Les interventions en séance

Affaires sociales
Catherine Morin-Desailly 05/10/2010

«Projet de loi portant réforme des retraites»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, personne ne peut nier la réalité des chiffres.
Si notre système actuel de retraite par répartition, contributif et solidaire, a pu assurer une protection aux pensionnés pendant soixante-cinq ans, l’évolution démographique et économique de notre société a créé un déséquilibre financier insoutenable. Face à un tel constat, je pense, comme mes collègues centristes, que réformer notre système de retraite est une absolue nécessité.
Les Français sont conscients de cette situation : ils savent que l’effort est incontournable, mais ils souhaitent un système juste et équitable.
Pour ce qui concerne les femmes, rien n’est moins sûr, hélas !
Je concentrerai mon propos sur cette question, consternée de voir que, malgré un constat répété depuis 2003 et de nombreux rapports, non seulement les écarts considérables persistent en matière de pensions entre les hommes et les femmes, mais ils risquent d’être aggravés si la présente loi est votée en l’état.
Je ne rappellerai pas les chiffres donnés tout à l’heure par notre collègue Jacqueline Panis, car ils parlent d’eux-mêmes.
Deux facteurs expliquent ces fortes disparités.
Le premier concerne les inégalités professionnelles et les discriminations que les femmes subissent en amont et tout au long de leur carrière, au rang desquelles les inégalités salariales qui leur sont très préjudiciables. En effet, c’est à partir de ce que les femmes auront touché durant leur vie professionnelle que se constituera leur retraite. Or, vous le savez, celles-ci touchent un revenu annuel moyen brut inférieur de 19 % à celui des hommes.
Même celles qui n’ont pas interrompu leur carrière pour des raisons familiales sont moins bien rémunérées. Et la différence est encore plus marquée pour les femmes cadres, qui perçoivent, en moyenne, un revenu de 23 % inférieur à celui des hommes.
Malgré nos tentatives de régulation, une salariée à temps complet gagne aujourd’hui moins que son homologue masculin !
Dès 2006, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, notre groupe avait souhaité inscrire dans le texte un dispositif de sanctions applicables à l’issue du délai de cinq ans accordé aux entreprises pour se mettre en conformité avec l’objectif d’égalité professionnelle.
À l’époque, j’avais souligné qu’une loi de plus, sans mécanisme coercitif, risquait d’échouer, comme les précédentes. Cependant, ma proposition avait été rejetée. Certes, avec la réécriture de l’article 31 par l’Assemblée nationale, ma demande a enfin été prise en compte. Mais, sincèrement, que de temps perdu !
Le second facteur ayant un impact sur la retraite des femmes concerne le morcellement de la vie professionnelle de celles-ci, avec, bien sûr, les conséquences de la maternité sur le déroulement de leur carrière et leur rémunération, et la répartition des responsabilités en matière de garde d’enfants et de personnes dépendantes.
Par ailleurs, les femmes sont aussi plus touchées par le chômage et le temps partiel.
Non, monsieur le ministre, le manque de trimestres ne concerne pas que certaines générations, hélas ! Une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, montre que la durée totale durant laquelle les femmes se sont arrêtées de travailler est beaucoup plus élevée que celle des hommes : 3 ans et 3 mois en moyenne, contre 1 an et 4 mois, et cela concerne toutes les générations.
Or le texte qui nous est aujourd’hui présenté risque d’aggraver la situation. La transition de 65 ans à 67 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein est notamment profondément injuste pour les femmes qui n’auraient pas acquis le nombre d’annuités nécessaires. Or ce qui leur est proposé, c’est ni plus ni moins de travailler plus pour gagner moins !
Ce constat est d’ailleurs partagé par notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a formulé un certain nombre de recommandations qu’on serait bien avisé de suivre lorsqu’elles ont été traduites sous forme d’amendements.
Certes, le texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale est amélioré, mais il est encore très perfectible.
Ainsi, dans les objectifs de l’assurance vieillesse, il faudrait inscrire à l’article 1er A du projet de loi non seulement l’équilibre intergénérationnel, mais également l’équité entre les hommes et les femmes. Ce serait un minimum !
Par ailleurs, j’évoquerai la réécriture de l’article 31, qui prévoit désormais une sanction financière pour les entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle. Voilà qui constitue une nette amélioration, mais la rédaction de l’article doit garantir une logique de résultats, et pas seulement de moyens.
De même, nous pourrions corriger certaines inégalités en reprenant les préconisations de la HALDE, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, afin de compenser notamment les effets pervers du temps partiel, qui est bien souvent subi et assorti de faibles rémunérations.
S’agissant des bornes 65/67 ans, il faut maintenir à 65 ans l’âge de départ à la retraite à taux plein pour les personnes, donc les hommes comme les femmes, ayant pris un congé parental, surtout dans des circonstances particulières : lorsque ces personnes ont dû, par exemple, apporter des soins particuliers à un enfant ou une personne dépendante dans un laps de temps minimal. Ce sont d’ailleurs souvent les femmes qui sont concernées.
Monsieur le ministre, voilà quelques avancées.
Pour autant, tout ce qui a été évoqué ne pourra être que transitoire.
En effet, comme Nicolas About l’a rappelé, cette réforme, à l’instar de celles de 1993 et 2003, ne peut être qu’une étape, qui doit, à terme, conduire à une réforme structurelle.
Comme les parlementaires centristes le défendent depuis 2003, un système de retraite par points serait plus lisible, plus équitable et plus équilibré, et les femmes y trouveraient sans doute leur compte.
Il faut mettre en place un système qui mesure la problématique des retraites à l’aune des évolutions de notre société.
Certes, il convient de prendre en compte l’allongement de l’espérance de vie, mais la vie et la carrière des femmes ont beaucoup changé au cours des trente dernières années.
Autrefois, la question de l’égalité des retraites entre les hommes et les femmes n’était guère posée, nombre de femmes ne travaillant pas toujours et partageant les ressources de leur mari durant la vie professionnelle de celui-ci, puis pendant la période de retraite, et bénéficiant, enfin, lorsqu’elles devenaient veuves, d’une pension de réversion.
L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, l’augmentation du nombre de divorces et d’unions hors mariage remet en question l’efficacité d’un tel système. Un nombre croissant de femmes séparées, divorcées, célibataires vivront isolées au moment de leur retraite ; leur niveau de vie dépendra alors plus étroitement de leurs droits propres. Comment faire en sorte que ceux-ci soient suffisants ?
Si les droits dits dérivés restent fondamentaux notamment pour la génération avant 1960, ils auront un rôle moindre dans un contexte de structures conjugales plus diverses. Ces droits reposent bien évidemment sur un engagement et un traitement similaires des deux sexes sur le marché du travail. Plusieurs de nos voisins européens tels que l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suède ont exploré des pistes sur ce point. Aussi est-il dommage que le texte qui nous est soumis ne comporte pas d’avancée en la matière.
Pour tenir compte de l’évolution des modes de vie, j’avais proposé que les cocontractants d’un pacte civil de solidarité puissent bénéficier des droits à la pension de réversion. Je regrette que l’on ne puisse pas discuter de cet amendement, retoqué en vertu de l’article 40 de la Constitution, à l’instar de bien d’autres d’ailleurs, nous privant ainsi d’une vraie réflexion.
Avant de conclure, je tiens à dire que nous avons bien évidemment conscience que ce n’est pas la présente loi qui pourra répondre complètement à des inégalités antérieures. C’est pourquoi j’ai demandé il y a quelques jours, au nom du groupe de l’Union centriste, l’organisation d’un débat sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes à l’issue de cette discussion. Ainsi, nous pourrons dresser le bilan de dix ans de politiques fondées sur la volonté de convaincre et non de contraindre, et enfin prendre les mesures nécessaires et adéquates pour lutter efficacement contre les inégalités existantes, qui restent scandaleuses.
Au travers de vos propos, j’ai cru comprendre, monsieur le ministre, que, lors des débats à venir, vous laissiez la porte ouverte, reconnaissant qu’il était incontestable qu’il existait des injustices et qu’il fallait tenter d’y trouver une réponse.
Aussi, le groupe de l’Union centriste sera particulièrement attentif au sort qui sera réservé aux amendements qu’il défendra. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur quelques travées de l’UMP.)