Les interventions en séance

Aménagement du territoire
06/04/2010

«Projet de loi portant sur le Grand Paris»

M. Denis Badré

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat est organisé en urgence.
Oui, il y a urgence ! Il y avait urgence hier, il y a urgence aujourd’hui, il y aura urgence demain. La compétition mondiale ne nous attend pas. Les retards pris doivent être rattrapés, les problèmes du jour doivent être traités et il faut anticiper sur ceux de demain.
Pour autant, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Et puisqu’il y a retard sur ce débat, il fallait d’urgence l’ouvrir, et il faut le traiter complètement.
Heureusement, bâcler, ce n’est pas le genre de notre rapporteur, Jean-Pierre Fourcade. Et ce ne fut évidemment pas le choix de notre commission spéciale, qui s’est mise au travail sous l’autorité éclairée de son président, Jean-Paul Emorine. Elle l’a fait dans le calendrier contraint imposé, mais avec toute l’ardeur possible. Le sujet en valait la peine. Les défis à relever ne pouvaient pas nous laisser attentistes.
Le travail accompli en deux mois et la passion qu’y a mis notre commission attestent, je le crois, de notre volonté unanime d’aller vite et loin. Notre Haute Assemblée aura apporté une contribution majeure au texte. Nous commençons à être vraiment dans le sujet, à en mesurer la complexité et à en maîtriser nombre d’aspects. Et c’est là que, du fait de l’urgence, l’élan va être cassé. À l’issue de la commission mixte paritaire, ce sera terminé. C’est bien dommage ! Vus les retards accumulés, nous n’en étions plus à un quart d’heure près. Une navette aurait à coup sûr enrichi le texte.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est vrai !
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a fait ici un choix que je regrette. Il va vous falloir trouver une manière de poursuivre le débat en conservant l’élan acquis. La récente campagne électorale a donné le fâcheux sentiment que le débat pouvait se résumer à un règlement de compte politicien entre un État UMP et une région PS promoteurs de deux stratégies différentes. Aujourd’hui, il appartient à l’un et à l’autre de montrer que leur posture n’était pas de circonstance et qu’ils sont déterminés à sortir d’un face-à-face paralysant pour retrouver le chemin d’un partenariat actif. Peut-être auront-ils besoin du centre pour cela. C’est d’ailleurs beaucoup plus largement encore que notre débat doit être fédérateur. Il ne faut pas seulement amener l’État et la région à se parler. Nous aurons fait œuvre utile si Franciliens et provinciaux comprennent qu’il s’agit d’un débat national, et même européen, que les enjeux d’aménagement de notre territoire dont il s’agit ne peuvent laisser indifférents ni les uns ni les autres. D’ailleurs, ne sommes-nous pas tous des élus « nationaux » ? Derrière nos collègues normands, qui sont directement intéressés, et le président Jean-Paul Emorine, dont l’engagement personnel est porteur de sens, il me paraît souhaitable que nous nous mobilisions tous sur ce sujet déterminant pour l’avenir du pays. Vider la province au profit de Paris serait aussi absurde que de refuser au Grand Paris les moyens nécessaires pour s’imposer sur la scène mondiale, au bénéfice de ses habitants comme de l’ensemble de nos compatriotes. Je le précise au passage, c’est dans cet esprit que l’Alto-séquanais que je suis est membre du groupe sur les zones enclavées qui vient d’être lancé par notre collègue Pierre Bernard-Reymond. Nous sommes tous peu ou prou à la fois « enclavés » et « franciliens ». Dans la même perspective, il nous faut poser et traiter, sans les caricaturer et pour les dépasser, les problèmes qui peuvent opposer l’est et l’ouest de notre région – n’est-ce pas, Philippe Dallier ? –, Paris intra-muros, la petite et la grande couronnes – n’est-ce pas, Nicolas About ? , voire opposer telle ou telle de nos intercommunalités ou de nos communes entre elles.
Nous avons ici une occasion exceptionnelle de fédérer et de travailler ensemble. C’est un excellent exercice pour les Français, dont ce n’est pas le penchant naturel...
Pour progresser durablement, il faut également, me semble-t-il, éviter plusieurs écueils.
Éviter d’abord toute recentralisation, car c’est une tentation constante de la France jacobine. On ne biaise pas avec le principe de subsidiarité !
Mme Nicole Bricq. C’est pourtant ce que fait le projet de loi !
Éviter également de compliquer encore une organisation déjà lourde et peu lisible. Il y a déjà RFF, la SNCF, la RATP, le STIF et maintenant la société du Grand Paris rien que pour les transports !
Éviter enfin d’aller vers une spécialisation des territoires, qui concentrerait par exemple les entreprises à la Défense, la science à Saclay et les logements ailleurs. Pour que chaque territoire soit vivant, il faut pratiquer à toutes les échelles une mixité bien tempérée. Je note ici que l’intercommunalité est un très bon instrument de cette mixité. Une communauté d’agglomération – n’est-ce pas, Jean-Pierre Fourcade ? – peut construire son projet en visant le meilleur équilibre logement-emploi-transport. Autant les très grands équipements structurants, comme l’Opéra, le grand stade ou, bien sûr, les aéroports, doivent se concevoir à l’échelle du Grand Paris, autant l’équilibre d’ensemble du Grand Paris ne peut être recherché qu’à travers celui de chacune de ses parties. Les intercommunalités seront donc des acteurs majeurs pour le Grand Paris. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant. Je le dis donc fermement. Pour éviter ces écueils, c’est-à-dire la recentralisation, la complexification et la spécialisation, il faudra bien parler de « gouvernance », et pas trop tard ! C’est dès la conception du projet qu’il faut dire comment celui-ci sera mis en œuvre et comment il sera financé. Jean-Pierre Fourcade a fort justement insisté sur ce point. Monsieur le secrétaire d’État, au-delà du texte que nous examinons aujourd’hui, « le projet » du Grand Paris, tel qu’il nous avait été présenté, a pu être perçu, très caricaturalement, par certains comme étendant la compétence du préfet de police à la petite couronne, comme créant un « Grand huit » pour répondre à l’attente en matière de transports et comme structurant le mouvement engagé sur le plateau de Saclay pour donner à l’ensemble une caution scientifique.
L’existence d’une telle caricature peut amener une réflexion. Le sujet étant vaste et complexe, il fallait entrer dans le débat. Vous l’avez fait ! Il faut également maintenant identifier votre projet et lui donner une âme, en proposant très vite quelques images concrètes. J’ai cherché quels emblèmes pouvaient effacer la caricature. Reprenant les trois points de celle-ci, c’est-à-dire la question du préfet de police, celle des transports et celle de Saclay, je propose trois emblèmes.
Premier emblème : un Parisien peut traverser le périphérique, même, et peut-être surtout, s’il est préfet de police. Les truands le font bien. Sachons décloisonner et unir Paris, la petite et la grande couronnes. Le deuxième emblème est la priorité aux transports.
Entrer dans le triptyque « logement-emploi-transport », clé d’un aménagement durable du territoire, par le côté « transport » est une bonne manière de « plonger » dans le débat.
Encore faut-il, pour être alors crédible, être animé d’une véritable volonté de ne pas en rester là et chercher à relier assez rapidement le volet « transport » à l’emploi et au logement. La commission s’y est employée. Elle doit poursuivre dans cette voie, car elle est loin du but ! Pour être crédible, il faut également poser concrètement le problème crucial des transports, annoncer ce qui sera réalisé, à quelle échéance et avec quel financement.
L’usager du réseau actuel n’a pas besoin d’être sensibilisé au sujet. Il l’est déjà et, malheureusement, de façon très négative, notamment s’il fréquente le RER B, les lignes 13 ou 14 du métro ou la gare Saint-Lazare. Il subit tous les jours le fait que les renforcements rendus nécessaires par une forte et régulière augmentation du trafic ne suivent pas. Le transfert amorcé du transport individuel vers le transport collectif est une bonne chose, à condition d’allouer les moyens nécessaires. Si de très importants renforcements sont de première et d’absolue nécessité, il faut également combler les lacunes flagrantes : prolongation d’Éole à l’Ouest, désenclavement de Roissy ou de Saclay, ouverture d’une gare TGV à Orly et à La Défense, pour ne citer que quelques exemples. Si nous voulons éviter de nous retrouver demain face aux mêmes difficultés qu’aujourd’hui, mais amplifiées, il est indispensable d’anticiper sur les besoins du futur. C’est par là que vous avez choisi de commencer, monsieur le secrétaire d’État.
Notre grande préoccupation aujourd’hui concerne, vous l’avez compris, la coordination dans le temps et le financement de l’effort à réaliser en faveur de ces trois horizons : renforcement, couverture des lacunes, préparation de l’avenir.
Il est clair, en tout cas, que nous contenter de répondre à l’usager exaspéré d’aujourd’hui qu’il pourra disposer dans quinze ans d’un « Grand huit », fut-il rapide et automatique, relèverait de la provocation. J’en viens à mon troisième emblème. Mettre le projet sous le signe de la recherche et de l’enseignement supérieur s’imposait dès lors qu’il était question de compétitivité. Alors, allons au bout de la démarche. Faisons un véritable emblème de cette priorité à la recherche en branchant d’emblée le plateau de Saclay sur le très haut débit. Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes passionnés par notre débat, car il s’agit d’un vrai sujet, d’un immense sujet.
Nous ferons œuvre utile dès cette première étape, s’il s’agit bien d’une première étape, en ayant des idées claires sur la question générale du devenir du Grand Paris, de sa place et de son rôle dans le monde comme dans notre pays. Je souhaite donc que ce débat soit le plus ouvert possible, car je suis certain que nous saurons en séance travailler tous ensemble, monsieur le secrétaire d’État, comme nous l’avons fait en commission. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur plusieurs travées de l’UMP.)