurer la sécurité des navires marchands « les plus vulnérables ». Aujourd’hui, cette mission est, elle aussi, bien remplie, et ce de deux manières : grâce à la mise en place d’un double corridor « sécurisé » et grâce, pour les bateaux les plus vulnérables, aux escortes en « convoi ».
Enfin, « Atalanta » doit assurer la dissuasion et l’arrestation des pirates. Sans être prioritaire, cet objectif est devenu aujourd’hui l’une des clefs du succès de l’opération. Or c’est précisément pour remplir cette mission que nos forces rencontrent le plus de difficultés.
C’est là tout le sens et l’intérêt de ce projet de loi, qui apporte des réponses concrètes aux besoins juridiques de nos forces. Nous pensons qu’il permettra de résoudre les difficultés qu’elles rencontrent aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, le groupe de l’Union centriste, unanime, votera en faveur de son adoption.
Toutefois, mes chers collègues, l’opération « Atalanta » ne parviendra pas à éradiquer la piraterie. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont je suis membre, l’a récemment rappelé avec beaucoup de clarté : l’intervention militaire n’apportera pas de solution durable à ce fléau parce que les causes profondes de la piraterie se trouvent essentiellement à terre. Pour les éliminer, il faut d’abord les comprendre, et les regarder en face.
Oui, il faut les regarder en face, car nos actions passées n’y sont pas étrangères. Depuis la destitution du régime Barre, au début des années 1990, la Somalie ne dispose plus d’État central capable d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Des milliers de chalutiers européens – mais pas seulement européens – ont profité de cette souveraineté altérée pour se livrer à la pêche au thon massive et lucrative au large des côtes du nord de la Somalie.
À partir de 1991, plus de 1 000 bateaux ont pêché illégalement dans les eaux somaliennes, jusqu’à ce que l’aggravation de la piraterie ne freine ce pillage à partir de 2006.
En 2005, un rapport du groupe d’évaluation des ressources marines, réalisé pour le gouvernement du Royaume-Uni, montrait que l’économie somalienne était amputée, chaque année, d’un montant estimé entre 73 millions d’euros et 230 millions d’euros en raison de la pêche illégale, à laquelle nos bateaux ont participé. Devant ces pratiques, nos autorités de contrôle, nationales et européennes, ont fait preuve d’une négligence coupable.
L’Europe n’est pas seule responsable : les navires en provenance de Taiwan, de Chine, de Corée du Sud, du Yémen et du Kenya ont également participé à cette pêche illégale.
Par ailleurs, les 25 000 navires annuels, qui font transiter dans la zone 20 % du commerce mondial, ont déversé des déchets et des produits toxiques qui ont gravement pollué les eaux somaliennes. Le pillage des ressources halieutiques de la Somalie a privé les pêcheurs de leurs moyens de subsistance.
Comme souvent, c’est cette impasse – inexcusable certes, mais elle existe – qui les a conduits vers la criminalité. Aujourd’hui, on constate que la plupart de ces pirates sont d’anciens pêcheurs, c’est un fait. Et, je crois qu’il est important pour notre pays – le pays des droits de l’homme – que nous puissions avoir le courage de reconnaître cela.
L’extrême pauvreté qui frappe la Somalie est évidemment l’autre cause profonde de la piraterie. Le pays manque des structures de soins et de protection sociale les plus élémentaires. La famine et des sécheresses chroniques condamnent la population à vivre avec moins de deux dollars par jour. Je renvoie à ce que j’ai déjà dit sur les 73 millions à 230 millions d’euros dont la Somalie a été dépouillée, du fait de la pêche illégale.
De plus, 43 % de la population a désespérément besoin d’aide humanitaire. Les taux de malnutrition aiguë dans le sud et le centre de la Somalie sont au-dessus du seuil d’urgence de 15 %, et seulement 29 % de la population du pays a accès à l’eau potable, selon l’UNICEF.
Dans ces conditions d’extrême précarité, certains sont prêts à prendre des risques considérables pour extorquer une rançon qui avoisine ou dépasse souvent le million d’euros.
Enfin, évidemment, la désagrégation de l’État somalien permet, facilite et encourage la piraterie. Avec une large portion du territoire hors de tout contrôle, une économie légale totalement atone, une insécurité permanente, la piraterie offre une source de revenus importante et donc une survie assurée à ceux qui s’y livrent.
Devant ce constat, que faire ? Plusieurs pistes d’évolution future sont connues. Je pense à l’extension géographique de l’opération aux Seychelles, à l’évolution des tactiques, à la prolongation de l’opération et, pour une solution à moyen et long termes, à la formation de l’armée somalienne et à la stabilisation de la Somalie.
Dans le domaine militaire, il faudra atteindre trois objectifs. D’abord, appuyer la mission de l’Union Africaine en Somalie qui soutient militairement le gouvernement transitoire somalien, ce qui n’est pas simple. Ensuite, renforcer la coopération maritime régionale en aidant les États riverains de l’océan Indien à prendre en main la police de la mer. Enfin, soutenir le gouvernement légitime somalien en assistant ses forces de sécurité.
Au-delà, notre engagement contre la piraterie doit nous amener à une réflexion sur notre engagement humanitaire. Déployons la même énergie, les mêmes moyens et la même détermination pour mettre fin à la catastrophe humanitaire somalienne. Concrètement, assistons les agences humanitaires, et tout particulièrement le Programme alimentaire mondial, pour qu’elles puissent revenir en Somalie et remplir leur mission sans mettre en danger la vie de leurs agents. Près de 3,5 millions de personnes, soit un tiers de la population du pays, en ont besoin pour survivre.
Comme mon collègue Denis Badré l’a dit, lors du débat sur la piraterie maritime organisé le 28 avril dernier par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « nous avons la démonstration, une fois encore, que l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme constituent la meilleure réponse à l’insécurité ».
Mes chers collègues, notre plein engagement, et celui de la communauté internationale, pour restaurer l’état de droit et mettre fin à la tragédie humanitaire en Somalie est urgent. C’est aussi la seule solution pour éradiquer durablement la piraterie en mer.
Je suis désolé pour mes collègues, car c’est un texte juridique et je l’ai entendu d’un point de vue plus général. Mais je crois que, au sein d’une assemblée parlementaire, il est nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, que nous puissions éclairer à la lumière d’une approche plus vaste le texte juridique que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur plusieurs travées de l’UMP.)